Des fondations solides pour la gestion des finances publiques dans le monde arabe

le 9 février 2019

Texte préparé pour l’intervention

Bonjour — sabah al-khair ! Quel plaisir d’être de retour à Dubaï, cette ville du futur où vous, qui êtes aux commandes de son économie, vous attachez à concrétiser la vision d’un avenir meilleur.

Cette vision, c’est celle d’une prospérité partagée entre tous, profitant aussi bien aux plus pauvres qu’à la classe moyenne, aux locaux qu’aux immigrés, et offrant des possibilités à tous, y compris aux femmes. Cette vision, c’est celle où l’équité prévaut sur le népotisme et le favoritisme, et où l’action de l’État concourt au bien commun en suscitant la confiance des citoyens.

C’est une vision qui voit grand. Mais comme le déclarait le cheikh Mohammed ben Rachid Al Maktoum, « Qui voit grand réalise de grandes choses. […] Ne laissons pas la peur nous limiter. Il faut du courage pour être grand. »

Vous n’êtes pas sans savoir que les politiques de finances publiques jouent un rôle fondamental pour réaliser et promouvoir cette vision d’une croissance durable et inclusive, en particulier telle que l’incarnent les objectifs de développement durable. C’est parce qu’il est nécessaire de disposer d’espace budgétaire à consacrer aux dépenses de santé, d’éducation, de protection sociale et d’investissement public, qui constituent de grandes priorités dans cette région.

Voilà pourquoi je tenais à revenir au Forum arabe sur les finances publiques, pour la quatrième fois déjà. Lors des éditions précédentes, j’ai longuement évoqué les politiques de finances publiques, à savoir les mesures à prendre en matière de recettes et de dépenses pour assurer une croissance durable et inclusive. Cette année, je voudrais aller plus loin encore et explorer les fondations des politiques de finances publiques et de la bonne gestion budgétaire.

En effet, sans fondations stables, même les meilleures politiques peuvent vaciller. Sans fondations stables, les politiques de finances publiques manqueront de crédibilité.

Dans cette optique, je voudrais me pencher sur deux piliers de la gestion des finances publiques : i) des cadres budgétaires robustes et ii) la bonne gouvernance et la transparence.

Préambule : contexte mondial et régional

Avant toute chose, permettez-moi d’aborder brièvement le contexte économique général qui pèse sur les politiques de finances publiques dans la région.

La région ne s’est malheureusement pas encore pleinement remise de la crise financière mondiale et d’autres grands bouleversements économiques survenus au cours des dix dernières années.

Dans les pays importateurs de pétrole, la croissance s’est redressée mais elle reste en deçà des niveaux d’avant la crise. Les déficits budgétaires restent élevés et la dette publique a connu une augmentation rapide, passant de 64 % du PIB en 2008 à 85 % dix ans plus tard. La dette publique dépasse aujourd’hui 90 % du PIB dans près de la moitié de ces pays.

Les pays exportateurs de pétrole pansent encore leurs plaies après la brusque chute des cours survenue en 2014. La croissance se poursuit à un rythme modeste, mais les perspectives sont particulièrement précaires, notamment en raison de la nécessité pour ces pays de passer rapidement aux énergies renouvelables au cours des décennies à venir, conformément à l’accord de Paris. Du fait de la diminution des recettes, les déficits budgétaires ne se résorbent que lentement, malgré des réformes ambitieuses en matière de dépenses et de recettes, dont l’instauration d’un régime de TVA et de droits d’accises. Cette situation s’est traduite par une forte hausse de la dette publique, qui est passée de 13 % du PIB en 2013 à 33 % en 2018.

À l’heure actuelle, l’expansion mondiale ralentit alors que les risques augmentent. Nous avons publié il y a quelques semaines nos prévisions actualisées. Nous estimons aujourd’hui que la croissance de l’économie mondiale s’établira à 3,5 % cette année, soit 0,2 point en dessous de nos prévisions d’octobre. Et les risques s’accentuent en raison de l’escalade des tensions commerciales et du durcissement des conditions financières. Sans surprise, la détérioration du contexte mondial a des répercussions dans la région, qui se transmettent par la voie du commerce extérieur, des envois de fonds, des flux de capitaux, des cours des produits de base et des conditions de financement.

Bref, la trajectoire économique de la région s’annonce délicate. Le rôle des politiques de finances publiques s’en trouve d’autant plus ardu ; il importe donc plus que jamais d’ancrer ces politiques dans des fondations solides.

1. Cadres budgétaires

Ces fondations doivent s’asseoir sur de bons cadres budgétaires — j’entends par là l’ensemble de lois, de mécanismes institutionnels et de procédures permettant à un pays d’atteindre ses objectifs en matière de finances publiques. De tels cadres permettent aux États de planifier des budgets à moyen terme tenant compte d’objectifs clairs, cohérents et crédibles.

Il y a matière à améliorer les cadres budgétaires dans cette région. Souvent, ils privilégient le court terme et manquent de crédibilité.

Parlons d’abord de court-termisme. Par sa nature même, la croissance inclusive et durable constitue un objectif à moyen terme ; elle nécessite donc des politiques de finances publiques tournées vers le moyen terme. Privilégier l’horizon immédiat revient à compliquer la mise en œuvre de réformes indispensables mais de plus long terme, telles que remédier au niveau élevé de la masse salariale dans la fonction publique, élaborer des systèmes de protection sociale efficaces et éliminer les subventions aux carburants, qui sont dommageables. Dans une optique court-termiste, les politiques de finances publiques amplifient les cycles d’expansion et de récession, au lieu de les atténuer, et entravent la réalisation d’une croissance durable et inclusive.

Ensuite, il y a la crédibilité budgétaire — je pense ici aux volumes importants de dépenses non inscrites au budget ou à la mauvaise gestion des risques. Dans toute la région, il est fréquent que des fonds souverains financent directement des projets en faisant fi des procédures budgétaires normales. Et les entreprises publiques de certains pays recourent lourdement à l’emprunt, là encore en dehors du budget. Remédier à ces risques pour les finances publiques améliorerait non seulement la crédibilité et la transparence budgétaires, mais contribuerait en outre à freiner la corruption. La crédibilité budgétaire passe aussi par une meilleure gestion des risques, s’appuyant sur un budget plus exhaustif et fondé sur des prévisions réalistes.

Heureusement, de nombreux pays s’emploient déjà à renforcer leurs cadres budgétaires, souvent avec le concours du FMI. En voici quelques exemples :

  • L’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Soudan, le Qatar et le Liban ont mis en place des cellules macrobudgétaires, une première étape utile pour renforcer les cadres budgétaires.
  • L’Algérie a récemment adopté une nouvelle loi de finances résolument axée sur le moyen terme et le Bahreïn a établi un programme budgétaire visant l’équilibre à moyen terme.
  • La Mauritanie, le Maroc, la Jordanie et le Liban avancent à grands pas dans la planification et l’exécution à moyen terme des investissements publics.
  • L’Égypte joint désormais à sa loi de finances un état des risques budgétaires et mène une évaluation interne des risques budgétaires en cours d’exercice. Les Émirats arabes unis lancent de leur côté un projet de gestion des risques budgétaires, avec l’appui du FMI, et produiront cette année leur premier test de résistance budgétaire.

Des améliorations restent possibles. Les pays exportateurs de pétrole pourraient ainsi suivre l’exemple d’autres pays riches en ressources naturelles, tels que le Chili ou la Norvège, qui recourent à des règles budgétaires pour mettre leurs dépenses prioritaires, en matière sociale par exemple, à l’abri de la volatilité des cours des produits de base.

La robustesse des cadres budgétaires a d’autres avantages importants. Elle est la base d’une gestion saine de la dette, et elle permet d’améliorer la coordination des politiques budgétaires et monétaires, de telle sorte que les deux branches de la gestion macroéconomique se renforcent au lieu de se contrecarrer.

2. Bonne gouvernance et transparence

Je voudrais à présent aborder le second pilier d’une bonne gestion des finances publiques : la bonne gouvernance et la transparence. Par gouvernance, j’entends les mécanismes institutionnels et les pratiques du secteur public. La solidité des institutions est indispensable pour assurer la légitimité des politiques de finances publiques, pour les rendre compréhensibles par les citoyens et répondre à leurs aspirations en suscitant leur adhésion.

À l’inverse, comme vous avez été nombreux à le relever, la faiblesse des institutions implique la faiblesse des fondations qui sous-tendent les politiques publiques, fondations qui pourraient se fissurer et s’effondrer car elles manquent de légitimité, notamment aux yeux de la population. Pire encore, ces fissures pourraient ouvrir la porte à la corruption, qui est un poison social, comme vous le savez tous : elle est source de discorde, de désintérêt et de désillusion, en particulier chez les jeunes. Ce n’est pas un hasard si le mot « corruption » vient d’une racine latine signifiant la pourriture, la dislocation, la désintégration. En arabe, corruption se dit « fasad », un mot qui porte également ce sens de pourriture ou de délitement.

Rien ne démembre autant les politiques de finances publiques que la corruption. Lorsque l’équité du système fiscal est mise en doute, il est plus difficile de lever les recettes nécessaires pour effectuer des dépenses essentielles en matière de santé, d’éducation et de protection sociale. Et sous l’effet de la corruption, les gouvernements peuvent être tentés de favoriser des projets somptuaires et superflus au détriment d’investissements bénéficiant à la population et à la productivité. Voilà comment garantir des politiques budgétaires intenables et attiser les tensions sociales.

Il s’agit d’un problème mondial, qui vaut tant pour les grands pays que les petits, les pays avancés que ceux à faible revenu, le secteur public que le privé. Il n’est dès lors pas étonnant que, selon une étude du FMI, la mauvaise gouvernance et la corruption aillent de pair avec des niveaux considérablement inférieurs de croissance, d’investissement, y compris les IDE, et de recettes fiscales, ainsi qu’avec des taux d’inégalité et d’exclusion plus marqués.

Nos travaux indiquent plus précisément que, sur un indice relatif à la corruption et à la gouvernance, le fait de passer du quart inférieur à la moyenne se traduit par une amélioration de 1,5 à 2 points de pourcentage du ratio investissement/PIB et une hausse d’au moins un demi-point de pourcentage de la croissance annuelle du PIB par habitant [1] . Le prochain numéro du Moniteur des finances publiques, qui sera consacré au coût budgétaire de la corruption et au rôle des institutions budgétaires, présentera des analyses plus détaillées.

Quelles solutions apporter à la mauvaise gouvernance et à la corruption ? En matière budgétaire, il convient de renforcer la transparence des finances publiques, en mettant au jour tous les aspects du budget et des comptes publics. Cela permettrait de dresser un tableau plus précis des positions et perspectives budgétaires, des coûts et avantages à long terme de tout changement de cap, et des éventuels risques budgétaires qui pourraient faire dérailler les finances publiques. Ces éléments pourraient être améliorés dans la région.

De telles réformes ont fait leurs preuves. Prenons par exemple le cas de la Géorgie : jusqu’en 2003, elle était considérée comme l’un des pays les plus corrompus au monde. Mais elle a depuis lors réformé ses institutions et lutte sans relâche contre la corruption. Ces mesures, associées à des réformes fiscales, ont immédiatement porté leurs fruits. Les recettes fiscales sont passées de 12 % du PIB en 2003 à 25 % en 2008, les contribuables ayant davantage foi en l’équité du système.

Permettez-moi de faire remarquer que le FMI se préoccupe davantage des questions de gouvernance et de corruption. L’an dernier, nous avons mis en place un nouveau cadre prévoyant une communication plus systématique, impartiale, efficace et franche sur ces questions avec nos États membres. Nous prendrons contact avec les dirigeants de cette région pour définir les modalités de notre collaboration en vue de la mise en œuvre de ce cadre.

En renforçant la gouvernance, nous pourrons mettre fin aux désagrégations induites par la corruption et assurer l’intégration de toutes et tous dans une économie productive. Nous pourrons remplacer la fasad par l’ islah, des réformes visant à améliorer la situation et à rapprocher les citoyens.


Conclusion

Je vous ai dit qu’il ne saurait y avoir de bonnes politiques de finances publiques sans fondations institutionnelles solides. Et la solidité des fondations des cadres budgétaires et de la gouvernance montre aux citoyens que les politiques de finances publiques bénéficient à tous, et pas seulement à ceux qui ont des moyens ou des relations.

En guise de conclusion, je voudrais partager avec vous cette maxime attribuée au grand Ibn Khaldoun : « Celui qui trouve une nouvelle voie est un pionnier, même si d’autres doivent trouver à leur tour cette voie ; et celui qui marche loin devant ses contemporains est un chef. »

Vous êtes les pionniers, les chefs, les visionnaires. Nous espérons que nos conseils peuvent être utiles, mais c’est vers vous que nous nous tournons pour trouver la voie et faire de cette vision une réalité.

Merci — choukran !



[1] Plus exactement, cette amélioration correspond au passage du 25 e centile au 50e centile sur un indice de la corruption et de la gouvernance.

Département de la communication du FMI
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