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L’archipel doit relever de nombreux défis pour s’affranchir des combustibles fossiles

C’est en 2017 que Pardinan Sakerebau et sa famille, vivant à Pukurayat, un hameau des îles Mentawai non raccordé au réseau électrique, ont vu leur maison s’illuminer pour la première fois grâce à l’électricité fournie par quatre lampes alimentées par un panneau solaire installé sur le toit. La même année, le surfeur Pete Anderson a investi plus de 10 000 dollars dans un équipement photovoltaïque pour sa maison située dans une petite île à 15 km au Nord de Pukurayat. 

Aujourd’hui, une seule des lampes de M. Sakerebau fonctionne encore, car plusieurs batteries sont cassées. Quant aux panneaux solaires de M. Anderson, ils ont été transformés en étendoir après qu’un éclair a grillé l’onduleur, qui coûtait 5 000 dollars, nécessaire pour convertir l’électricité solaire en courant alternatif.

« Ça me revient moins cher d’acheter un nouveau générateur chaque année et d’utiliser de l’essence, c’est pénible », déclare M. Andersen, qui a obtenu un diplôme des beaux-arts en Californie.

L’idée selon laquelle l’énergie photovoltaïque coûte cher et demande beaucoup d’entretien explique pourquoi l’Indonésie, ce vaste archipel de 17 000 îles traversé par l’Équateur qui bénéficie d’un ensoleillement globalement constant toute l’année, possède la plus faible puissance solaire installée de tous les pays du G20. Et ce, alors même que le pays s’est engagé au niveau international à réduire ses émissions de carbone et à s’affranchir des combustibles fossiles.

Plusieurs communautés des 70 îles qui composent le chapelet d’îles Mentawai, considérées comme sous-développées par les autorités indonésiennes à l’instar de plus de 60 régions du pays, ont eu accès pour la première fois à l’électricité grâce à une technologie solaire de base.

L’énergie solaire pourrait générer en Indonésie une puissance supérieure à celle de toutes les centrales du monde entier réunies, mais, en 2021, la filière solaire photovoltaïque représentait moins de 200 mégawatts sur le réseau électrique du quatrième pays le plus peuplé du monde, soit moins de 0,1 % de la puissance totale installée.

Fabby Tumiwa, directeur de l’Indonesian Solar Association et ancien négociateur sur le changement climatique, attribue la faible utilisation de l’énergie solaire à l’économie politique du charbon, qui est très abondant en Indonésie et peut être extrait à bas coût.

« Le charbon était perçu comme la source d’énergie la moins chère », explique M. Tumiwa. « Les sources d’énergie renouvelables étaient en concurrence avec le charbon — or, il est difficile de rivaliser avec ce dernier. »

L’Indonésie est le plus grand exportateur de charbon thermique au monde, une ressource nationale qu’utilise la compagnie publique d’électricité, Perusahaan Listrik Negara (PLN), pour alimenter les deux tiers du parc électrique.

Dans les îles isolées, où les centrales à charbon ne sont pas rentables, de petites installations produisent de l’électricité en brûlant des millions de litres de gazole à un coût pouvant aller jusqu’à 22 cents le kilowattheure : elles totalisent 7 % de la puissance installée du pays.

Pour attirer les investissements, PLN a proposé aux producteurs indépendants d’électricité des contrats à long terme, rendant le réseau public tributaire d’un système d’achats garantis d’électricité produite à partir de charbon, même lorsque l’offre d’électricité était supérieure à la demande.

Le financement du démantèlement des anciennes centrales à charbon soulève encore des questions. Cette année, le ministre des Entreprises publiques, Erick Thohir, a fait savoir que le coût de la mise à l’arrêt, d’ici 2050, de centrales à charbon totalisant 15 gigawatts pourrait atteindre 600 milliards de dollars.

À court terme, PLN prévoit de réduire les émissions de son parc de centrales à charbon par une technique de cocombustion de charbon et de biomasse issue de sciure de bois et de déchets ménagers. Mais, pour Putra Adhiguna, analyste de l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), dont le siège se trouve aux États-Unis, cet objectif suppose de créer une industrie de la biomasse à partir de zéro.

Des perspectives prometteuses

La filière solaire indonésienne espère que ses perspectives s’éclairciront très prochainement étant donné que les prix de l’énergie photovoltaïque continuent de baisser et que les réformes renforcent l’attractivité de cette technologie.

En 2015, le président Joko Widodo a inauguré, en Indonésie orientale, la plus grande centrale solaire du pays à l’époque. Elle produisait de l’électricité au coût exorbitant de 25 cents le kilowattheure.

Depuis, plusieurs nouvelles centrales ont été mises en service dans les îles à l’est de Java. Cette année, PLN a signé des contrats d’achat d’électricité à un prix inférieur à 6 cents le kilowattheure pour 50 mégawatts d’électricité solaire à Bali.

En août, le gouvernement a ajouté la construction d’une centrale solaire de plusieurs milliards de dollars dans les îles Riau à la liste des projets nationaux prioritaires. Si cette centrale voit le jour, elle pourrait permettre au pays d’exporter de l’énergie propre vers Singapour et impulser l’essor d’une filière solaire nationale, selon plusieurs analystes.

L’an dernier, le ministère indonésien de l’Énergie a approuvé un plan stratégique sur 10 ans, dans lequel les énergies renouvelables représentent près la moitié de la nouvelle puissance prévue, soit 25 % de plus que dans le programme précédent.

En outre, le ministère a assoupli les conditions de déploiement de la puissance photovoltaïque installée sur toits raccordée au réseau, réduisant les délais d’obtention de permis et relevant l’autorisation d’exportation du surplus d’électricité, qui passera de 65 % à 100 %. Toutefois, expliquent des analystes, le succès de cette réforme dépendra essentiellement de la façon dont PLN met en pratique ces nouvelles règles.

La réglementation de 2021 fixe également un objectif de 3,6 gigawatts de puissance solaire sur toits d’ici 2025, soit la puissance de plus de 1 000 grandes éoliennes. Le gouvernement espère ainsi créer plus de 100 000 emplois et éviter 4,6 millions de tonnes d’émissions de carbone.

S’appuyant sur des échanges avec une trentaine de développeurs ; l’Institute for Essential Services Reform, dont les bureaux se trouvent à Jakarta, estime que 3,3 gigawatts de puissance solaire sur toits devraient être installés d’ici la fin de l’année prochaine.

M. Adhiguna, de l’IEEFA, considère que l’Indonésie a obtenu « d’assez bons résultats » en matière d’électrification rudimentaire de zones reculées non raccordées au réseau comme Pukurayat au moyen de panneaux solaires et de batteries de base.

Malgré le potentiel considérable de l’énergie solaire sur le réseau principal Java-Bali, de plus petits réseaux reposant sur le gazole dans l’Est de l’Indonésie devraient adopter plus rapidement les technologies solaires à court terme dans la mesure où le gouvernement cherche à éliminer des milliers de centrales à gazole.

En juin 2019, PLN a indiqué que l’énergie solaire représentait 0,1 % de l’électricité produite à Lombok, l’une des petites îles de la Sonde, situées dans le Sud-Est de l’Indonésie. Mais, à la fin de 2019, cette proportion avait atteint 2,8 %.

« Les petites îles de la Sonde présentent le plus grand potentiel de déploiement de l’énergie solaire en Indonésie », explique M. Tumiwa. « Cette énergie devrait y être dominante. »

Les autorités régionales veulent que les énergies renouvelables, principalement le solaire, représentent, en 2025, 35 % de la production d’électricité dans cette province d’environ 5 millions d’habitants, un objectif plus ambitieux que celui fixé par l’administration centrale pour l’ensemble du pays qui s’élève à 23 %.

L’Indonésie s’est engagée à réduire ses émissions de 31,9 % d’ici 2030 dans le document soumis par M. Widodo à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en septembre dernier.

L’essor des énergies renouvelables est aussi synonyme de réduction immédiate des ravages causés par les énergies fossiles dans les localités comme Pukurayat et dans une grande partie de l’Est de l’Indonésie.

Chaque année, la combustion domestique de bois de chauffage ou de kérosène est à l’origine de milliers de décès d’enfants de moins de 5 ans victimes de pneumonies selon l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance.

Avant de recevoir quatre lampes et un panneau solaire en 2017, la famille de M. Sakerebau éclairait sa maison au moyen d’une bougie artisanale à kérosène que les habitants des îles Mentawai appellent alito et qui est une cause bien connue de pollution atmosphérique et d’incendies domestiques.

« Avant, nous avions peur », se souvient M. Sakerebau.

HARRY JACQUES est un journaliste basé en Asie du Sud-est.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.