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Pour Philip R. Lane, de la BCE, il est important de ramener l’inflation de la zone euro dans sa cible

La Banque Centrale Européenne (BCE) est en première ligne dans la lutte contre l’inflation. Les taux d’intérêt ont été relevés à des niveaux sans précédent depuis 15ans pour ramener l’inflation de la zone euro, qui culminait à plus de 10 % en octobre, à sa valeur cible de 2 %. L’inflation devrait ralentir cette année, mais la politique monétaire continuera d’être suivie de près, car la croissance économique du continent ralentit, les consommateurs se débattent toujours avec la crise liée au coût de la vie, et les États cherchent à financer de fortes dettes dans une nouvelle période de taux d’intérêt élevés.

Dans un entretien accordé à Nicholas Owen, de F&D, l’économiste en chef de la BCE, Philip R.Lane, appelle les gouvernements à commencer à supprimer les mesures de relance budgétaire en faveur des consommateurs, car la crise de l’énergie déclenchée par l’invasion russe en Ukraine devient plus aiguë. Il évoque l’importance d’un retour des anticipations d’inflation dans la cible, les défis que représente la réduction du bilan de la banque centrale et les leçons que nous pouvons tirer des mesures monétaires de l’an dernier.

F&D : Après une envolée à des niveaux inédits depuis 40 ans, l’inflation en Europe montre des signes de ralentissement. Pourquoi est-il si important, pour les perspectives économiques de la zone euro, que les autorités parviennent à ramener les anticipations d’inflation à 2 % ?

PL : Pour une banque centrale, le pire scénario est une phase prolongée de forte inflation amenant la population à perdre confiance dans la capacité de sa banque à maintenir des prix stables (en l’occurrence à faire respecter une cible d’inflation de 2 %) à moyenne échéance. Si le public en vient à penser que l’inflation restera élevée pour un temps indéterminé, ce sentiment sera intégré dans le processus de fixation des prix et des salaires et s’auto-entretiendra. Il est donc essentiel que la politique monétaire soit clairement définie pour assurer un retour rapide de l’inflation dans notre cible de 2 %. C’était d’autant plus important l’an dernier que la politique monétaire visait depuis plusieurs années à contrer une inflation tendanciellement inférieure à la cible. En conséquence, nous nous détournons de manière durable d’une orientation extrêmement accommodante au profit d’une politique assez restrictive pour garantir le retour de l’inflation dans la cible et maintenir ainsi l’ancrage des anticipations d’inflation à plus long terme.

F&D : Pour les décideurs, quels sont les enseignements à tirer du choc inflationniste ? La plupart des économistes estimaient que les pressions inflationnistes n’étaient que transitoires. Devons-nous penser différemment la politique monétaire ?

PL : Il est certain que cet épisode sera étudié pendant encore de nombreuses années, de sorte que ma réponse à votre question est on ne peut plus provisoire. En même temps, je pense qu’il faudrait reconnaître que les effets conjugués de la pandémie et de la flambée des prix de l’énergie provoquée par la guerre ont été des chocs exceptionnellement puissants et asymétriques qui, dans un premier temps, ne pouvaient qu’engendrer une phase de forte inflation. Il ne fait aucun doute que l’enquête en cours visant à déterminer si la BCE et les autres banques centrales auraient pu mieux évaluer l’ampleur et la durée du choc d’inflation se justifie. Nous devrions toujours chercher à tirer des enseignements de tels épisodes et nous montrer ouverts à la critique, de l’intérieur comme de l’extérieur. Dans l’année écoulée, les banques centrales sont revenues sur les programmes d’assouplissement quantitatif et ont relevé notablement les taux d’intérêt, par des hausses successives dans un laps de temps assez bref. Nous en apprendrons aussi beaucoup sur la conduite de la politique monétaire et sur son efficacité dans les prochains mois.

La crise énergétique devenant moins critique, il faut commencer à supprimer les mesures de relance budgétaire.

F&D : Pensez-vous que les mesures prises par la BCE en vue de réduire son bilan seront problématiques pour les États de la zone euro dont les besoins de financements sont importants ? Certains d’entre eux, très endettés, ont pris l’habitude d’écouler facilement leurs obligations auprès de la BCE.

PL : L’objectif principal de ces programmes a toujours été de faire en sorte que le compartiment long de la courbe des rendements contribue à l’assouplissement de la politique monétaire dont l’ensemble de l’économie avait besoin pour éviter une période prolongée de faible inflation : ils n’avaient pas vocation à financer directement les États. Bien qu’il soit trop tôt pour tirer des conclusions de l’abandon de l’assouplissement quantitatif et de la transition en cours vers un resserrement quantitatif, les derniers mois ont montré que la normalisation des taux d’intérêt s’est traduite par une forte demande d’achat d’obligations publiques de la zone euro de la part de nombreux investisseurs (européens et internationaux).

S’agissant de la politique budgétaire, il faudrait à l’évidence — conformément au cadre de gouvernance économique de l’UE — qu’elle vise à rendre notre économie plus productive et à faire progressivement baisser la dette publique élevée.

Bien sûr, elle a un rôle important à jouer en protégeant les agents économiques les plus vulnérables du choc lié aux prix de l’énergie. C’est un impératif moral mais aussi économique. Nous soulignons toutefois que les mesures de relance budgétaire destinées à isoler l’économie de ce choc devraient être temporaires, ciblées et adaptées afin de continuer à encourager les économies d’énergie. La crise énergétique devenant moins critique, il faut commencer en particulier à supprimer ces mesures au plus vite, parallèlement à la chute des prix de l’énergie et de manière concertée.

F&D : Les hausses de taux d’intérêt accentuent la pression sur les ménages dans toute l’Europe. Les banques centrales peuvent-elles intervenir pour alléger cette pression, ou ce problème devrait-il être du seul ressort du gouvernement et des responsables de la politique budgétaire ?

PL : La stabilité des prix à moyen terme est bénéfique pour tous les ménages. Quand l’inflation s’installe durablement, les ménages pauvres sont les plus durement touchés. Il est donc dans l’intérêt de tous que la BCE se concentre prioritairement sur le retour rapide de l’inflation à son niveau cible de 2 %. Nous devrions conduire la politique monétaire dans un souci d’efficience, c’est-à-dire atteindre notre cible tout en réduisant au maximum les coûts en termes de production et d’emploi. Quand nous analysons la transmission de la politique monétaire, nous examinons de près les effets de l’évolution des taux d’intérêt sur les ménages : non seulement les effets directs, qui varient de toute façon selon les emprunteurs et les épargnants et en fonction des groupes d’âge, mais aussi les effets indirects liés à l’incidence de la politique monétaire sur la production et l’emploi. Ce ne sont pas les mêmes effets pour les travailleurs des secteurs les plus sensibles aux fluctuations des taux d’intérêt (construction, biens d’équipement durables, etc.) et les travailleurs des secteurs d’activité moins cycliques. Les pouvoirs publics devraient toujours protéger les populations les plus vulnérables, mais les mesures budgétaires qui compensent directement les effets des variations de taux peuvent nuire à l’efficience de la politique monétaire et se révéler moins efficaces que d’autres politiques de revenu.

NICHOLAS OWEN fait partie de l’équipe de Finances & Développement.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.