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L’IA s’annonce prometteuse pour la médecine, mais elle présente aussi des risques et des inconvénients

Il est aisé d’imaginer le potentiel que représente l’intelligence artificielle (IA) pour aider les gens dans le monde entier à vivre en meilleure santé.

Certains l’utilisent déjà pour détecter rapidement des signes avant-coureurs de maladie, comme l’a montré une étude menée à Rangpur, au Bangladesh, dans le cadre de laquelle l’organisation sans but lucratif Orbis International, qui lutte contre les causes évitables de cécité, et des praticiens locaux ont utilisé le système LumineticsCore. Mis au point par la société Digital Diagnostics basée à Coralville (Iowa), LumineticsCore utilise une caméra qui enregistre des images des yeux et les examine à l’aide de l’IA.

Ce produit a déjà obtenu des résultats impressionnants. En 2018, il est devenu le premier appareil fonctionnant avec l’IA à obtenir l’agrément de la Food and Drug Administration (FDA) américaine pour dépister la rétinopathie diabétique. En 2020, Medicare, le gigantesque système d’assurance santé des États-Unis, a décidé de financer son utilisation dans les centres de soins primaires.

Au Bangladesh, les chercheurs ont étudié la productivité d’une clinique ophtalmologique dont les patients diabétiques étaient répartis aléatoirement entre le groupe dépisté avec l’IA et le groupe témoin.

Ils ont estimé qu’en utilisant l’outil fonctionnant avec l’IA, 1,59 patient par heure recevait une visite de haute qualité, contre 1,14 dans le groupe témoin, indiquent Michael Abramoff, fondateur de Digital Diagnostics, et ses coauteurs dans le numéro d’octobre de la revue npj Digital Medicine de Nature Portfolio.

Ce test a montré que LumineticsCore permettait de dépister davantage de déficiences visuelles dues au diabète, y compris dans les pays en développement, indique M. Abramoff, qui est également professeur en ophtalmologie et ingénierie à l’Université d’Iowa.

Il fait la distinction entre « l’IA à impact » en médecine et « l’IA glamour », à savoir les produits qui font des unes tapageuses, mais qui n’ont pas encore prouvé leurs bienfaits.

« Nous aimons ce que l’on appelle l’IA à impact, qui a montré qu’elle aidait à améliorer la santé, indique M. Abramoff. En tant qu’ingénieur, j’adore la technologie, mais il ne faut pas y consacrer trop d’argent si elle n’améliore pas les résultats. »

De plus, la vigilance est de mise, car l’application de l’IA à la médecine peut se révéler aussi néfaste que bénéfique.

Un article publié dans Science en 2019 indiquait qu’un algorithme massivement utilisé par de grands systèmes de santé et des assureurs sous-estimait la gravité des pathologies de patients noirs, ce qui entraînait des refus de prise en charge. Les chercheurs et les experts en police d’assurance ont émis des inquiétudes quant au développement d’outils d’IA basés sur des données extraites présentant un biais en faveur des personnes aisées, qui sont souvent blanches et ont un bon accès aux soins de santé.

Il est essentiel d’accroître la diversité chez les patients dont les données servent à former les outils d’IA, ainsi que chez les concepteurs de ses produits, estime Jerome Singh, l’un des conseillers sollicités par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour les besoins de son rapport d’orientation 2021 sur l’éthique et la gouvernance de l’IA en matière de santé.

« Chez les codeurs, il faudra de la diversité raciale et culturelle, estime M. Singh. L’interprétation est très importante. La qualité de l’intelligence artificielle dépend de celle du codage.

Cette nécessité est l’un des grands défis à relever en vue du déploiement de l’IA dans la médecine à l’échelle mondiale, en particulier dans les pays du Sud, affirme M. Singh.

L’IA est peut-être encore plus nécessaire dans les pays économiquement peu développés, où le ratio soignants/patients est généralement beaucoup moins élevé que dans les régions aisées. Aux États-Unis, on recense environ 36 médecins pour 10 000 habitants, au Royaume-Uni environ 32, mais en Inde, environ 7 seulement, d’après les données de l’OMS.

Pourtant, ces pays moins aisés sont eux aussi confrontés à des difficultés s’agissant des infrastructures et des compétences nécessaires au déploiement réussi de l’IA, ajoute M. Singh. Cela se traduit par des capacités électriques et informatiques insuffisantes ainsi que par un manque de personnel capable de transposer les diagnostics générés à l’aide de l’IA en traitements efficaces.

Dans certains contextes, l’intégration de l’IA au système de santé « s’apparentera à un véritable sprint », explique M. Singh. « Dans d’autres, ce sera un marathon. »

L’adoption de l’IA dans la pratique médicale est inévitable à ce stade, considère Partha Majumder, coprésident d’un groupe d’experts qui a dispensé des recommandations dans le cadre du rapport 2021 de l’OMS.

« Il faut accepter cette réalité. Des garde-fous doivent être installés de manière à éviter les prédictions et diagnostics inappropriés. C’est tout ce que nous pouvons faire. Nous ne pouvons pas freiner le déploiement des méthodes basées sur l’IA. »

Partout dans le monde, les organes de réglementation et les décideurs s’attachent à trouver des moyens de veiller à ce que l’application de l’IA aux soins de santé allie sécurité et efficacité. L’essentiel de ce travail consiste à corriger les biais constatés dans le développement et l’apprentissage des algorithmes.

En octobre, l’OMS a publié un nouveau rapport consacré aux difficultés de la réglementation de l’IA dans le milieu médical. Elle y a exprimé ses inquiétudes quant au rapide déploiement des outils issus des grands modèles de langage, parmi lesquels les agents conversationnels, sans que l’on sache vraiment si ces programmes vont aider les patients ou leur porter tort. Dans un rapport publié l’an dernier, le Parlement européen a fait état d’inquiétudes s’agissant du manque de transparence et de confidentialité, et de questions de sécurité. La FDA s’efforce d’affiner sa stratégie de réglementation de l’IA dans les produits médicaux au moyen de recommandations officielles. Ces dernières montrent aux sociétés les éléments tangibles qu’elles devront produire pour obtenir l’agrément de la FDA.

L’IA peut éliminer nombre des frustrantes embûches qui entravent depuis longtemps la recherche pharmaceutique, estime Tala Fakhouri, directrice associée de l’analyse des politiques au Center for Drug Evaluation and Research Office of Medical Policy de la FDA. Il est désormais plus facile de comprendre dès les premiers stades comment les composants vont agir dans l’organisme, ce qui réduit la probabilité d’effets secondaires qui surgissent souvent dans les phases ultérieures des tests. Avec l’IA, les chercheurs peuvent désormais analyser rapidement les informations sur des médicaments expérimentaux dont la synthèse aurait pris des années par le passé, indique-t-elle.

« Les efficiences générées au stade de la découverte sont exponentielles. Nous allons voir des tas de nouvelles choses arriver bientôt sur le marché », annonce T. Fakhouri.

KERRY DOOLEY YOUNG est une journaliste indépendante spécialisée dans le domaine de la santé.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.