Mettre fin au harcèlement pour aider l’économie

Par Christine Lagarde, Corinne Deléchat et Monique Newiak
5 mars 2018

Les femmes qui vivent dans des pays où la protection contre le harcèlement est meilleure, y compris sur les lieux de travail, ont plus de chances d’ouvrir un compte en banque, d’emprunter et d’épargner, ainsi que d’utiliser des services financiers tels que les paiements mobiles (iStock by Getty Images).

Cette année, la Journée internationale de la femme est l’occasion de lancer de nouveaux appels à faire progresser la parité des sexes, notamment avec la campagne #pressforprogress. Donner aux femmes et aux filles la possibilité de réussir n’est pas seulement juste, c’est aussi le moyen de transformer la société et l’économie. C’est en libérant ce potentiel de transformation que l’on favorisera une meilleure égalité des chances. Il s’agit par exemple de l’égalité des droits entre hommes et femmes et de l’égalité d’accès à l’éducation, à la santé et aux services financiers. Une autre question fondamentale est tout aussi importante, l’instauration d’un climat de sécurité, et notamment la protection contre le harcèlement.

Notre message est très clair : en apportant une protection juridique contre le harcèlement sexuel, on crée un climat dans lequel les femmes ont plus de chances d’être actives économiquement et financièrement.

Une nouvelle étude des services du FMI sur les facteurs propices à l’inclusion financière des femmes, intitulée « What is Driving Women’s Financial Inclusion Across Countries? » fait précisément le lien entre l’accès financier et la protection contre le harcèlement. Nous avons étudié ce lien de façon empirique à l’aide d’une enquête auprès de 1 000 personnes dans plus de 140 pays.

Protection juridique et inclusion financière

Les femmes ont moins de chances que les hommes d’accéder aux services financiers. C’est particulièrement le cas dans les pays émergents et en développement, où dans les classements de l’inclusion financière, les femmes obtiennent une note inférieure de 14 % environ à celle des hommes (voir le graphique).

Nous nous sommes donc penchés sur les facteurs qui favorisent l’accès des femmes aux services financiers. Nous avons constaté que les femmes qui vivent dans des pays qui offrent une plus grande protection contre le harcèlement, y compris au travail, ont une plus grande propension à ouvrir un compte bancaire, à emprunter et épargner et à utiliser des services financiers tels que les paiements mobiles.

Cette corrélation est forte. En moyenne, l’accès financier des femmes vivant dans un pays émergent ou en développement augmente de près de 16 % lorsqu’elles bénéficient d’une protection financière—en d’autres termes, l’inclusion financière est plus forte. En moyenne, chez les femmes d’Afrique subsaharienne, cet accès augmente de près de 25 %. Mettre fin au harcèlement et élargir l’accès des femmes aux services financiers peut transformer la vie des femmes.

Ce ne sont pas les seuls avantages. C’est toute la donne économique que l’on peut changer en encourageant l’égalité des chances. Un accès financier accru signifie davantage d’activité économique des femmes, y compris des femmes cheffes d’entreprises. Il stimule la croissance économique et la productivité et se traduit par une répartition plus équitable des revenus, plus de bénéfices pour les entreprises et une plus grande stabilité économique.

Une protection juridique très insuffisante

Notre étude montre sans équivoque qu’en protégeant les femmes contre le harcèlement, on peut tirer des avantages économiques sur plusieurs plans. C’est aussi une question morale. Le mouvement #metoo a en effet montré que le harcèlement sexuel était omniprésent dans de nombreux pays et a suscité une indignation compréhensible un peu partout dans le monde.

Ces débats sont importants et s’imposaient depuis longtemps, mais ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Une base de données détaillée et des rapports de la Banque mondiale révèlent ce qui suit :

• En 2017, près de 290 millions de femmes adultes ne bénéficiaient d’aucune protection juridique contre le harcèlement sexuel, et plus de 360 millions de femmes n’étaient pas protégées du harcèlement sur leur lieu de travail.

• Le vide juridique s’étend à la famille. Près d’un quart des pays n’offrent aucune protection contre la violence familiale.

• L’absence de protection juridique touche les filles dès leur plus jeune âge. Certains pays fixent un âge légal du mariage différent pour les hommes et les femmes, et près de 100 millions de filles ne bénéficient pas d’une protection juridique suffisante contre le mariage des enfants.

Il ne suffit pas de changer les lois, il faut aussi les faire appliquer. D’autres mesures sont également utiles, et les pouvoirs publics peuvent agir dès à présent. Ainsi, la politique budgétaire peut jouer un rôle accru en finançant des investissements dans la sécurité des transports et dans les sanitaires pour les femmes et les filles, et en aidant les victimes des violences fondées sur le genre.

Rester engagés

De concert avec ses partenaires, le FMI est déterminé à agir avec tous les pays du monde pour définir les politiques qui aident les femmes à réaliser leur potentiel. Outre les travaux d’analyse sur la dimension macroéconomique de l’égalité des sexes, le FMI élargit ses analyses des pays et ses conseils dans ce domaine. À ce jour, nous avons étudié un sixième environ de nos 189 États membres et nous leur avons donné des conseils sur les questions d’égalité entre les sexes. Il s’agit de problèmes pluridimensionnels, qu’il faut donc résoudre à l’aide de stratégies pluridimensionnelles.

Pas plus tard que cette semaine, nous avons publié une étude sur le Nigéria qui montre qu’une réduction des inégalités femmes-hommes pouvait accroître la croissance du PIB réel de 1¼ point de pourcentage chaque année. Nous avons recommandé un train de mesures, notamment le renforcement et la mise en vigueur de protections juridiques, l’accroissement des investissements dans les infrastructures, la santé et l’éducation, et des politiques visant à réduire la violence contre les femmes. De plus, nous conseillons aux pays avancés de prendre des dispositions pour aider les femmes à participer à la vie économique, notamment en prévoyant des congés parentaux bien conçus, des structures d’accueil des enfants peu coûteuses et de bonne qualité et des politiques fiscales qui ne pénalisent pas le deuxième apporteur de revenu. Enfin, des programmes appuyés par le FMI en Égypte et au Niger prévoient des mesures qui donnent une autonomie économique aux femmes sous forme d’investissements dans des crèches publiques et des améliorations de la sécurité dans les transports publics.

Il ne faut pas de contenter de parler de parité des sexes pendant la Journée internationale de la femme. C’est toute l’année que nous devons continuer de nous attaquer à ce problème, et le garder au premier rang de nos priorités.

Nous continuerons de jouer notre rôle, c’est promis.
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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des Finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au Commerce extérieur pendant deux ans.

Par ailleurs, Mme Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.


Corinne Deléchat est chef de division au département Afrique du FMI. Elle dirige actuellement les missions au Cameroun et supervise un groupe de cinq pays d’Afrique centrale. Dans les trois départements du FMI où elle a travaillé, Mme Deléchat a couvert divers pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, et notamment la réaction du FMI au tremblement de terre de 2010 à Haïti et la crise Ébola de 2014 au Libéria, ainsi qu’un large éventail de questions relatives aux secteurs financier et extérieur. Avant d’entrer en fonction au FMI en 2000, elle a été économiste principale au ministère suisse de l’Économie, chargée de l’aide bilatérale à un groupe de pays à faible revenu, et à l’OCDE. Mme Deléchat détient une maîtrise et un doctorat en économie de Georgetown University, et une maîtrise en économie internationale de l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève).


Monique Newiak est économiste à la division des études régionales du département Afrique du FMI. Elle étudie principalement les pays anglophones et francophones de l’Afrique de l’Ouest tels que le Ghana et les membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Auparavant, elle a travaillé au Département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation sur des problématiques liées à l’emploi et à la croissance, à la conditionnalité des programmes du FMI et au commerce.

Monique Newiak est titulaire d’un doctorat en économie de la Ludwig-Maximilans-University de Munich, et de maîtrises en administration des entreprises et en économie. Ses travaux de recherche et publications portent sur l’économie du développement, l’économie internationale, l’économie monétaire et les aspects économiques de la problématique hommes–femmes.



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