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Une injection d’équité pour tous

David Amaglobeli, Vitor Gaspar et Paolo Mauro

La pandémie de COVID-19 intensifie le cercle vicieux des inégalités. Pour le briser et donner à toutes et à tous une injection de prospérité, les pouvoirs publics doivent améliorer l’accès aux services publics de base — tels que les soins de santé (dont la vaccination) et l’éducation — et renforcer les politiques de redistribution.

Pour y parvenir, la plupart des pays devront accroître leurs recettes et l’efficacité de leurs dépenses. Ces réformes devront être complétées par une plus grande transparence et une plus grande responsabilisation, ce qui pourra raffermir la confiance générale dans l’État et favoriser la cohésion sociale.

COVID-19 et inégalités

La préexistence d’inégalités a aggravé l’incidence de la COVID-19. Les disparités d’accès aux services de base se sont soldées par des résultats sanitaires inégaux. Selon notre recherche, les pays ayant un accès moindre aux soins de santé, calculé en fonction du nombre de lits d’hôpital, ont connu des taux de mortalité liée à la COVID-19 supérieurs aux prévisions, au regard de l’âge de la population et du nombre de cas. De même, notre étude montre que les pays dont la pauvreté relative est supérieure recensaient un nombre plus élevé de personnes infectées et de décès.

D’autre part, la COVID-19 accroît également les inégalités. L’éducation des enfants en est un exemple. Notre analyse montre qu’avec les fermetures massives d’écoles, les pertes d’apprentissage enregistrées en 2020 sont estimées à un quart de l’année scolaire et à deux fois plus dans les pays émergents et en développement. Les enfants issus de familles pauvres y contribuent de manière disproportionnée. Selon nos estimations, jusqu’à 6 millions d’enfants des pays émergents et des pays en développement pourraient abandonner leurs études en 2021, avec des conséquences négatives irrémédiables.

L’incidence de la pandémie sur l’éducation

De plus, la pandémie a frappé le plus durement les groupes les plus vulnérables. Les travailleurs jeunes et moins qualifiés ont perdu leur emploi plus souvent que les personnes employées dans des professions exigeant de fortes qualifications. De même, les groupes ethniques défavorisés et les travailleurs du secteur informel ont été touchés plus sévèrement. Quant aux femmes, qui ont tendance à être surreprésentées dans les secteurs les plus menacés par la pandémie comme le secteur hôtelier et le commerce de détail, elles ont été particulièrement victimes de la pandémie, en particulier dans les pays pauvres.

Une approche globale

Des politiques de prédistribution comme de redistribution sont nécessaires pour rompre le cycle des inégalités. Grâce aux premières, les pouvoirs publics font en sorte que la population ait accès aux services publics de base et à des emplois de qualité. Cela permet de réduire les inégalités de revenus avant que les pouvoirs publics ne procèdent à une redistribution par l’impôt et les transferts.

L’investissement dans l’éducation, les soins de santé et le développement de la petite enfance peut exercer un effet puissant sur l’amélioration de l’accès à ces services et, partant, à des possibilités d’existence. Si les pouvoirs publics augmentaient par exemple les dépenses pour l’éducation de 1 % du PIB, ils pourraient réduire les écarts de scolarisation entre les familles les plus pauvres et les familles les plus riches de près d’un tiers. Outre l’augmentation des dépenses, tous les gouvernements devraient s’attacher à résoudre le manque d’efficacité des dépenses — problème considérable, notamment dans les pays pauvres.

La crise de la COVID-19 a mis en évidence l’importance cruciale d’un système de protection sociale de qualité, susceptible d’être activé rapidement pour fournir une bouée de sauvetage aux familles en difficulté. Des dépenses sociales élevées ne permettent de réduire la pauvreté que si elles assurent une assistance adéquate et couvrent les catégories les plus pauvres de la société. L’établissement et la tenue de registres sociaux exhaustifs, assortis d’un système d’identification des citoyens fiable, représentent un bon investissement. Dans l’idéal, ces éléments seraient complétés par des mécanismes de distribution efficaces tels que le paiement en ligne et, lorsque l’accès aux comptes bancaires est limité, les services de virement mobile.

L’amélioration de l’accès aux services publics de base nécessitera des moyens supplémentaires, qui peuvent être mobilisés, selon la situation des pays, par un renforcement des capacités fiscales globales. Bon nombre de pays pourraient recourir davantage à l’impôt sur les successions et à l’impôt foncier. Certains pourraient aussi rendre l’impôt plus progressif, car ils ont la possibilité d’accroître les taux marginaux supérieurs d’impôt sur le revenu des particuliers, alors que d’autres pourraient porter leurs efforts sur la suppression des possibilités d’évasion fiscale dans le domaine de l’impôt sur les revenus du capital. En outre, les pouvoirs publics pourraient envisager de prélever des contributions temporaires au titre du relèvement après la crise du COVID-19 qui compléteraient l’impôt sur le revenu des particuliers pour les ménages à revenu élevé, et de moderniser l’imposition des bénéfices des sociétés. Dans les pays émergents et les pays à faible revenu en particulier, des recettes supplémentaires pourraient aussi être obtenues au moyen de taxes à la consommation afin de financer les dépenses sociales. Par ailleurs, les pays à faible revenu auront besoin de l’aide de la communauté internationale pour financer et exécuter des réformes d’inspiration nationale dans les domaines de la fiscalité et des dépenses.

Nécessité d’un fort soutien public

Les gouvernements souhaiteront sans doute envisager l’élaboration de trains de mesures globaux qui augurent d’un accès élargi aux services publics et d’une meilleure protection contre les chocs de revenus, tout en soutenant une reprise inclusive et génératrice d’emplois. Dans certains pays, le soutien public en faveur d’un meilleur accès aux services de base, financé au moyen d’une imposition supérieure, est solide et devrait s’accroître avec la pandémie. Selon une étude récente menée aux États-Unis, celles et ceux qui avaient personnellement subi les effets de la COVID-19, du fait de la maladie ou de la perte de leur emploi, ont exprimé une préférence marquée pour une imposition plus progressive.

Une préférence pour la progressivité de l’impôt

De telles politiques devraient être ancrées dans des cadres budgétaires à moyen terme et complétées par un renforcement de la transparence et de la responsabilisation. Des gains importants en efficacité des dépenses sont également nécessaires. Les enseignements tirés des pandémies antérieures montrent que les enjeux sont élevés parce que la confiance dans l’État peut rapidement s’éroder et contribuer à une polarisation accrue. Les actions résolues menées par les pouvoirs publics en vue de fournir les services nécessaires et de stimuler la croissance peuvent faire échec à cette tendance et favoriser la cohésion sociale.

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David Amaglobeli est directeur adjoint du département des finances publiques du FMI. Il a précédemment travaillé dans des dossiers de surveillance intense et participé à la conception et à l’examen de programmes bénéficiant de l’appui du FMI dans des pays en crise, dont, tout récemment, l’Ukraine. Avant son arrivée au FMI en novembre 2009, il avait occupé plusieurs postes en Géorgie, son pays natal, dont celui de gouverneur intérimaire de la Banque nationale de Géorgie et celui de sous-ministre des Finances. Dans l’exercice de ses fonctions officielles, il a négocié l’accord de restructuration de la dette avec le Club de Paris et a mis en place un régime de ciblage de l’inflation.

Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne de 2007 à 2010 et a été directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’université nouvelle de Lisbonne. Il a aussi étudié à l’université catholique portugaise.

Paolo Mauro est directeur adjoint du département des finances publiques du FMI. Auparavant, il a occupé divers postes d’encadrement au sein du département Afrique, du département des finances publiques et du département des études du FMI. De 2014 à 2016, il était chercheur principal au Peterson Institute for International Economics et professeur invité à la Carey Business School de l’université Johns Hopkins. Ses articles ont été publiés dans des revues telles que le Quarterly Journal of Economics, le Journal of Monetary Economics et le Journal of Public Economics. Ils ont été largement cités dans des travaux universitaires et par des organes de presse de renom. Il est coauteur de trois ouvrages, à savoir World on the Move: Consumption Patterns in a More Equal Global Economy ; Emerging Markets and Financial Globalization et Chipping Away at Public Debt.

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