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La pandémie a relancé le débat sur les chaînes de montage mondiales installées aux quatre coins de la planète

Êtes-vous déjà allé dans un magasin où vous n’avez trouvé que des rayons vides au lieu du produit que vous vouliez acheter? Cette situation était peut-être due à une perturbation des chaînes d’approvisionnement. Habituellement, ces chaînes fonctionnent sans problème en coulisses pour vous fournir les produits dont vous avez besoin. Cependant, lorsque les chaînes d’approvisionnement s’interrompent, nous le remarquons tous. Que sont donc ces éléments essentiels de l’économie mondiale?

Les chaînes d’approvisionnement sont les chaînes de montage qui fournissent les biens destinés à la consommation finale. Pensez à l’ordinateur portable, au PC, à la tablette ou au téléphone sur lequel vous lisez cet article. Ces produits existent grâce à une multitude d’intrants différents qui passent par une chaîne d’approvisionnement complexe avant de vous parvenir sous forme de produits finis. Ce circuit comprend le développement du produit, l’approvisionnement en matières premières, l’assemblage des pièces, le test du produit final et son expédition. Ainsi, vous pouvez comparer la chaîne d’approvisionnement à une chaîne de montage qui permet d’obtenir le produit que vous, le consommateur, souhaitez acheter.

Intrants mondiaux

Par le passé, les chaînes d’approvisionnement étaient peu complexes et fonctionnaient dans des zones géographiques restreintes. Les producteurs nationaux fabriquaient des produits simples tels que le vin, le tissu ou le pain. En général, tous les composants nécessaires à la fabrication de ces produits se trouvaient à proximité du lieu de consommation du produit final. Cependant, dans notre économie moderne, les chaînes d’approvisionnement sont très complexes et font participer de nombreux producteurs dans le monde entier. Revenons à votre téléphone. Il peut contenir de l’aluminium extrait en Afrique, du silicium produit en Amérique du Sud et des micropuces fabriquées en Asie. Le dessin peut avoir été développé en Amérique du Nord, et tous les éléments peuvent avoir été assemblés dans une usine en Asie avant que le produit ne soit livré par une société de transport européenne.

Aujourd’hui, les entreprises s’approvisionnent dans le monde entier pour trouver les composants les plus appropriés à la fabrication de leurs produits. Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution. Premièrement, les progrès technologiques ont permis aux entreprises de communiquer de manière transparente avec d’autres entreprises à l’autre bout du monde et ont réduit les coûts de transport. Deuxièmement, les accords internationaux ont renforcé la prévisibilité des échanges en facilitant l’exécution des contrats et en réduisant les coûts commerciaux, grâce à la diminution des droits de douane et des barrières non tarifaires. Troisièmement, les réformes structurelles ont permis aux entreprises d’investir plus facilement dans des usines étrangères.

Ces avancées technologiques, institutionnelles et politiques ont permis aux entreprises de fragmenter leurs processus de production, provoquant un essor du commerce international des intrants de production (appelés biens intermédiaires). Tous les pays, ou presque, ont été touchés par cette profonde mutation, qui s’est traduite par une intégration accrue des pays avancés comme des pays émergents dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Le changement a été spectaculaire dans les années 90 et la première décennie des années 2000, avant que l’intégration ne se stabilise quelque peu lors de la décennie suivante.

La pression de la pandémie

Au plus fort de la crise, la pandémie a entraîné de nombreuses fermetures d’usines qui se sont répercutées sur les chaînes d’approvisionnement, les intrants intermédiaires des usines fermées devenant rares ailleurs sur ces chaînes de montage mondiales. Alors que l’offre était limitée, la demande de biens a dépassé les niveaux antérieurs à la pandémie, car les consommateurs bloqués chez eux ont réorienté leurs dépenses vers des biens leur permettant de travailler, d’apprendre et de se divertir à domicile, au détriment des services à forte intensité de contacts (comme les restaurants et les voyages). En d’autres termes, la pandémie a provoqué une demande extraordinairement élevée de biens à un moment où la capacité mondiale à fournir ces biens était confrontée à des défis sans précédent. Peu de maillons de la chaîne d’approvisionnement mondiale ont été épargnés, et certains ont fait l’objet de reportages réguliers dans les médias, comme dans le cas de la pénurie généralisée de semi-conducteurs. Même les ports sont devenus des goulets d’étranglement pour le commerce mondial, avec des files d’attente de porte-conteneurs devant les principaux ports.

La participation des différents pays aux chaînes d’approvisionnement mondiales pendant la pandémie a donc comporté des coûts et des avantages. D’une part, la participation les exposait au risque de confinement et de fermeture d’usines dans d’autres pays. D’autre part, cette participation leur a permis de s’approvisionner en biens étrangers à des périodes où l’économie nationale était durement touchée par la pandémie. Dans l’ensemble, il semble que les chaînes d’approvisionnement mondiales se soient bien adaptées à la pandémie et que les pays relativement moins touchés aient pris la relève des pays les plus durement touchés.

Quel est l’avenir des chaînes d’approvisionnement?

Les perturbations des chaînes d’approvisionnement dans le sillage de la pandémie ont mis en lumière l’importance de la résilience, c’est-à-dire la capacité des chaînes d’approvisionnement à continuer à fonctionner même en cas de chocs. Plus récemment, la recrudescence du variant Omicron et la guerre en Ukraine ont accentué l’incertitude qui pèse sur les chaînes d’approvisionnement. Dans ce contexte, les dirigeants et les entreprises examinent plusieurs options qui pourraient redéfinir les chaînes d’approvisionnement: 

  • Une première option préconisée par certains est la relocalisation (reshoring), c’est-à-dire l’abandon des chaînes d’approvisionnement mondiales et le rapatriement de la production qui est faite à l’étranger.
  • En deuxième lieu, d’autres plaident pour une plus grande diversification, en d’autres termes, une augmentation du nombre de fournisseurs étrangers pour un intrant donné, même si cela entraîne des coûts plus élevés. À moins que les pays fournisseurs ne soient tous touchés en même temps, cette approche permettrait aux producteurs de mieux résister aux chocs d’approvisionnement.
  • Troisièmement, les entreprises pourraient décider de détenir des stocks excédentaires. Un niveau de stock plus élevé permettrait aux entreprises de mieux résister aux chocs d’approvisionnement temporaires.

Les ondes de choc de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement mondiales ne sont pas encore dissipées, mais les données économiques dont on dispose à ce jour ne favorisent pas l’approche de la relocalisation. La recherche d’autonomie se traduirait par une perte d’efficacité de la production, et les informations disponibles ne semblent pas indiquer qu’elle améliorera la résilience. Cette stratégie revient à mettre tous les œufs dans le même panier national. La diversification et le surstockage sont principalement des stratégies d’assurance et les pays et les entreprises doivent décider du montant de la prime d’assurance qu’ils sont prêts à payer. Disposer de fournisseurs en réserve ou de stocks excédentaires n’est en effet pas gratuit.

Les dirigeants et les entreprises sont donc confrontés à la tâche difficile de trouver un équilibre entre leur besoin de résilience et leur volonté de payer une assurance. Le choix optimal dépend des circonstances et de la tolérance au risque propres à chaque pays. Quoi qu’il en soit, le débat sur le degré d’intégration dans les chaînes d’approvisionnement mondiales risque de perdurer. À terme, il pourrait déterminer si, la prochaine fois que vous irez dans un magasin, vous y trouverez des articles ou des rayons vides.

DIEGO A. CERDEIRO est économiste au département Asie et Pacifique.

 

NIELS-JAKOB H. HANSEN est économiste au département des études.

 

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.