Femmes et finance : un plaidoyer économique en faveur de l’égalité des sexes
Martin Cihák et Ratna Sahay19 septembre 2018
De plus en plus d’études montrent que l’accès et l’utilisation accrus
des services financiers par les femmes peuvent avoir des avantages tant
économiques que sociaux. (Picture
Sebastio Mareira/Newscom)
Les femmes sont sous sous-représentées à tous les niveaux du système financier mondial : des déposants aux emprunteurs en passant par les membres des conseils d’administration des banques et les instances de réglementation.
D’après notre nouvelle étude, une meilleure inclusion des femmes parmi les utilisateurs, les fournisseurs et les instances de réglementation de services financiers présente des avantages au-delà de la réduction des inégalités entre les sexes. Un moindre écart entre les hommes et les femmes serait bénéfique pour la stabilité du système bancaire et la croissance économique. Cela permettrait aussi d’établir des politiques monétaires et budgétaires plus efficaces.
En moyenne, les femmes représentaient à peine 40 % des déposants et des emprunteurs en 2016, d’après les résultats de l’étude du FMI publiés, pour la première fois, cette année. Ces données agrégées révèlent de grandes disparités entre les régions et les pays. Par exemple, 51 % des emprunteurs au Brésil sont des femmes, contre seulement 7 % au Pakistan.
De plus en plus d’études montrent que l’accès et l’utilisation accrus des services financiers par les femmes peuvent avoir des avantages tant économiques que sociaux. Au Kenya, par exemple, les femmes commerçantes qui possèdent un compte en banque de base investissent davantage dans leurs entreprises. Au Népal, les ménages qui ont à leur tête une femme dépensent plus dans l’éducation après avoir ouvert un compte d’épargne.
En étant plus inclusifs, les circuits financiers peuvent rendre les politiques budgétaires et monétaires plus efficaces.
De tels avantages expliquent pourquoi un meilleur accès aux services financiers stimule la croissance économique. Le fait d’accroître le nombre de femmes utilisatrices de ces services présente les mêmes avantages. En étant plus inclusifs, les circuits financiers peuvent rendre les politiques budgétaires et monétaires plus efficaces en élargissant les marchés financiers et l’assiette fiscale.
Lorsque les femmes dirigent dans le secteur de la finance
Mais qu’en est-il du système financier lui-même ? Est-il important que les femmes soient représentées parmi les banquiers et les instances qui les contrôlent ?
Dans une de nos études précédentes, nous avons montré que de grands écarts persistent entre le nombre de femmes et d’hommes occupant des postes de direction au sein des banques et des organes de contrôle bancaire dans le monde.
Nous avons conclu que moins de 2 % des PDG d’institutions bancaires et moins de 20 % des membres des conseils d’administration étaient des femmes. La part des femmes siégeant au conseil des instances de contrôle bancaire est également faible : à peine 17 % en moyenne en 2015.
Quant aux utilisateurs des services financiers, nous avons remarqué qu’il existe, entre les régions, de grandes disparités en ce qui concerne la présence de femmes à la direction des banques. Les pays d’Afrique subsaharienne affichent la part la plus élevée de femmes cadres dans les banques, et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la part la plus faible. Les pays avancés se situent au milieu.
Nous avons découvert que l’écart entre les sexes au niveau de la direction a une incidence sur la stabilité bancaire. Les banques avec une plus grande part de femmes administratrices avaient des volants de fonds propres plus élevés, une proportion plus faible de créances douteuses et une plus forte résistance aux tensions.
Nous avons établi le même lien entre la stabilité bancaire et la présence de femmes au sein des conseils de réglementation bancaire.
Qu’est ce qui se cache derrière ces constats ? Quatre facteurs pourraient expliquer pourquoi une plus grande part de femmes au sein des conseils d’administration et de contrôle bancaire contribuerait à une stabilité financière accrue :
- Les femmes géreraient mieux les risques que les hommes ;
- En raison des pratiques discriminatoires dans le processus de recrutement, il est possible que le peu de femmes qui arrivent à gravir les échelons soient mieux qualifiées et plus expérimentées que leurs homologues masculins ;
- Un plus grand nombre de femmes siégeant aux conseils favorise une diversité de pensée et donc une meilleure prise de décision ; et
- Il se peut que les entreprises qui ont tendance à attirer et à nommer des femmes à des postes de direction soient, au départ, mieux gérées.
D’après les conclusions de notre étude et d’autres recherches en la matière, le degré plus élevé de stabilité qui a été constaté est probablement dû aux effets bénéfiques de la diversité des vues au sein du conseil d’administration ainsi qu’aux pratiques discriminatoires qui se traduisent par le recrutement de femmes mieux qualifiées et plus expérimentées que les hommes.
Nos conclusions plaident en faveur de l’inclusion financière des femmes pour renforcer la croissance économique et favoriser la stabilité financière.
Plus d’études et des données plus exhaustives sont nécessaires afin de comprendre comment tirer au mieux profit de l’inclusion et définir les conditions propices à l’accession des femmes aux postes de direction au sein des banques et des instances de contrôle.
Nous saluons les importantes contributions des co-auteurs précédents, Papa N’Diaye, Adolfo Barajas, Srobona Mitra, Annette Kyobe, Yen Nian Mooi, et Seyed Reza Yousefi, ainsi que celles de l’équipe chargée de l’enquête sur l'accès aux services financiers auprès du département des statistiques du FMI.
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Ratna Sahay est directrice adjointe du département monétaire et des marchés de capitaux. Elle a précédemment occupé divers postes au sein du département des études, du département financier des départements Asie, Europe, Moyen-Orient et hémisphère occidental du FMI où elle a dirigé d’importants projets d’analyse et de politique générale ainsi que plusieurs missions dans des pays émergents. Mme Sahay a écrit dans de nombreuses publications de premier plan sur des sujets tels que les crises financières et les retombées sur les marchés financiers, l’inflation, la croissance économique, la politique budgétaire et la viabilité de la dette et les économies en transition. Elle a enseigné à l’université de Delhi, à l’université Columbia et à New York University, où elle a obtenu un doctorat en sciences économiques.
Martin Cihák est conseiller au département monétaire et des marchés de capitaux, où il se consacre à l’analyse des marchés de capitaux mondiaux. Ses travaux ont également porté sur les évaluations de la stabilité financière et les tests de résistance, le développement des circuits financiers et l’inclusion financière, la réglementation du secteur financier et le rôle de l’État dans la finance. M. Cihák a traité de ces questions et d’autres thèmes dans un grand nombre d’articles et de publications et dans le cadre de nombreuses missions du FMI et de la Banque mondiale. Entre 2011 et 2013, il a dirigé le rapport sur le développement financier dans le monde au Groupe de la Banque mondiale. Avant de rejoindre le FMI en 2000, M. Cihák a occupé les postes d’analyste principal au sein d’une banque commerciale, de maître de conférences et de conseiller gouvernemental. Il est titulaire d’un doctorat en sciences économiques et de maîtrises en économie et en droit.