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Une gouvernance améliorée et une définition plus claire des rôles et des responsabilités peuvent renforcer la coopération entre la Banque mondiale et le FMI en matière climatique

Durant les dernières décennies, les institutions de Bretton Woods, c’est-à-dire le FMI et la Banque mondiale, ont contribué avec succès à la stabilité mondiale, une croissance économique sans précédent, une prospérité grandissante et un recul généralisé de la pauvreté. Mais le changement climatique est un nouveau défi mondial qui appelle une riposte rapide de tous les pays. Créer de nouvelles institutions multilatérales dédiées à l’action climatique prendrait trop de temps. Mieux vaut équiper les institutions existantes pour coordonner la lutte mondiale contre le réchauffement planétaire.

Pour autant, il ne faut pas que ce mandat additionnel soit confié aux institutions de Bretton Woods au détriment de leurs mandats fondamentaux, à savoir la stabilité économique et financière pour le FMI et le développement durable et la lutte contre la pauvreté pour la Banque mondiale. De surcroît, pour approfondir leurs travaux sur le climat, ces deux institutions doivent prendre trois mesures clés en lien avec le financement, la gouvernance et les mandats.

Les recommandations qui suivent se fondent sur une nouvelle publication du Groupe de travail sur la réforme multilatérale du Comité de Bretton Woods appelant à renforcer le FMI et la Banque mondiale pour relever les défis mondiaux du XXIe siècle (« Strengthening the World Bank and the IMF to Meet 21st Century Global Challenges ») et à laquelle j’ai contribué en tant que coprésident de ce groupe avec Joaquim Levy et Siddharth Tiwari.

Financement

L’action climatique au FMI et à la Banque mondiale aura un coût ; les deux institutions doivent disposer de moyens financiers supplémentaires, car redistribuer les ressources existantes ou épuiser les marges de manœuvre financière ne suffira pas.

Le cas de la facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) l’illustre bien. La FRD reflète une approche novatrice et louable visant à financer la lutte contre le changement climatique, mais réaffecter à cette cause des milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) « inutilisés » supposerait des arbitrages peu souhaitables entre l’action climatique et la mission centrale du FMI. Utiliser des réserves de banque centrale ou des DTS pour financer la lutte contre le changement climatique pose également un problème.

Mieux vaudrait financer la FRD grâce à de nouveaux engagements financiers pris par une coalition de pays déterminés à promouvoir l’action pour le climat (dans l’idéal, tous les pays membres du FMI y participeraient en fonction de leur quote-part). Il serait aussi plus cohérent de traiter les activités climatiques du FMI dans tous les pays membres comme des obligations financières incombant en définitive aux États concernés et officiellement intégrées dans leur dette publique. L’action du FMI en faveur du climat ’ne relève pas de la responsabilité ’des banques centrales et devrait être systématiquement traitée comme une nouvelle tâche du FMI consistant à soutenir les politiques environnementales de ses pays membres, lesquelles sont financées par des dépenses publiques.

Gouvernance

L’efficacité exige une division claire du travail entre le FMI et la Banque mondiale pour exercer ces nouveaux mandats climatiques. Une harmonisation des obligations de financement et des pouvoirs décisionnels au niveau des deux institutions est impérative. Même si la mise en œuvre effective des politiques de lutte contre le changement climatique devrait incomber à la direction générale des institutions de Bretton Woods, leurs actionnaires doivent disposer d’un pouvoir de décision pour réellement superviser et contrôler l’action en faveur du climat menée par la direction.

Pour le mandat central relatif au développement durable et à la lutte contre la pauvreté, le Comité du développement de la Banque mondiale sert de conseil consultatif et se compose habituellement des ministres des Finances ou du Développement des pays membres. Son rôle est de prodiguer des conseils et des recommandations aux conseils des gouverneurs du Groupe de la Banque mondiale et du FMI sur des questions et des politiques de développement cruciales.

Pour le programme de la Banque mondiale en faveur du climat, un comité « développement et climat » élargi devrait être le véritable organe décisionnaire, doté de prérogatives comparables à celles d’une assemblée générale d’actionnaires dans le monde des affaires. Cet organe de supervision, qui se composerait des ministres des Finances des pays membres, serait chargé d’approuver les directives générales des institutions de Bretton Woods sur l’action climatique, les financements et les collaborations.

Le Comité monétaire et financier international est le principal organe consultatif du FMI sur son mandat central, la stabilité financière. Réunissant les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des États membres du FMI, son rôle consiste au premier chef à donner des orientations et des avis sur des questions monétaires et financières internationales essentielles, comme les politiques de change, la stabilité économique mondiale et les politiques et activités du FMI.

Pour le programme du FMI en faveur du climat, un nouvel organe de direction, le « conseil du FMI » devrait être chargé de superviser et diriger l’action pour le climat du conseil des gouverneurs et du conseil d’administration. Il comprendrait un gouverneur de chaque pays membre, qui en serait généralement le ministre des Finances. Ce conseil se réunirait au moins une fois par an pour piloter l’action du FMI en faveur du climat.

Mandats

Pour traiter ensemble des questions climatiques avec efficacité, le FMI et la Banque mondiale doivent se concentrer sur leurs atouts et leurs compétences historiques et s’appuyer sur leurs 80 années d’expérience à l’échelle mondiale. Depuis leur création, le point fort des deux institutions est de conseiller les responsables de l’élaboration des politiques économiques, le plus souvent dans le cadre d’une démarche descendante de formulation d’avis macroéconomiques du côté du FMI et d’une démarche ascendante d’appui à des projets en ce qui concerne la Banque mondiale. L’un des autres domaines d’influence historiques des institutions de Bretton Woods est l’assistance financière ; au FMI, il s’agit traditionnellement de prêts concessionnels et d’allégements de dette et, à la Banque mondiale, de dons pour le développement et de financements de projets.

En matière de politiques liées au climat, le FMI devrait s’attacher en priorité à dispenser des conseils de politique macroéconomique sur la prise en compte des questions climatiques dans les politiques budgétaires, monétaires et de change et à fournir des évaluations de la stabilité macrofinancière. La Banque mondiale devrait offrir ses conseils sur les politiques de développement et les investissements infrastructurels liés au climat.

S’agissant de l’assistance financière liée au climat, le FMI devrait accorder des prêts concessionnels pour aider les pays à régler leurs problèmes immédiats de financement de la balance des paiements et de budget, qui sont aggravés par les chocs climatiques. La Banque mondiale devrait augmenter les financements pour l’action climatique grâce à des prêts (concessionnels ou pas), des dons et des instruments financiers innovants afin de soutenir des projets et des programmes dans ce domaine, en particulier dans les pays à faible revenu et les pays vulnérables.

Ces dernières années, le FMI et la Banque mondiale ont pris plusieurs mesures pour combattre le changement climatique et soutenir la lutte contre ses effets.

La Banque mondiale a considérablement augmenté ses financements en faveur de projets et d’initiatives liés au climat, surtout dans les domaines suivants : énergies renouvelables, efficacité énergétique, transports durables, infrastructures résilientes face au changement climatique et gestion des ressources naturelles. Dans le cadre de sa stratégie de financement innovante, la Banque mondiale émet des obligations vertes pour financer des projets et programmes respectueux du climat, attirant ainsi des capitaux d’investisseurs pour les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’agriculture durable et autres initiatives liées au climat. Il est important de noter que la Banque mondiale propose aussi une assistance technique, des conseils de politique économique et des prêts en faveur de réformes pour aider les pays à concevoir et mettre en œuvre des mécanismes de tarification du carbone (taxes, systèmes d’échange d’émissions, etc.) ; l’objectif est d’intégrer le coût des émissions et de promouvoir un développement sobre en carbone.

Le FMI évalue les risques climatiques pesant sur la stabilité économique, les systèmes financiers et la croissance économique dans ses pays membres, auxquels il livre des analyses et des recommandations pour atténuer ces risques. Il conseille aussi ses membres pour l’intégration des aspects climatiques dans leurs programmes de réformes budgétaires, monétaires et structurelles, en promouvant des stratégies de croissance à bas carbone et des mesures de renforcement de la résilience. Les activités de surveillance du secteur financier conduites par le FMI prennent en compte les risques liés au changement climatique et il évalue l’exposition des institutions financières à ces risques et promeut des mesures visant à améliorer leur résilience et leur viabilité. Il favorise le développement de marchés et d’instruments de financement vert (obligations vertes, assurance climatique, mécanismes de tarification du carbone, etc.) pour lever des investissements dans le secteur privé et financer ainsi des projets et initiatives sans effet sur le climat.

Le FMI et la Banque mondiale ont déjà largement contribué à la lutte contre le changement climatique, mais une meilleure gouvernance et une définition plus claire des rôles et responsabilités les rendront encore plus efficaces. En dernier ressort, c’est aux actionnaires des institutions de Bretton Woods qu’il incombe de mener une action climatique à grande échelle : à eux de fournir les ressources financières supplémentaires qui permettront d’intensifier et de lancer le type d’actions climatiques dont nous avons besoin pour surmonter la crise climatique.

AXEL WEBER préside le centre d’études financières de l’Université Goethe. Il a aussi été président de la Deutsche Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.