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De nombreux pays du Commonwealth se demandent qui faire figurer sur leurs billets de banque

En théorie au moins, le changement est en marche. Dans le Commonwealth, composé d’un groupe de 14 anciennes colonies britanniques et du Royaume-Uni, dont le roi Charles III est le monarque, la disparition de la reine Elizabeth II en 2022 a lancé un débat : faut-il ou non imprimer le visage du nouveau Roi sur les billets de banque ?

La longévité et la popularité de la Reine expliquent peut-être pourquoi, dans quelques-uns de ces pays, ce débat a mis du temps à voir le jour. « La mort de la Reine a été un coup de tonnerre qui a changé le cours de l’histoire et les relations internationales », explique Harcourt Fuller, professeur associé d’histoire à l’Université d’État de Géorgie, spécialiste de numismatique et fondateur de l’exposition Black Money.

Au Royaume-Uni, de nouveaux billets à l’image du Roi entreront en circulation en 2024, parallèlement aux billets existants marqués du portrait de la reine Elizabeth. « Pour beaucoup de monde, l’image du monarque a toujours figuré sur le billet de banque », avance Sarah John, responsable des billets à la Banque d’Angleterre. Le roi Charles III sera le deuxième souverain à apparaître sur la monnaie du Royaume-Uni, après la reine Elizabeth, dont le visage a été imprimé pour la première fois sur un billet en 1960.


Au Royaume-Uni, de nouveaux billets à l’effigie du roi Charles III entreront en circulation en 2024.
(Photo mise gracieusement à notre disposition par la Banque centrale d’Angleterre.)

« Les gens considèrent que cela fait partie de notre culture britannique », ajoute-t-elle. Mais ailleurs dans le Commonwealth, l’heure est à la prise en compte du passé colonial difficile, à l’affirmation d’une identité indépendante et aux mouvements populaires qui honorent les icônes nationales.

En Australie, l’image de la Reine, visible sur les billets de banque depuis son couronnement, en 1953, sera remplacée sur les billets de cinq dollars par un nouveau motif qui rend hommage au patrimoine et à la culture indigènes du pays. « La Banque de réserve d’Australie entame maintenant un processus de consultation avec les aborigènes sur ce nouveau dessin », a expliqué Philip Lowe, gouverneur de la Banque centrale australienne, à une commission parlementaire plus tôt dans l’année. Même s’il faudra au minimum quelques années pour élaborer et mettre en circulation ce nouveau billet, cette initiative marque une évolution des liens avec la monarchie britannique.

Tout proche, en Nouvelle-Zélande, la Banque centrale a indiqué qu’il faudrait « de nombreuses années » avant que le nouveau Roi ne remplace la Reine sur les billets de 20 dollars néo-zélandais. La Banque du Canada partageait cette position concernant sa propre monnaie.

Il y a deux ans, la Barbade, autre État du Commonwealth, a coupé ses derniers liens avec la monarchie (elle avait déjà remplacé la Reine sur ses billets de banque depuis longtemps) et a élu une cheffe d’État barbadienne.

Aux Bahamas, la Banque centrale a émis un nouveau billet de 100 dollars des Bahamas un an avant le décès de la Reine, remplaçant le portrait de la souveraine par celui de l’un des pères fondateurs du pays, qui s’est battu pour l’indépendance, à savoir l’ancien vice-Premier ministre Arthur Dion Hanna. Aujourd’hui, on ne peut plus voir le portrait de la Reine que sur les billets de 50 centimes et de trois dollars, et il n’est pas prévu dans l’immédiat de le remplacer par celui du nouveau Roi. « Je suis fière que nous ayons progressé au point de pouvoir mettre en avant nos héros nationaux », a déclaré Linda Virgill, consultante juridique basée à Nassau.


La Banque centrale des Bahamas a émis en 2021 un nouveau billet de 100 dollars des Bahamas faisant figurer l’ancien vice-Premier ministre Arthur Dion Hanna.
(Photo mise gracieusement à notre disposition par la Banque centrale des Bahamas.)

Cette volonté de se défaire du passé participe aussi d’un mouvement plus large dans ces pays visant à créer une identité indépendante en se penchant sur l’histoire agitée liée au colonialisme, à l’esclavage et au racisme. Les récents événements qui ont eu lieu aux États-Unis, comme la mort de George Floyd, un homme noir, sous la responsabilité de la police en 2020, ont eu un écho mondial, en particulier dans les pays où vivent des groupes marginalisés. « Cela leur a permis de réévaluer les choses et de se dire que nous devons franchir ce grand pas en avant qui nous attend en matière de justice sociale et d’égalité. La monnaie constitue l’un de ces pas en avant », explique Harcourt Fuller.

Autre membre du Commonwealth, la Jamaïque a retiré le monarque de ses billets en 1969 et prévoit maintenant d’organiser un référendum afin de déterminer s’il convient d’élire leur chef d’État. La reine Elizabeth est aussi très visible sur les dollars des Caraïbes orientales utilisés par huit pays. Mais une réflexion semblable est en cours dans cette région. « Certaines personnes estiment qu’il est temps de s’engager sur une voie différente. Plutôt que de continuer avec un souverain britannique, nous devrions regarder du côté de nos propres monuments et de nos propres héros », indiquait l’année dernière la Banque centrale des Caraïbes orientales dans un communiqué de presse.

Alors que les portefeuilles numériques et les codes QR deviennent la nouvelle norme, l’argent physique devrait encore régner sur une bonne partie du monde. « Je vois toujours les billets de banque comme le cœur de notre identité nationale », explique Sarah John. Cette lutte pour se réapproprier une identité nationale se fait sentir dans tout le Commonwealth. En fin de compte, définir qui figure sur les billets est important : il s’agit d’un symbole et d’une possibilité de passer à la postérité, conclut Harcourt Fuller. « Parfois, les symboles sont plus puissants que ce qu’ils représentent réellement. »

SMITA AGGARWAL fait partie de l’équipe de Finances & Développement.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.