À la fin du dernier millénaire, la communauté internationale a atteint
un objectif ambitieux et important dans le combat que nous menons tous contre la
pauvreté. En 1999, nous nous sommes engagés à alléger de
manière plus rapide et plus substantielle la dette d'un plus grand nombre de pays, chacun
d'eux pouvant alors utiliser les ressources ainsi libérées pour améliorer le
sort des plus démunis de ses citoyens. À la fin de juin 2001, le dispositif
était en place, et 23 pays, dont 19 en Afrique bénéficiaient d'un
allégement effectif de leur dette totalisant près de 34 milliards de dollars.
Nous sommes déterminés à aider les autres pays pauvres très
endettés (PPTE) à faire le nécessaire pour obtenir un allégement
de la dette dans le cadre de cette initiative.
Les progrès accomplis jusqu'à présent constituent une étape
cruciale dans la lutte contre la pauvreté, mais il reste beaucoup à faire. Les vives
préoccupations de la société civile dans de nombreux pays ont
incité la communauté internationale à agir dans le cadre de l'initiative en
faveur des PPTE. Aujourd'hui, certains demandent l'annulation totale des dettes de ces pays.
Certains prennent pour cible les institutions financières internationales. Est-ce vraiment le
meilleur moyen de garantir la disponibilité de ressources pour mener le combat contre la
pauvreté et promouvoir le développement dans les pays à faible
revenu?
Cette note examine les conséquences de l'annulation intégrale de la dette
multilatérale que d'aucuns prônent. Premièrement, elle replace
l'allégement de la dette dans le contexte d'une stratégie globale de lutte contre la
pauvreté. Deuxièmement, elle examine l'approche actuelle de l'allégement
de la dette des pays pauvres dans le cadre de l'initiative en faveur des PPTE.
Troisièmement, elle aborde la question fondamentale de savoir ce qu'apporterait
l'annulation totale préconisée. Enfin, elle analyse les conséquences pour le
financement du développement, et notamment la question de savoir qui en supporterait les
coûts.
I. La stratégie de lutte contre la pauvreté
Les causes de la pauvreté dans les pays en développement sont multiples :
leur histoire économique et politique, la mauvaise gestion économique, le manque
de rigueur de la gestion des affaires publiques, les conflits armés et des facteurs
extérieurs tels que la détérioration des termes de l'échange et la
climatologie. Pour la moitié environ des quatre-vingts pays les plus pauvres, l'endettement
extérieur excessif est aussi devenu un obstacle majeur au développement.
La lutte contre la pauvreté est aujourd'hui le principal défi du
développement. Pour combattre la pauvreté, nous devons appliquer une
stratégie globale, qui repose sur deux piliers : d'une part les efforts
déployés par les PPTE eux-mêmes pour créer des conditions
propices à une croissance soutenue, au bénéfice des pauvres et, d'autre
part, l'appui plus décisif de la communauté internationale.
Les dirigeants africains ont réaffirmé qu'il appartient à chaque pays de
s'attaquer aux obstacles endogènes à la réduction de la pauvreté.
Ils savent qu'il est important que les réformes aient des effets durables pour éviter
une accumulation excessive de dettes et pour rétablir la confiance des investisseurs. Ils
doivent s'appliquer à mener une stratégie nationale de lutte contre la
pauvreté et de croissance. Pour ce faire, il faut développer les canaux de
transmission de la politique sociale, mieux maîtriser les dépenses et assembler bien
d'autres éléments de réforme sur le plan économique, social,
politique et institutionnel. Quant à la communauté internationale, elle doit fournir
davantage d'aide publique au développement à des conditions appropriées,
ouvrir ses marchés aux exportations des pays pauvres, les aider à renforcer leurs
capacités et cibler correctement l'allégement de la dette.
L'initiative en faveur des PPTE fait partie intégrante de cette approche globale. Elle
aplanit l'obstacle du surendettement dans le combat des pays pauvres contre la misère.
Elle donne aux pays qui en ont la ferme volonté les moyens de surmonter, avec l'appui de
la communauté internationale les autres obstacles et de briser le cercle de la
pauvreté.
II. État d'avancement de l'initiative en faveur des
PPTE
Combinés à d'autres sources d'allégement de la dette, le dispositif mis
en place pour les vingt-trois pays mentionnés plus haut réduit leur dette totale des
deux tiers, et ramène leur endettement à un niveau inférieur à la
moyenne de l'ensemble des pays en développement. Sur le plan du service de la dette, les
économies sont également substantielles — environ 1,1 milliard de dollars
par an sur les trois prochaines années. Les paiements à ce titre vont diminuer de
manière spectaculaire, aussi bien en pourcentage des exportations que du PIB ou des
recettes publiques.
Il s'agit là de progrès réels. Une des raisons importantes du
succès de l'initiative est que, pour la première fois, l'allégement de la dette
est accordé dans un cadre transparent et global, qui, surtout, prévoit une
participation équitable de toutes les parties intéressées. En outre,
l'allégement est accordé uniquement aux pays qui ont démontré la
volonté et la capacité d'utiliser efficacement les ressources ainsi
dégagées. L'allégement de la dette a donc bien un prix. Dans un monde
où les ressources consacrées au développement sont rares, il est essentiel
de veiller à ce que l'allégement de la dette transforme effectivement la vie des
pauvres.
Ces pays reçoivent en moyenne environ 10 milliards de dollars par an sous forme de
dons et de prêts concessionnels. Après l'allégement de la dette au titre de
l'initiative, leurs obligations au titre du service de la dette tomberont à moins de 2
milliards de dollars par an (dont 10 % sont dus à la Banque mondiale et 12 % au FMI).
En outre, un certain nombre d'États créanciers ont indiqué
récemment qu'ils avaient l'intention d'accorder une remise de dette supplémentaire,
en sus de celle déjà accordée dans le cadre de l'initiative. Ces mesures sont
les bienvenues, mais il est essentiel que l'allégement ne soit pas accordé au prix
d'une réduction des flux d'aide. Les chiffres ci-dessus montrent qu'il est important de
maintenir de nouveaux flux d'aide pour que l'allégement de la dette vienne effectivement
compléter les efforts de lutte contre la pauvreté : une baisse de 10 % seulement
des nouveaux flux d'aide effacerait les bienfaits de l'allégement de la dette au titre de
l'initiative et l'annulation totale de la dette serait contrebalancée par une diminution de 20
% des flux d'aide. L'annulation totale de la dette exigerait une action concertée de la part
de tous les créanciers, dont beaucoup continuent à fournir de l'assistance; elle
risquerait donc de faire sérieusement baisser le total des flux d'aide financière aux
pays les plus pauvres.
III. L'annulation totale de la dette par les institutions
multilatérales contribuerait-elle au combat contre la pauvreté dans le monde?
Quel est l'argumentaire des partisans de l'annulation totale de la dette? Certains estiment
qu'une réduction supplémentaire du service de la dette permettrait aux PPTE
d'investir davantage dans la lutte contre la pauvreté. Mais l'initiative en faveur des PPTE
est déjà en train de modifier les données du problème.
Jusqu'à présent, compte tenu de l'allégement de la dette, les
dépenses sociales des 23 PPTE susmentionnés augmenteront —
d'après les projections — d'environ 1,7 milliard de dollars par an en moyenne
pendant la période 2001-2002. Ces ressources seront consacrées pour la plupart
à la santé, à l'éducation, aux programmes de lutte contre le
VIH/SIDA, aux infrastructures de base et à la réforme de la gestion publique.
Contrairement à ce que certains prétendent, les PPTE dépenseront en
moyenne beaucoup plus — et non moins — pour ces investissements sociaux
prioritaires que pour le service de la dette. Après l'allégement au titre de
l'initiative, ils consacreront environ 2 % de leur PIB au service de leur dette — soit bien
moins que les autres pays en développement — contre environ 7 % du PIB pour les
dépenses sociales.
Il est clair que les PPTE doivent continuer à cibler leurs investissements en faveur des
pauvres. Mais la question essentielle est de savoir si l'annulation de la dette dans son
intégralité est le moyen le plus efficace et le plus équitable d'appuyer ces
efforts.
La réduction de la dette au titre de l'initiative en faveur des PPTE doit être
considérée comme un acte qui n'est pas appelé à se
répéter, comme une première étape en vue de permettre à
ces pays de voler de leurs propres ailes. Leurs stratégies de croissance et de lutte contre la
pauvreté ont besoin d'un appui financier, ce qui, pour nombre d'entre eux, signifie qu'ils
auront besoin d'une aide publique concessionnelle bien plus élevée pendant de
longues années encore. À terme, ils gagneront accès aux capitaux
privés internationaux, sous forme notamment d'investissements directs et de nouveaux
prêts.
Le crédit est un moyen indispensable de financement du développement et,
pendant des décennies, il a aidé les pays en développement à
devenir des acteurs de l'économie mondiale. Cependant, il doit être accordé
dans un climat de confiance mutuelle et à des conditions appropriées, ne doit pas
être utilisé avec excès et ne doit pas devenir ingérable pour le
débiteur. De même, les créanciers doivent être convaincus que les
prêts pourront être remboursés et le seront effectivement.
Certains rejettent l'idée que les pays pauvres empruntent pour se développer.
Mais l'emprunt reste un élément crucial de l'aide extérieure. En fait, les
PPTE reçoivent déjà des transferts nets considérables d'aide sous
la forme de prêts très concessionnels, en particulier de la part des institutions
multilatérales. La plupart de celles-ci, notamment la Banque mondiale par
l'intermédiaire de l'IDA et le FMI par l'intermédiaire de la FRPC, utilisent le canal
d'accords de coopération pour aider les pays pauvres à des conditions très
concessionnelles. Il s'agit d'une source unique de financement concessionnel pour les pays les
plus pauvres, qui fonctionne selon le principe que les pays en développement
empruntent et remboursent à un fonds commun de ressources. Étant
donné leur statut de créanciers privilégiés, le FMI, la Banque
mondiale et les autres institutions financières internationales peuvent continuer à
offrir durablement une aide financière aux pays membres, même dans des
circonstances très difficiles.
Bien entendu, l'emprunt n'a pas donné de bons résultats partout. Pour une
multitude de raisons différentes, certains pays n'en ont pas tiré d'avantages
notables. Dans le cas des PPTE, cela s'est soldé par un endettement excessif. La
communauté internationale doit impérativement s'attaquer à ce
problème. C'est à quoi tend l'initiative en faveur des PPTE. Mais nous devons
aussi appuyer les besoins de développement futurs de tous les pays. C'est
pourquoi l'initiative vise à aider les pays à ramener leur dette à un niveau
tolérable et s'adresse spécifiquement aux pays pauvres les plus endettés.
L'annulation totale de la dette de ces pays uniquement se ferait au détriment d'autres pays
emprunteurs, y compris de pays qui ne peuvent pas bénéficier de l'initiative, mais
où vivent 80 % des pauvres du monde en développement. Ceux qui
préconisent l'annulation totale de la dette des PPTE uniquement doivent admettre que ce
serait inéquitable pour les autres pays pauvres.
IV. Rester en mesure de financer le développement
Les partisans de l'annulation totale de la dette ne doivent pas dissimuler le coût de
l'opération. La dette extérieure publique des pays à faible revenu totalise
460 milliards de dollars environ. Pendant de longues années encore, les PPTE et nombre
d'autres pays pauvres auront besoin de concours extérieurs pour financer leurs besoins de
développement. Une part croissante de ces besoins est couverte par des créanciers
bilatéraux et multilatéraux à des conditions concessionnelles. L'annulation
totale de la dette risque de compromettre ces concours. Elle ébranlerait aussi la confiance
des investisseurs existants et potentiels, dont les fonds sont essentiels pour le
développement à long terme des pays à faible revenu.
Le seul financement concessionnel autre que les apports de fonds des donateurs
bilatéraux vient des organisations multilatérales, essentiellement des banques
multilatérales de développement et du FMI. Ces flux concessionnels sont
financés principalement par des crédits budgétaires des pays
industrialisés et par le remboursement des prêts concessionnels accordés
antérieurement par ces organisations. Bien entendu, l'ensemble des actionnaires pourrait
créer une enveloppe budgétaire spéciale qui couvrirait le coût d'un
allégement de la dette supplémentaire ou d'un nouveau financement des
organisations multilatérales, mais à l'heure actuelle cette idée ne recueille
guère d'adhésion dans les pays donateurs. Dans ces conditions, quel serait l'effet
sur ces organisations de l'annulation intégrale de la dette qui leur est due?
L'IDA finance près de la moitié de ses nouveaux engagements
(environ 6,5 milliards de dollars par an) au moyen des remboursements qu'elle reçoit et du
revenu de ses investissements. L'IDA ne constituant pas de provision pour les pertes sur ses
crédits aux pays membres, l'annulation totale des dettes réduirait
proportionnellement sa capacité d'accorder de nouveaux crédits aux pays pauvres.
En fait, ses crédits diminueraient de moitié. Ou alors, pour les maintenir au niveau
actuel, il faudrait que les pays industrialisés doublent leurs contributions, ce qui semble
fort peu probable.
Les banques régionales de développement (BID, BAfD,
BAsD) accordent aussi des prêts à des conditions favorables et font face à
des contraintes plus strictes encore, puisqu'elles dépendent aussi des contributions des
pays industrialisés. En fait, la BAfD a encore du mal à obtenir le financement
intégral de sa part des coûts de l'initiative en faveur des PPTE dans le cadre des
mécanismes actuels. L'annulation totale de la dette paralyserait probablement ces
institutions.
La facilité du FMI pour la réduction de la pauvreté et pour la
croissance est financée elle aussi par des contributions et des emprunts. Bien
qu'elle soit maintenant presque une facilité permanente, ses opérations futures
seront financées uniquement par les remboursements de prêts déjà
accordés. L'annulation de la dette épuiserait les ressources du compte de fiducie
de la FRPC et forcerait à fermer cette facilité. Aucune ressource ne serait
disponible pour de futurs prêts concessionnels du FMI et celui-ci ne pourrait plus accorder
d'aide concessionnelle à ses pays membres les plus pauvres.
Quid des ressources non concessionnelles des organisations multilatérales?
Les facilités de prêt non concessionnelles des banques multilatérales de
développement et du FMI peuvent-elles couvrir l'allégement de la dette fourni par
les guichets de prêt à des conditions de faveur — au delà des
contributions substantielles à l'IDA et à l'initiative en faveur des PPTE qui
proviennent déjà du revenu net de la BIRD? Le fait est que les facilités de
prêt non concessionnelles s'appuient déjà sur le capital versé et les
réserves qui sous-tendent les prêts aux pays membres en développement.
Des provisions sont constituées pour les pertes éventuelles sur les engagements
figurant au bilan des banques multilatérales de développement et ne peuvent
être utilisées pour éponger des pertes sur d'autres bilans sans menacer de
faillite l'institution concernée.
Pour chaque dollar de fonds propres, la BIRD emprunte cinq dollars en
émettant des obligations cotées AAA. Sa capacité de prêt serait
donc réduite de cinq dollars pour chaque dollar utilisé pour l'allégement de
la dette à l'égard des prêteurs concessionnels. Par ailleurs, il est probable
que l'annulation de la dette affaiblirait les fonds propres de la Banque et entraînerait donc
une augmentation du coût de l'emprunt pour les pays créanciers. Avec une baisse
substantielle des emprunts et une hausse de leur coût, l'annulation de la dette aurait donc un
impact notable sur les emprunteurs admissibles aux concours de la BIRD, où vivent 80 %
des habitants les plus pauvres du monde.
Quant au FMI, l'annulation totale de la dette sans financement
intégral par les donateurs bilatéraux modifierait fondamentalement son rôle
d'ancrage du système financier international, qui repose sur la rotation de ses ressources.
L'annulation de la dette aurait pour effet non seulement de mettre fin aux prêts de la FRPC,
mais aussi de compromettre l'intégrité financière de l'institution
elle-même. Ses réserves d'or sont un des fondements de sa solidité
financière : elles lui offrent une plus grande crédibilité et lui permettent
d'aider ses pays membres en situation de crise. La décision prise par les pays membres en
1999 d'utiliser exceptionnellement le revenu de placement du produit de ventes d'or
limitées hors marché pour financer la contribution du FMI à l'initiative en
faveur des PPTE a coûté cher à l'institution et à ses pays membres.
Des ventes supplémentaires risquent d'ébranler la confiance des pays membres
dans la solidité du FMI et donc de compromettre sa capacité de prêt.
V. Aller de l'avant
Nous avons bien progressé dans l'application de l'initiative renforcée en faveur
des PPTE, mais il reste beaucoup à faire. Il s'agit maintenant de faire progresser les
dossiers de l'allégement de la dette des pays qui n'ont pas encore été admis
à recevoir un allégement au titre de l'initiative en raison de conflits ou de graves
problèmes de gestion publique. Si les pays sont attachés à la paix et
à la stabilité, nous sommes d'avis que l'allégement de la dette au titre de
l'initiative peut contribuer à assurer la transition d'une situation de conflit à un
développement durable et nous espérons aller de l'avant avec ces pays aussi vite
que possible. Mais nous ne voulons pas simplement alléger leur dette : nous
espérons aussi appuyer leur développement à long terme.
Nous pensons que le meilleur moyen pour la communauté internationale de soutenir
les stratégies que les pays à faible revenu établissent pour combattre la
pauvreté consiste à ouvrir leurs marchés aux exportations de ces pays et
à accroître les nouveaux flux d'aide concessionnelle. MM. Köhler et
Wolfensohn ont indiqué qu'ils seraient heureux de joindre leurs efforts à une
campagne dont l'objectif serait de convaincre les pays industrialisés de respecter d'ici dix
ans l'objectif fixé il y a longtemps par les Nations Unies, à savoir porter l'aide
publique au développement à un niveau équivalant à 0,7 % du
PNB, contre 0,24 % environ aujourd'hui. L'écart entre ces deux chiffres
représente 100 milliards de dollars par an, bien plus que les flux nets qu'engendreraient les
plus ambitieuses propositions d'allégement de la dette. Ce financement doit être
complété par un accès plus large aux marchés des pays
industrialisés, de manière à ce que les pays en développement
puissent s'intégrer d'eux-mêmes à l'économie mondiale. Ce sont
là des buts qui valent la peine d'être poursuivis pour atteindre les objectifs de
développement international.
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