Il est essentiel de mieux comprendre la croissance de la productivité, car son incidence sur la croissance économique est colossale

« La productivité ne fait pas tout », écrivait Paul Krugman en 1992 dans son ouvrage intitulé The Age of Diminished Expectations, « mais à long terme, presque tout ».

La productivité est un des piliers de la prospérité. La seule façon pour un pays de rehausser durablement son niveau de vie est de produire plus avec autant, voire moins de ressources. Et c’est impossible sans augmenter la productivité. C’est aussi simple que cela.

Tout le reste, en revanche, est incroyablement complexe. La productivité est difficile à expliquer, à mesurer et, comme nous le constatons depuis quelques décennies, à améliorer.

Nous savons que, dans nos sociétés vieillissantes, elle a un rôle important à jouer en tant que levier d’une croissance soutenue. Mais aucun consensus ne se dégage sur la méthode à employer pour inverser le ralentissement général des gains de productivité constaté dans presque tous les pays depuis 20 ans.

L’un des aspects particulièrement épineux du problème est l’atonie de ce que les économistes nomment la productivité totale des facteurs — qui mesure l’efficience avec laquelle les entreprises transforment le capital et le travail en production —, c’est-à-dire la composante qui reflète en principe l’innovation et la technologie.

Une analyse du FMI montre que la progression moins rapide de la productivité totale des facteurs explique plus de la moitié de la décélération de la croissance économique depuis la crise financière mondiale. Une nouvelle décennie de faible croissance de la productivité pourrait entraîner un sérieux recul des niveaux de vie et menacer la stabilité financière et sociale.

Ce numéro de Finances & Développement réunit des chercheurs de tout premier plan pour nous aider à mieux comprendre l’essoufflement des gains de productivité et à trouver comment contrer ces tendances et redynamiser l’économie.

C’est Michael Peters, économiste à Yale, qui ouvre le ban avec un examen approfondi des causes du ralentissement des gains de productivité aux États-Unis. Le dynamisme en berne de la première économie mondiale menace d’entraîner des répercussions dans tous les pays. Selon lui, une partie de la solution réside peut-être dans un recours accru à la main-d’œuvre immigrée pour compenser la diminution de la population active et des règles de concurrence plus strictes pour encourager l’innovation dans les entreprises de plus petite taille, plus jeunes et plus « affamées ».

Ces petites entreprises peuvent stimuler les gains de productivité, écrit Ufuk Akcigit, de l’Université de Chicago, qui cherche à comprendre pourquoi la hausse des dépenses américaines pour la recherche–développement ne se traduit pas nécessairement par une productivité accrue. Il montre à quel point les petites entreprises sont proportionnellement plus innovantes que les autres, peut-être parce qu’elles utilisent leurs ressources de R&D de manière plus efficiente. Quand les entreprises se développent et acquièrent une position dominante, elles se mettent souvent à protéger leur part de marché plutôt qu’à favoriser l’innovation.

Mais si l’innovation est précisément indispensable pour relancer la croissance de la productivité, elle n’est pas suffisante en soi. Les nouvelles technologies et la transformation numérique, notamment l’intelligence artificielle, peuvent à terme engendrer une forte augmentation de la productivité, indique Michael Spence, lauréat du prix Nobel. Toutefois, pour donner sa pleine mesure sur le plan économique, l’IA doit être accessible à l’ensemble des secteurs et des entreprises, petites ou grandes, conclut‑il.

Les politiques comptent aussi. Dans ce domaine, nos contributeurs laissent entendre que des mesures devraient être prises pour encourager une réaffectation plus efficace des ressources, des entreprises les moins productives vers les entreprises de plus petite taille et les jeunes pousses, plutôt qu’au profit exclusif des grandes entreprises déjà en place. Ces mesures pourraient prendre la forme de crédits d’impôt, de subventions aux stades initiaux de l’innovation, de programmes de reconversion professionnelle et de politiques encourageant la concurrence et abaissant les barrières à l’entrée de nouveaux acteurs.

Il est primordial de mieux comprendre comment naissent les gains de productivité, car ils jouent un rôle tout à fait considérable dans la croissance économique, que nous devons repenser, comme l’affirme Daniel Susskind du King’s College de Londres, afin qu’elle contribue à améliorer le quotidien des populations. En dernier ressort, une société productive devrait, pour reprendre les termes du prix Nobel Edmund Phelps, permettre une « prospérité de masse », de la base jusqu’au sommet.

Vous découvrirez bien d’autres sujets dans ce numéro, avec des articles qui, je l’espère, feront germer de nouvelles idées et fleurir de nouveaux débats.

GITA BHATT, rédactrice en chef

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.