Amman, Jordanie (photo: Leonid Andronov / Alamy Stock Photo)

Amman, Jordanie (photo: Leonid Andronov / Alamy Stock Photo)

Comment les pays peuvent réduire leur dette et préserver la croissance

le 13 novembre 2018

«Des réformes budgétaires bien conçues peuvent aider les pays à réduire la dette tout en préservant la croissance et en protégeant les plus vulnérables », note Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI.

 

Avec le resserrement des conditions financières mondiales, il est devenu plus urgent de réduire les déficits budgétaires et la dette des pays du Moyen-Orient et d’Asie centrale. L’accumulation de la dette ces dernières années, plus de 50 % du PIB dans près de la moitié des pays de la région, doit être résolue de toute urgence. Si les pays ne réagissent pas rapidement, ils seront contraints d’allouer une part croissante de leur budget au paiement d’intérêts et au remboursement de leur dette plutôt qu’aux investissement vitaux dans le capital physique et humain, favorables à la croissance.

Dans le même temps, face à une population active en pleine expansion et à des taux de chômage élevés, surtout parmi les jeunes et les femmes, la région requiert une croissance plus forte et plus inclusive. La région Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afghanistan et Pakistan (MOANAP) va devoir absorber 5 millions de travailleurs par an, un défi d’autant plus colossal qu’un jeune sur cinq est actuellement sans emploi.

On s’attend souvent à ce que les mesures destinées à réduire les déficits budgétaires soient un frein à la croissance. Toutefois, les pays peuvent agir sur les deux fronts à la fois. C’est précisément le thème dont traite un des chapitres des Perspectives économiques régionales pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

 

Réduction des déficits

Lorsque les pays réduisent leurs dépenses ou relèvent leurs impôts, on craint que cela ne nuise aux groupes les plus vulnérables de la société. Pour que la politique budgétaire puisse amorcer un cercle vertueux de croissance et d’équité, les réformes budgétaires doivent être soigneusement conçues pour protéger les pauvres. En effet, une fois sorties de la pauvreté, les personnes sont plus productives et disposent d’un plus grand pouvoir d’achat. Un recul de la pauvreté entraîne par ailleurs une réduction de la criminalité et, à long terme, une valorisation du potentiel économique. Croissance et équité sont donc intimement liées.

L’expérience montre qu’indépendamment du degré nécessaire d’ajustement des dépenses ou des recettes pour assurer la viabilité de la dette, c’est la manière d’y procéder qui influe sur la croissance et l’équité. Les pays ayant réussi à réduire leurs déficits tout en préservant les investissements publics ont enregistré une croissance plus forte et sont parvenus à répartir les revenus de façon plus équitable. Les gouvernements qui ont entrepris de réformer les subventions et les salaires de la fonction publique en privilégiant les dépenses sociales (éducation, soins de santé, dispositifs de protection sociale) ont enregistré une croissance plus forte à long terme et une plus grande égalité de revenus. Il ressort des études de la région MOANAP qu’un dollar amputé aux subventions énergétiques au profit d’investissements productifs correspondrait à deux dollars de gains de croissance à long terme. En outre, pour les gouvernements ayant conjugué réduction des dépenses et réformes budgétaires plus vastes pour accroître le recouvrement de l'impôt, les avantages ont été plus durables que pour ceux ayant eu recours à des mesures ponctuelles et circonscrites.

Les pays des régions MOANAP et CAC ont-ils réussi à réduire leurs déficits en favorisant la croissance ?

Au cours des trois dernières années, la plupart des pays de la région MOANAP et du Caucase et d'Asie centrale (CAC) ont réduit leurs déficits en adoptant une série de mesures pour comprimer leurs dépenses et accroître leurs recettes, mais ces réformes n'ont pas toujours été propices à la croissance.

Les pays exportateurs de pétrole de la région MOANAP par exemple, comme le Bahreïn et l'Iran, ont dans l’ensemble réussi à protéger les dépenses d'investissement et à réformer les subventions. Toutefois, comme ces pays n’ont pas été en mesure d'accroître suffisamment les impôts recouvrés, ce qui compromet la pérennité des gains.

En revanche, les pays importateurs de pétrole de la région MOANAP, comme la Tunisie, ont réussi à accroître leurs recettes fiscales, mais, en l’absence de réformes abouties en matière de subventions, ces gains ont été en partie contrebalancés par la hausse de ces dernières, due à la hausse des prix du pétrole. En outre, malgré le déficit élevé d’infrastructures, les dépenses dans ce secteur ont été particulièrement touchées dans les pays importateurs de pétrole de la région MOANAP, comme Djibouti et la Mauritanie.

Quelle est la marche à suivre ?

Dans la région MOANAP, en particulier dans les pays exportateurs de pétrole, il est nécessaire d'accroître les recettes fiscales, un aspect sur lequel la région est à la traîne par rapport à d’autres pays émergents. Dans les pays exportateurs de pétrole de la région MOANAP, les recettes fiscales non pétrolières sont inférieures à 10 % du PIB, soit moins de la moitié de la moyenne des pays émergents (près de 20 % du PIB). Ces pays pourraient réduire les généreuses exonérations d'impôt sur les sociétés, comme en Jordanie, qui profitent plus aux grandes entreprises qu’aux PME ; adopter un barème progressif (en Jordanie et en Iran, par exemple) et élargir l'assiette fiscale, notamment à Bahreïn et en Égypte. Les gouvernements doivent tâcher de répartir la charge fiscale plus équitablement, notamment en relevant les impôts sur le patrimoine (biens fonciers, héritage, plus-values, dividendes et intérêts) et en remplaçant progressivement les droits de timbre et autres frais, plus régressifs et coûteux, par un impôt sur le revenu des personnes physiques.

Sur le plan des dépenses, les dirigeants doivent en améliorer la qualité et prendre en compte la hausse probable du coût du service de la dette dans le budget. En parallèle, il est indispensable d’accroître, ou du moins de préserver, les dépenses dans le capital physique et humain. Il faudra par conséquent s’employer à réduire la masse salariale dans des pays tels que l’Algérie, le Koweït et la Tunisie. Si les gouvernements réussissent à réformer les subventions et transferts inutiles qui profitent de façon disproportionnée aux riches, ils seront en mesure d’accroître les dépenses sociales, qui, pour la région MOANAP, ne représentent qu’un tiers de la moyenne des pays émergents.

Pour les pays de la région CAC, les procédures de passation des marchés publics et le contrôle des entreprises publiques mériteraient d’être renforcés afin de préserver les ressources et de limiter les risques budgétaires. Sur le plan des recettes, la part que représente l’impôt sur les sociétés devrait augmenter et se rapprocher de celle de l’impôt sur le revenu.

Enfin, pour tous les pays, afin que les dépenses d'infrastructure soient porteuses d’une croissance inclusive, une attention particulière doit être accordée au cadre de gestion des investissements publics, notamment l’examen, l’évaluation et la sélection des projets. Un renforcement de la transparence et de la responsabilisation des pouvoirs publics réduirait les possibilités de corruption et de détournement de fonds publics et contribuerait à accroître les recettes fiscales. Si l’État est davantage perçu comme étant responsable, le coût de l'emprunt baisserait, aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé, ce qui stimulerait davantage l'investissement et la croissance.