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La coopération et la convergence de vues pourraient apaiser les tensions commerciales

La multiplication des subventions octroyées par certaines grandes puissances économiques a fortement avivé les tensions commerciales à l’échelle mondiale. L’adoption de nouvelles subventions, de droits compensateurs et de mesures législatives telles que la loi sur la réduction de l’inflation (États-Unis), le plan industriel du pacte vert (Union européenne) et la stratégie « Made in China 2025 » font craindre une guerre des subventions, c’est-à-dire une concurrence entre pays subventionnaires qui conduirait à un nivellement par le bas.

Cette inquiétude a été exacerbée par l’effet d’entraînement des subventions versées par un grand bloc commercial, d’autres pays ayant été ainsi incités à lui emboîter le pas en l’espace de seulement six mois. Pour atténuer et enrayer cette dynamique préoccupante, il est important de comprendre les craintes et les objectifs qui sous-tendent ces actions. Qu’est-ce qui motive les pouvoirs publics à subventionner l’économie nationale ? Quels problèmes les subventions peuvent-elles causer ? Et comment prévenir une guerre généralisée des subventions ?

Pourquoi les pouvoirs publics versent-ils des subventions ?

Une subvention consiste en un transfert de ressources publiques à une entité du pays concerné sans contribution équivalente en retour. Les subventions peuvent prendre de nombreuses formes, dont des subventions directes aux entreprises du pays, des incitations fiscales ou des conditions de financement favorables. Les pouvoirs publics les octroient pour atteindre divers objectifs, lesquels déterminent les conditions de subventionnement.

Un État peut octroyer une subvention pour atteindre un objectif stratégique national ou bénéficier d’un avantage concurrentiel sur les marchés internationaux. Mentionnons les subventions à la production dans les secteurs de haute technologie tels que l’aérospatiale et les télécommunications, que les autorités peuvent octroyer pour garantir les chaînes d’approvisionnement ou assurer leur prévisibilité, ou encore pour protéger d’autres intérêts liés à la sécurité nationale.

Dans certains cas, la subvention n’est pas clairement motivée et peut être le fruit d’activités de lobbying ou de pressions politiques. Elle peut également être dictée par des objectifs compréhensibles des politiques publiques dans divers secteurs allant de la santé aux changements climatiques, tels que la nécessité de corriger les défaillances du marché ou de répondre à une situation d’urgence nationale. Les subventions publiques à la fabrication de vaccins contre la COVID-19, qui visaient à remédier aux contraintes de capacité, en sont un exemple récent. Quelle qu’en soit la raison d’être, une subvention mal conçue qui a des effets préjudiciables sur d’autres pays peut donner lieu à des mesures de rétorsion.

En quoi les subventions posent-elles problème ?

Suivant l’argument économique classique avancé contre le subventionnement, cette pratique entraîne un manque de cohérence entre les prix et les coûts de production. Ce faisant, les subventions peuvent avoir un effet de distorsion du marché, faire obstacle à l’efficacité et détourner les ressources vers des utilisations moins productives. Les subventions qui avantagent une entreprise en particulier peuvent étouffer l’innovation et forcer des entreprises efficaces à sous-traiter ou à se retirer complètement du marché, ce qui peut réduire la productivité globale. Elles ouvrent également la voie à un comportement de recherche de rente, c’est-à-dire des activités qui visent à contrôler la distribution des ressources économiques afin d’obtenir des résultats positifs pour des individus et non pour la société, et elles nuisent aux pays qui ne peuvent pas se permettre de subventionner.

Les subventions peuvent également favoriser des pratiques qui vont à l’encontre de l’intérêt général et ont des effets préjudiciables sur l’environnement et la santé. Par exemple, selon des économistes du FMI, le monde aurait pu réduire les émissions de carbone de 28 % et les décès attribuables à la pollution de l’air de 46 % si les décideurs avaient accepté de remplacer le subventionnement des combustibles fossiles par une tarification efficace du carbone.

Mais c’est surtout pour les relations commerciales que les subventions sont source de tension. Premièrement, les subventions peuvent fausser les décisions en matière de commerce et d’investissement prises dans d’autres pays, notamment lorsqu’elles comportent des dispositions discriminatoires telles que l’obligation d’utiliser des intrants entièrement ou en grande partie d’origine nationale pour la fabrication d’un produit. Par exemple, si le pays A accorde des crédits d’impôt aux acheteurs d’un article dont tous les composants sont d’origine nationale, cette mesure donnera probablement des résultats inefficaces sur le plan économique : il se peut que les fabricants reconfigurent les chaînes d’approvisionnement pour donner la priorité aux partenaires nationaux ; que les producteurs étrangers délocalisent leur activités de production dans le pays A ; ou encore que les consommateurs du pays A en viennent à privilégier de manière injustifiée les articles produits dans ce pays.

Deuxièmement, les subventions amoindrissent largement les avantages résultant des négociations sur les droits de douane et l’accès aux marchés qui ont été menées dans le cadre d’accords régionaux et multilatéraux. Cet effet est le plus souvent observé lorsque les subventions restreignent l’accès qui avait été amélioré par des réductions tarifaires. Au fil du temps, cela peut renforcer le sentiment que le commerce est inéquitable, et l’appui au commerce dans la population pourrait ainsi faiblir. 

Troisièmement, les subventions peuvent donner l’impression aux partenaires commerciaux que les pouvoirs publics encouragent la concurrence déloyale, ce qui pourrait les pousser à réagir en conséquence. Pour reprendre l’exemple précédent, le pays B, l’un des principaux partenaires commerciaux du pays A, constate que ses entreprises qui fabriquent les mêmes articles que ceux qui sont subventionnés par le pays A sont lésées par ces importations bon marché en provenance de ce pays ; il pourrait alors imposer des droits compensateurs afin de neutraliser les effets des subventions. Il pourrait également subventionner la production de ces articles sur son territoire et introduire des mesures similaires à celles du pays A. Ces réactions pourraient inciter le pays A à prendre des mesures de rétorsion, ce qui conduirait à une escalade de la guerre des subventions.

Les règles internationales peuvent-elles être utiles ?

L’accord sur les subventions et les mesures compensatoires (accord SMC) et l’accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) offrent une base solide pour l’établissement de règles applicables aux subventions ayant une incidence sur le commerce des marchandises. L’accord SMC, par exemple, définit les subventions, y compris celles qui sont interdites (telles que les subventions à l’exportation et les subventions subordonnées à la teneur en éléments locaux) et celles qui peuvent être contestées en raison de leurs effets préjudiciables sur un autre pays. Il oblige les pays à notifier certaines subventions à l’OMC et prévoit des mesures correctives unilatérales et multilatérales, y compris des mesures compensatoires et le recours au mécanisme de règlement des différends de l’OMC.

L’accord SMC présente toutefois d’importantes lacunes. L’une des principales est que certains types d’intervention publique, y compris les subventions accordées aux entreprises publiques ou octroyées par celles-ci, ne sont pas automatiquement considérées comme des « subventions » suivant la définition actuelle qu’en donne l’OMC. Ce type d’intervention peut inclure l’octroi d’un financement à des conditions favorables pour l’acquisition de terrains ou d’équipements à des entreprises publiques qui produisent des biens destinés à l’exportation. Certains pays s’interrogent sur l’application aux entreprises publiques des règles régissant les subventions, et ont intégré dans des accords commerciaux récents des mesures visant à limiter les comportements ayant des effets de distorsion du marché. Parmi ces accords figurent l’accord de partenariat transpacifique global et progressiste et l’accord conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il arrive également que certains pays omettent de notifier à l’OMC les subventions qu’ils introduisent, une situation qui a contribué à un manque de transparence et a suscité la méfiance.

Les règles ne représentent toutefois qu’une partie de l’équation. En raison du manque d’informations, les responsables politiques ont du mal à prendre des décisions éclairées sur le recours aux subventions. Par exemple, aucune analyse exhaustive des subventions et de leurs effets n’a été réalisée. Au niveau international, il existe peu de lignes directrices sur les mesures à prendre pour améliorer les subventions et limiter les retombées négatives sur les autres pays. L’absence de ces informations restreint les moyens d’actions dont disposent les autorités nationales.

Peut-on mettre fin à une guerre de subventions ?

Le contexte actuel est difficile. Depuis 2010, il y a de plus en plus de différends concernant des subventions et d’enquêtes en matière de droits compensateurs à l’OMC. Avec la multiplication des subventions publiques, il semble probable que le jeu des représailles entre grands pays concurrents se poursuivra.

Mais il est peut-être possible d’échapper à cette dynamique dangereuse. Une communication récente, présentée conjointement par quatre organisations internationales, dont le FMI, qui s’intitule « Subsidies, Trade, and International Cooperation » (« Subventions, commerce et coopération internationale »), propose des moyens d’accroître la transparence, d’améliorer les analyses et de renforcer la coopération afin que les subventions soient mieux conçues et que leurs effets préjudiciables soient limités. La coopération et la convergence de vues contribueraient grandement à réduire les tensions et à apporter l’ouverture et la prévisibilité dont le commerce mondial a tant besoin.

ELIZABETH VAN HEUVELEN est économiste au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du FMI.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.