5 min (1403 words) Read

Télécharger le PDF

Nous devons trouver une façon équitable de financer un avenir résilient au changement climatique

Quand je lis la presse, j’éprouve un sentiment d’urgence vis-à-vis de notre planète. Un nombre sans précédent de calamités climatiques (inondations, canicules, super-orages, sécheresses et incendies de forêt incontrôlables, toutes liées à l’activité humaine) menace les populations, fait dérailler l’économie et ravage la nature. L’urgence n’a jamais été aussi grande, et surmonter ces défis croissants passe par des approches innovantes pour le financement des mesures d’atténuation des émissions de carbone et d’adaptation au changement climatique. L’heure n’est plus aux promesses, il faut prendre des mesures concrètes et répartir les ressources de manière équitable et généreuse, en mettant l’humain et la planète au premier plan.

L’action climatique nécessite un large accès aux financements afin de lutter efficacement contre l’urgence climatique. Les ouragans et les canicules font fi des frontières. Or les financements climatiques sont actuellement compartimentés par région et sans commune mesure avec l’ampleur et les conséquences de la crise. Plus de 75 % des financements mondiaux pour le climat sont dépensés dans les pays où ils sont levés. De ce fait, bien des régions vulnérables, y compris celles dont la contribution initiale au réchauffement était négligeable, ont un accès limité à ces fonds.

L’Afrique, par exemple, émet moins de 8 % des gaz à effet de serre dans le monde, mais doit faire avec de nombreux problèmes liés au climat, notamment de graves pénuries d’eau, l’élévation du niveau des océans et des maladies sensibles au climat. Pourtant, l’Afrique reçoit moins de 5,5 % des financements mondiaux pour l’action climatique, alors qu’elle figure dans la catégorie des régions extrêmement vulnérables selon l’ONU. Tous les pays ont l’obligation morale commune de protéger l’environnement mondial, comme l’établit le principe des « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives », formalisé au Sommet de la Terre organisé à Rio par l’ONU en 1992. Mais tous les pays n’ont pas les mêmes moyens financiers et tous ne sont pas responsables au même chef de la situation actuelle.

Plus de 75 % des financements mondiaux pour le climat sont dépensés dans les pays où ils sont levés.

Le montant des investissements requis pour empêcher des atteintes catastrophiques à l’environnement est vertigineux : selon les estimations, il atteindrait 4 500 milliards de dollars par an d’ici 2030, puis 6 000 milliards par an en 2050, contre simplement 632 milliards de dollars par an aujourd’hui. Ces chiffres donnent à réfléchir, sachant surtout qu’environ 60 % des besoins des pays en développement ne sont pas inclus dans leurs contributions déterminées au niveau national (engagements pris aux termes de l’accord de Paris), de sorte que l’engagement de 100 milliards de dollars pris en 2009 à Copenhague pendant la 15e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP15) est dérisoire.

Qui plus est, aujourd’hui, à peine 7 % des financements pour l’action climatique sont réservés aux mesures de résilience et d’adaptation, alors que la Commission mondiale sur l’adaptation a estimé en 2019 qu’investir 1 800 milliards de dollars sur 10 ans dans des initiatives telles que les systèmes d’alerte précoce et les pratiques climatiquement rationnelles pourrait avoir des retombées positives équivalant au total à 7 100 milliards de dollars.

Compliquant encore la donne, la pandémie de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont provoqué un renchérissement des denrées alimentaires et de l’énergie, et une détérioration des conditions de financement, autant de facteurs qui ont grevé le budget dans les pays émergents et mis à l’épreuve leur résilience socioéconomique et environnementale alors que les températures augmentent comme jamais auparavant. Ces événements successifs ont détourné de l’argent et des ressources de certains projets en faveur de la durabilité et provoqué de brusques reflux des capitaux qui menacent d’annuler des décennies de progrès obtenus de haute lutte en matière de développement. D’après les estimations de la Banque mondiale, le changement climatique pourrait remettre en cause ces progrès en faisant basculer dans la pauvreté 132 millions de personnes d’ici 2030, en particulier en Afrique et en Asie du Sud.

Le coût de mise en œuvre du programme d’action pour le climat (adaptation et atténuation) dépasse de loin les ressources disponibles déployées. Une réserve de financements plus importante est manifestement nécessaire. D’après certains, si les banques de développement multilatérales consacraient l’ensemble de leurs fonds à la transition verte, cela couvrirait environ 4 % des besoins (Banque mondiale, 2020). En revanche, en transférant simplement 1 à 1,5 % des actifs privés mondiaux (dont la valeur dépasse 450 000 milliards de dollars), il serait possible de combler le déficit de financements pour le climat (Conseil de stabilité financière, 2021). Les entreprises philanthropiques sont aussi en mesure d’apporter leur concours. Ces dernières années, les financements philanthropiques pour l’action climatique ont augmenté rapidement. En 2020, les fonds destinés à l’atténuation des effets du changement climatique représentaient entre 6 et 10 milliards de dollars, soit, à titre de comparaison, moins de 2 % de tous les financements philanthropiques dans le monde.

Ce besoin urgent de capitaux a déclenché un appel international à la restructuration de l’architecture financière mondiale pour intensifier l’action climatique et, dans les pays où les besoins sont les plus criants, inviter les investisseurs privés à entrer en lice. Parmi les initiatives les plus ambitieuses figurent l’Initiative de Bridgetown et le Cadre d’adéquation des fonds propres du Groupe des Vingt.

Mettre à profit les possibilités de financement et créer des synergies entre action climatique et développement durable, telle était l’idée de départ du Guide de Charm el-Cheikh pour un juste financement de l’action climatique lancé par l’Égypte, qui présidait alors la COP27. Le but est d’aider les parties prenantes à passer plus efficacement des promesses à leur mise en œuvre en identifiant les acteurs clés, y compris les apporteurs de capitaux pour le climat, et en précisant les possibilités, les risques et les partenariats potentiels pour la résilience au changement climatique.

Ce guide contient la première définition du concept de « juste financement », qui transcende les notions de justice climatique et de transition juste. L’initiative met l’humain au premier plan et se concentre sur la répartition équitable des avantages et des charges, tout en soulignant la nécessité de préserver la dimension sociale de la transition vers un avenir résilient en matière climatique. En résumé, elle tente de mettre en pratique le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives en traitant les aspects suivants : appropriation par les pays, accès, abordabilité et biais dans l’affectation des ressources. Elle promeut aussi l’« additionnalité » (effets bénéfiques exclusivement attribuables à une intervention) et la bonne gouvernance. Assorti de 12 principes directeurs, le juste financement tient compte des responsabilités historiques en matière de changement climatique, tout en garantissant un accès équitable à des financements pour l’action climatique suffisants et de qualité, qui favorisent des trajectoires de développement résilient et ne laissent personne de côté.

Accélérer la transition vers un avenir sobre en carbone et résilient au changement climatique exige une action collective et des partenariats efficaces réunissant de multiples parties prenantes. Il faut donc solliciter les acteurs financiers publics, privés et philanthropiques, et stimuler les financements pour l’action climatique à destination des pays en développement et pays émergents. Le problème est que, dans 77 % des cas, les titres émis par les emprunteurs souverains de pays en développement sont classés dans la catégorie spéculative, car considérés comme très à risque. On observe en outre d’importants déficits d’informations concernant les possibilités, l’appétit des investisseurs et les retombées des investissements.

Il est vital de remédier à ces déficits, tant pour les autorités que pour les investisseurs, et de faire du même coup la lumière sur les rapports risque–rendement, d’abaisser les coûts de transaction, de faciliter le recours à de nouveaux mécanismes de financement et d’accompagner la création de projets à fort impact, susceptibles d’intéresser les investisseurs et conformes à l’accord de Paris, et qui reflètent les priorités nationales.

Pour ce qui est de passer des politiques à l’action, l’Égypte est un exemple intéressant, puisqu’elle a lancé sa plateforme nationale axée sur le lien entre l’eau, l’alimentation et l’énergie (Country Platform for the Nexus of Water, Food and Energy, NWFE) pendant la COP27 pour mettre l’accent sur la prise en main locale des projets et adopter une démarche programmatique et ascendante pilotée par chaque pays. L’initiative NWFE (en arabe,  signifie « tenir les promesses ») introduit le chaînon manquant des projets en quête d’investisseurs et comble le déficit d’informations. Elle harmonise aussi les efforts pour permettre des interactions durables et productives entre les parties prenantes. Grâce à la conception, la structuration et la préparation de projets concrets et réalisables visant à atténuer les effets du changement climatique et à s’y adapter, la NWFE a permis de trouver des financements concessionnels et de catalyser l’investissement privé. Elle s’est appuyée sur des financements novateurs, y compris des financements mixtes et des échanges de créances pour l’action climatique (Al-Mashat et Berglöf, 2023).

À la veille de la COP28 qui se tiendra aux Émirats arabes unis d’ici la fin de l’année, il est important de faire fond sur les succès passés et de promouvoir le partage des connaissances. Le Guide de Charm el-Cheikh pour un juste financement de l’action climatique peut servir de modèle aux pays, qui doivent travailler ensemble afin de relever les défis du changement climatique et catalyser les financements pour un avenir commun sobre en carbone.

RANIA AL-MASHAT est la ministre égyptienne de la Coopération internationale.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.

Bibliographie :

Al-Mashat, Rania, and Erik Berglöf. 2023. “Fostering Climate Agency Where It Counts.” Project Syndicate, June 13.

Financial Stability Board (FSB). 2021. 2021 FSB Annual Report. Basel.

G20 Eminent Persons Group on Global Financial Governance (G20 EPG). 2018. Making the Global Financial System Work for All. Global Financial Governance report.

World Bank. 2020. Transformative Climate Finance: A New Approach for Climate Finance to Achieve Low-Carbon Resilient Development in Developing Countries. Washington, DC.