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Le parallèle entre la période actuelle et les années 70 semble hélas de plus en plus pertinent

Aujourd’hui comme à cette époque, l’approvisionnement énergétique est remis en doute, et l’ordre international se fissure de toute part. Même la musique de ces années est remise au goût du jour ; en 1975, le chanteur de funk Earnest Jackson entonnait le couplet suivant, qui n’est pas sans nous rappeler notre actualité : « Inflation, why don’t you get out of the nation ? ». Les lecteurs qui se posent la même question de nos jours, à l’heure où la plupart des pays du monde affichent des taux d’inflation jamais atteints en près de 50 ans, auraient tout intérêt à lire le nouvel ouvrage de l’économiste Stephen D. King.

Selon l’auteur, la période inflationniste que nous traversons ne tient pas tant à une conjonction de chocs — de la désorganisation des chaînes d’approvisionnement induite par la pandémie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie — qu’aux problèmes systémiques que pose la politique économique menée ces dernières années. D’après lui, l’action des banques centrales s’inscrit dans un cadre qui présente un biais inflationniste : les assouplissements quantitatifs, initialement conçus comme une solution de dernier recours, ont créé « une forte accoutumance », et les dirigeants ont cru que « leur crédibilité en matière de lutte contre l’inflation garantissait peu ou prou que les anticipations d’inflation se tiendraient tranquilles ». En outre, Stephen D. King craint que les banques centrales ne soient beaucoup moins indépendantes qu’elles ne le paraissent et qu’elles ne soient contraintes de faire ce que leur demandent les autorités budgétaires.

Ces opinions sont certes contestables, et l’argumentaire manque peut-être d’empathie à l’égard des décideurs publics, qui ont dû réagir en catastrophe à la pandémie du siècle. Néanmoins, l’auteur ne manque pas de verve ; il décrit au lecteur les effets pernicieux de l’inflation, en soulignant à quel point il était absurde d’avoir pu penser qu’elle ne reviendrait jamais dans les pays avancés.

Après tout, l’inflation a une longue histoire, que nos dirigeants seraient bien avisés d’étudier. L’auteur revient sur certains épisodes parmi les plus mémorables, des assignats français aux greenbacks du temps de la guerre de Sécession, en passant par l’hyperinflation de la République de Weimar. Il évoque également la manière dont l’Empire romain frappait sa monnaie et dont les souverains du Moyen-Âge dépréciaient les leurs ; comme l’on pouvait s’y attendre, il revient sur les années 70. Il convie même le lecteur à revivre l’histoire très récente : tout juste publié, son ouvrage se penche en effet sur la mini-crise budgétaire que vient de traverser le Royaume-Uni. Ces retours en arrière sont autant d’instantanés qui donnent corps et vie au propos d’ensemble, mais les lecteurs à la recherche d’une analyse approfondie de l’inflation au cours des deux derniers millénaires devront se tourner vers d’autres ouvrages.

L’inflation a une longue histoire, que nos dirigeants seraient bien avisés d’étudier.

La plupart des enseignements et des préconisations de Stephen D. King sont assez raisonnables. L’inflation est une tentation pour les États ; elle entraîne des conséquences majeures pour la répartition des richesses, qui peuvent être injustes et antidémocratiques ; le contrôle des prix et des salaires, s’il peut sembler judicieux de prime abord, ne se défend pas en théorie, et encore moins en pratique ; l’inflation doit être combattue frontalement et sans hésitation. En revanche, certaines des pistes proposées par l’auteur mériteraient d’être développées. Par exemple, quel cadre de politique publique « fondé sur des règles » appelle-t-il de ses vœux ? Que veut-il dire au juste lorsqu’il en appelle au « primat de la politique monétaire » sur la politique budgétaire ?

Pour autant, le principal enseignement de cet ouvrage est sans ambiguïté : l’histoire monétaire a beaucoup à nous apprendre. À l’heure actuelle, les comparaisons historiques portent, à juste titre, sur les dangers de l’inflation et sur la nécessité de la dompter par des mesures vigoureuses. Les banquiers centraux semblent l’avoir bien compris, et procèdent à de rapides hausses de taux. Cependant, les difficultés causées par l’inflation ne doivent pas nous faire perdre de vue les dangers de la déflation, tant il est vrai que l’histoire regorge d’exemples des dégâts que peut causer la baisse généralisée des prix. Espérons que les prochaines années ne nous donnent pas soudainement l’occasion d’une nouvelle leçon d’histoire, cette fois sur la déflation.

MAX HARRIS est associé principal de recherche pour la Wharton Initiative on Financial Policy and Regulation.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.