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L’inclusion financière numérique au temps de la COVID

Ulric Eriksson von Allmen, Purva Khera, Sumiko Ogawa, et Ratna Sahay

La pandémie de COVID-19 pourrait changer la donne sur le plan des services financiers numériques. Les ménages à faible revenu et les petites entreprises peuvent grandement bénéficier des percées dans les domaines de l’argent mobile, des services de technologie financière et des opérations bancaires en ligne. Par ailleurs, les services financiers numériques favorisent l’inclusion financière, qui, elle,  peut également stimuler la croissance économique. Si la pandémie devrait accroître l’utilisation de ces services, elle cause aussi des difficultés pour la croissance des plus petits acteurs du secteur et met en évidence les inégalités d’accès aux infrastructures numériques. Il faudra agir sur plusieurs fronts pour assurer une inclusion optimale à l’avenir.

Beaucoup de pays (dont le Libéria, le Ghana, le Kenya, le Koweït, Myanmar, le Paraguay et le Portugal) facilitent cette transition grâce à des mesures comme la baisse des frais et le relèvement du plafond pour les transactions d’argent mobile.

L’Afrique et l’Asie comme chefs de file

Dans une nouvelle étude, nous présentons un indice d’inclusion financière numérique qui mesure les progrès accomplis dans 52 pays émergents ou en développement. Il ressort de cette étude que l’inclusion financière a augmenté entre 2014 et 2017 du fait de la numérisation, même dans les pays où l’inclusion financière par le biais des services bancaires traditionnels était en baisse. Cette tendance s’est probablement confirmée depuis.   

L’Afrique et l’Asie sont les chefs de file de l’inclusion financière numérique, malgré de grandes disparités entre pays. En Afrique, les leaders sont le Ghana, le Kenya et l’Ouganda. En comparaison, les services financiers numériques ne sont pas aussi répandus au Moyen-Orient et en Amérique latine. Dans certains pays, tels que le Chili et le Panama, cela est probablement dû à un taux de bancarisation relativement plus élevé.

Dans la plupart des pays, les services de paiement numérique ouvrent la voie aux prêts numériques : les entreprises recueillent des données sur les utilisateurs et trouvent de nouveaux moyens de s’en servir pour analyser la solvabilité des emprunteurs. Le crédit en ligne, au moyen de plateformes numériques qui relient directement les prêteurs aux emprunteurs (« marketplace lending »), a doublé en valeur entre 2015 et 2017. Jusqu’à présent, ces marchés sont concentrés en Chine, au Royaume-Uni et aux États-Unis mais ils semblent être en expansion dans d’autres pays, tels que le Kenya et l’Inde.

Les avantages au-delà de l’inclusion financière

L’inclusion financière profite à l’économie et à la société dans leur ensemble. D’après des études antérieures, l'offre de services financiers traditionnels aux ménages à faible revenu et aux petites entreprises va de pair avec une accélération de la  croissance et une réduction des inégalités de revenus. Selon notre analyse, l’inclusion financière numérique est également liée à une croissance du PIB plus forte.

Durant la période de confinement, les services financiers numériques permettent aux pouvoirs publics de fournir des aides de manière rapide et sécurisée (lien vers le document de la série spéciale) aux populations et aux entreprises reculées, comme c’est notamment le cas en Namibie, au Pérou, en Zambie et en Ouganda. Cela contribuera à atténuer les répercussions économiques de la pandémie et peut-être à affermir la reprise.

Le travail à accomplir

Pour exploiter le grand potentiel des services financiers numériques durant l’après-COVID, plusieurs facteurs doivent être réunis. Égalité d’accès aux infrastructures numériques (électricité, réseaux mobiles et Internet, et identité numérique) ; alphabétisation financière et numérique accrue ; et absence de distorsions des  données sont nécessaires pour une reprise plus inclusive .

Il ressort de l’enquête mondiale que nous avons menée auprès de 70 parties prenantes (entreprises de fintech, banques centrales, organes de réglementation et banques) que les instances de réglementation doivent suivre les rapides changements technologiques dans la fintech pour garantir la protection des consommateurs et des données, la cybersécurité et l’interopérabilité entre les utilisateurs et les pays. Les entreprises de fintech ont également fait état de la pénurie de codeurs à l’échelle mondiale, c’est-à-dire de développeurs et de programmeurs de logiciels.

Dans le même temps, il est important de veiller à ce que le paysage de la fintech reste assez concurrentiel pour optimiser les gains des services financiers numériques. La crise de la COVID-19 pourrait présenter des avantages pour le secteur mais elle crée également des difficultés pour les plus petites entreprises de fintech : resserrement des financements, augmentation des prêts improductifs, baisse du nombre d’opérations et de la demande de crédit. Certains ont suspendu l’octroi de nouveaux prêts depuis le début du confinement. Des regroupements massifs de startups et la réduction de leurs activités pourraient conduire à une plus grande concentration dans le secteur et entraver l’inclusion. Il serait donc dans l’intérêt du public d’accélérer la mise en place de dispositifs de gouvernance pour les grandes entreprises de fintech.

Dans le contexte de la pandémie, il est devenu clair que la tendance vers une numérisation accrue des services financiers n’est pas prête de s’inverser. Afin de bâtir des sociétés inclusives et de remédier aux inégalités croissantes pendant et après la crise, les dirigeants à l’échelle nationale et internationale devraient combler le fossé numérique entre les pays et au sein de ceux-ci pour tirer parti des services financiers numériques. Il convient donc de trouver le juste équilibre entre, d'une part, promouvoir  l’innovation financière et, d'autre part, faire face à plusieurs  risques : la protection insuffisante des consommateurs, le manque d’alphabétisation financière et numérique, l’inégalité d’accès aux infrastructures numériques et les distorsions des données doivent faire l’objet de mesures à l’échelle nationale ; la lutte contre le blanchiment de capitaux et les cyber-risques doit reposer sur des accords internationaux et le partage des informations, notamment sur les lois antitrust pour garantir une concurrence adéquate.

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Ulric Eriksson von Allmen est sous-directeur au département des marchés monétaires et de
capitaux du FMI et chef de la division surveillance et évaluation macrofinancières. Il a dirigé les travaux du FMI sur le programme d’évaluation du secteur financier (PESF) de 2018 pour l’Indonésie et de 2019 pour Singapour. Avant d’intégrer le département des marchés monétaires et de capitaux il y a cinq ans, il était chef de division au département hémisphère occidental du FMI où il a dirigé les travaux sur le Chili, l’Argentine et l’Uruguay, après avoir occupé le poste de chef de division au département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation.

Purva Khera est économiste au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Elle a travaillé sur le programme d’évaluation du secteur financier pour la Chine, le Brésil et l’Italie. Elle travaillait auparavant au département Asie et Pacifique du FMI, où elle était chargée de l’Inde et du Bhoutan. Ses travaux de recherche et ses publications portent principalement sur les marchés du travail, l’économie informelle, les liens macrofinanciers, l’inclusion financière, l’économie du genre et les modèles DSGE. Elle est titulaire d’un doctorat et d’un master en économie de l’université de Cambridge et d’une licence en économie du St. Stephen’s College, University of Delhi.

Sumiko Ogawa est économiste principale au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Elle y a travaillé sur l’Inde et le Bélarus et a été chef de mission adjointe du programme d'évaluation du secteur financier de 2019 pour la Thaïlande. Elle était auparavant économiste au département hémisphère occidental du FMI où elle a travaillé sur les pays des Caraïbes et d’Amérique du Sud. Avant d’intégrer le FMI en 2009, elle a travaillé au bureau régional Asie et Pacifique du FMI ainsi que pour Merrill Lynch et J.P. Morgan à Tokyo. Elle est titulaire d’un Master de l’Université de Tokyo.

Ratna Sahay est directrice adjointe du département des marchés monétaires et de capitaux. Elle a précédemment occupé divers postes au sein du département des études, du département financier, des départements Asie, Europe, Moyen-Orient et hémisphère occidental du FMI où elle a dirigé d’importants projets d’analyse et de politique générale ainsi que plusieurs missions dans des pays émergents. Mme Sahay a contribué à de nombreuses publications de premier plan sur des sujets tels que les effets de contagion des marchés financiers et les crises financières, l’inflation, la croissance économique, la politique budgétaire et la viabilité de la dette et les économies en transition. Elle a enseigné à l’Université de Delhi, à l’Université de Columbia et à l’Université de New York où elle a obtenu un doctorat en sciences économiques.