(photo : Adnan Abidi/Reuters/Newscom) (photo : Adnan Abidi/Reuters/Newscom)

Pour un avenir plus vert : passer du charbon aux énergies de substitution

Christian Bogmans et Claire Mengyi Li

L’économie mondiale s’extirpe peu à peu de la crise de la COVID-19, et après avoir fortement diminué pendant la pandémie, la consommation de charbon devrait rebondir.

Encore vigoureuse, la demande de charbon contribue au développement économique des pays émergents. Malgré tout, nombre de pays aspirent à un avenir durable et ont amorcé leur sevrage des combustibles fossiles, à plus forte raison du charbon. Leurs efforts se heurtent cependant à des obstacles difficiles à surmonter et le sort des nombreux travailleurs dont le gagne-pain dépend de l’industrie houillère n’est pas le moindre. Dans ce contexte, certains instruments de politique publique peuvent être utiles.

L’investissement vert et les progrès technologiques peuvent empêcher le retour en force de la consommation de charbon que laisse entrevoir la reprise et accélérer la transition vers des énergies plus propres. Des politiques bien pensées peuvent par ailleurs atténuer les conséquences de cette transition pour les mineurs et les autres personnes tributaires du secteur du charbon.

Un peu d’histoire

Le charbon contribue fortement à la pollution locale et aux changements climatiques. Il génère 44 % des émissions mondiales de CO2. Lorsqu’il est brûlé pour produire de la chaleur ou de l’électricité, l’intensité carbonique du charbon est 2,2 fois supérieure à celle du gaz naturel : à quantité égale d’énergie produite, le charbon dégage plus de deux fois plus de dioxyde de carbone que le gaz naturel. Les centrales thermiques au charbon libèrent aussi dans l’air et les cours d’eau du dioxyde de soufre, de l’oxyde d’azote, des particules fines et du mercure qui dégradent l’environnement et qui, comme le confirment des données scientifiques connues depuis longtemps, sont nocifs pour la santé humaine. Selon des études médicales britanniques, 4 000 personnes auraient été tuées par le grand smog de Londres en 1952, une hécatombe imputable au charbon et aux gaz d’échappement des diésels.

Il existe un lien étroit entre le niveau de développement d’un pays et sa consommation de charbon. Les pays à revenu intermédiaire sont habituellement ceux qui dépendent le plus du charbon. Pendant la deuxième révolution industrielle, à la jonction des XIXe et XXsiècles, les pays avancés ont rapidement développé une dépendance croissante au charbon. Puis, au fil de l’augmentation des revenus, le charbon a peu à peu été délaissé et remplacé par des combustibles plus efficaces, plus pratiques et moins polluants comme le pétrole, l’énergie nucléaire, le gaz naturel et, plus récemment, les énergies renouvelables.

Dans les années 70, trois grands facteurs ont ralenti, et dans certains cas, inversé la tendance à la baisse de la consommation de charbon : 1) les préoccupations liées à la sécurité énergétique, 2) l’électrification croissante et 3) la croissance économique rapide des pays émergents. L’augmentation de la demande d’électricité a stimulé la consommation de charbon dans de nombreux pays avancés qui l’utilisaient pour alimenter leurs centrales électriques et réduire leur dépendance au pétrole importé. Au tournant du siècle, la consommation de charbon a recommencé à baisser dans les pays avancés, une diminution qui a cependant été plus que contrebalancée par la montée en flèche de la demande dans les pays émergents.

Aujourd’hui, les pays émergents représentent 76,8 % de la consommation mondiale de charbon, dont la Chine pour environ la moitié, et 72,8 % du charbon consommé dans le monde sert à produire de l’électricité. Les applications industrielles, notamment l’utilisation de houille à coke dans les aciéries, représentent une autre tranche de 21,6 %.

Obstacles à l’élimination graduelle du charbon

L’élimination du charbon s’étale souvent sur plusieurs décennies. Le Royaume-Uni a mis 46 années pour réduire sa consommation de charbon de 90 % par rapport au sommet des années 70. Dans un éventail de pays, la consommation a diminué en moyenne d’à peine 2,3 % par année de 1971 à 2017. À ce rythme, il faudrait 43 ans pour éliminer complètement le charbon, à compter de l’année de consommation maximale.

Plusieurs facteurs compliquent l’abandon du charbon.

Premièrement, dans ses applications industrielles, qui se concentrent surtout dans les pays émergents, le charbon est une source d’énergie difficile à remplacer. L’hydrogène pourrait éventuellement contribuer à « verdir » la sidérurgie, mais la faible tarification actuelle des émissions de carbone n’incite pas vraiment à investir dans la technologie nécessaire.

Deuxièmement, les centrales thermiques au charbon ont une durée de vie utile d’au moins 30 à 40 ans. À moins d’une évolution spectaculaire des coûts des énergies renouvelables ou d’une intervention ferme des décideurs, les centrales au charbon existantes ne sont pas près de disparaître.

Troisièmement, l’abandon du charbon cause habituellement des pertes pour l’industrie minière et ses travailleurs. Dans les pays à forte consommation de charbon comme la Chine et l’Inde, les intérêts des puissantes sociétés minières compliquent et retardent la conversion énergétique. Aux États-Unis, la transition rapide du charbon au gaz naturel a fait disparaître de nombreux emplois dans le secteur minier, causé un nombre record de faillites et fait plonger la valeur boursière des sociétés minières. Une transition de cette nature pourrait compromettre la stabilité financière de certains pays producteurs, car les banques seraient forcées d’absorber des pertes sur leurs investissements dans des mines et des centrales thermiques devenues désuètes qui deviendraient des « actifs délaissés ». Sur le plan humain, les mineurs et autres travailleurs de l’industrie sont souvent les héritiers d’une longue tradition dont ils sont fiers, et il leur est très difficile d’envisager de vivre autrement.

Faisabilité de l’élimination graduelle du charbon

Certaines conjonctures et certains instruments de politique publique peuvent faciliter l’élimination graduelle du charbon, mais celle-ci passe obligatoirement par un durcissement des politiques environnementales, par la perception de taxes sur le carbone, et par une offre de substituts énergétiques abordables. De 2013 à 2018, le système britannique de tarification du carbone a réduit la dépendance du pays au charbon de 12,4 points de pourcentage. En Espagne, les subventions à la production d’électricité renouvelable ont réduit de 2005 à 2010 la dépendance au charbon, même si des facteurs conjoncturels ont aussi joué. Aux États-Unis, les forces du marché, notamment l’affaissement des prix du gaz naturel provoqué par la révolution du gaz de schiste, ont entraîné une diminution plus modeste.

 

Les pays qui envisagent l’abandon progressif du charbon sont confrontés à des questions difficiles. Les mineurs et les autres travailleurs qui tirent leur subsistance de cette industrie méritent, tout autant qu’ils ont besoin, qu’on leur propose des solutions réalistes pour s’adapter aux bouleversements qui pourraient les attendre. D’autres politiques d’aide devront être mises en œuvre pour faciliter leur réorientation, voire pour encourager le développement d’autres industries et éviter ainsi que des familles soient laissées en plan et que des communautés entières se vident de leur substance.

Dans les pays émergents et à faible revenu, la communauté internationale peut offrir une aide financière et technique (p. ex., fournir le savoir-faire nécessaire à la construction de réseaux de distribution d’électricité adaptés à des sources intermittentes d’énergie, telles que l’éolien ou le solaire) et limiter le financement accordé à la construction de nouvelles centrales au charbon, à tout le moins lorsque des solutions de rechange existent. Des énergies de substitution plus propres, comme le gaz naturel, peuvent assurer la transition vers un avenir plus vert. Les technologies de captage et de stockage du carbone pourraient constituer une solution viable pour faciliter l’abandon du charbon, mais leur coût est actuellement moins concurrentiel que celui des autres sources d’énergie à faibles émissions de carbone comme l’énergie éolienne ou l’énergie solaire.

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Christian Bogmans est économiste au département des études du FMI (unité matières premières). Il s’intéresse principalement aux domaines de l’économie environnementale et énergétique ainsi qu’au commerce international, tout particulièrement au lien entre commerce, ressources naturelles et environnement. Avant d’intégrer le FMI, il a été chargé de cours (professeur adjoint) à l’université de Birmingham au Royaume-Uni. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Tilburg.

Claire Mengyi Li est agente de recherche au département des études du Fonds monétaire international. Titulaire d’une maîtrise de l’université Johns Hopkins, elle s’intéresse surtout aux domaines de l’économie énergétique, de la croissance économique, de la sécurité alimentaire et de l’économie environnementale. Elle suit attentivement les développements sur le marché des produits de base et leurs conséquences pour l’économie mondiale.

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