Ce blog fait partie d’une série consacrée aux mesures prises pour faire face au coronavirus.
L’Asie a été durement touchée par la première vague de contamination au coronavirus, l’arrêt brutal de l’activité économique ayant frappé simultanément les ménages et les entreprises ; d’abord en Chine, puis dans toute l’Asie et désormais sur l’ensemble de la planète. Les gouvernements ont réagi promptement en augmentant fortement les dépenses publiques afin d’aider les systèmes de santé ainsi que les ménages et les entreprises vulnérables. En outre, les banques centrales ont agi rapidement pour apporter des liquidités.
Même si les mesures prises ont soutenu les marchés financiers et la confiance, nous sommes peut-être à la veille d’une nouvelle phase, plus dangereuse, de « désendettement économique », car les entreprises peinent à rembourser leurs emprunts et à rémunérer leurs salariés en raison d’un assèchement soudain des trésoreries et d’un resserrement du crédit.
Arrêt total
En Asie et ailleurs, les PME sont les plus menacées par ce désendettement. De plus, elles sont concentrées dans les services où les mesures de confinement et de distanciation sociale se font sentir le plus durement. En comparaison des grandes sociétés, les petites entreprises ont peu de liquidité de précaution, sont plus endettées et dépendent principalement de prêts à court terme et des bénéfices non distribués. Face à cette « crise inédite », elles connaissent de graves problèmes de trésorerie et n’ont guère d’autres moyens de financement. Les banques doivent intervenir résolument pour apporter des fonds de roulement, mais elles sont aussi sous pression, car les grandes entreprises tirent sur leurs lignes de crédit pour augmenter leurs réserves de trésorerie. Les banques cherchant à satisfaire d’abord leurs plus gros clients, les petites entreprises devront se débrouiller seules.
Jusqu’à présent, la réaction des pays asiatiques – encourager le refinancement des emprunts en pratiquant la tolérance réglementaire et en accordant des garanties, et octroyer des prêts bon marché aux banques – est utile, mais pourrait ne pas suffire à sauver les PME, compte tenu de la capacité et de la réticence des banques à prendre ce risque. Aucune de ces mesures ne répond à l’énorme besoin de nouveaux fonds de roulement pour conserver les salariés au moment où les trésoreries s’assèchent. Selon certaines enquêtes privées, les petites entreprises, principales pourvoyeuses d’emplois dans ces pays, pourraient disposer de moins de trois mois de trésorerie, d’où le risque d’une vague de faillites et d’une envolée du chômage.
Pour l’empêcher, les petites entreprises ont besoin d’une aide temporaire – un financement de fonds de roulement à l’échelle de l’économie entière – qui va bien au-delà des mesures actuelles. Un tel soutien financier est essentiel pour maintenir les emplois et les revenus et éviter que la récession ne se transforme en une crise prolongée qui endommagerait de façon permanente l’économie. Seul le secteur public a les moyens de fournir cette aide d’urgence face à ce choc inédit.
Combler le fossé
La question est donc de savoir comme y parvenir au mieux tout en conservant des incitations appropriées. Une possibilité serait que l’État établisse un instrument ad hoc – une entité publique temporaire à finalité spécifique, dont le rôle serait de faciliter un nouveau financement des fonds de roulement des PME.
Pour aider celles qui en ont le plus besoin, seules seraient admissibles les entreprises en mesure de prouver qu’elles étaient des emprunteuses fiables l’année dernière, mais connaissent actuellement une baisse sensible de leurs chiffres d’affaires à cause de l’épidémie. Elles solliciteraient auprès des banques un nouveau prêt de trois ans couvrant les besoins en fonds de roulement et les remboursements (intérêts et capital) exigibles au cours des 12 prochains mois. En contrepartie, les entreprises s’engageraient à maintenir l’emploi tout en renonçant aux versements de dividendes ou aux rachats d’actions.
S’agissant du secteur public, la banque centrale assurerait le financement de cet instrument ad hoc en achetant aux banques les nouveaux prêts finançant les fonds de roulement, ce qui donnerait à celles-ci les moyens de prêter davantage. Les actifs détenus par l’instrument ad hoc serviraient de garantie à la banque centrale et elle serait en partie protégée des pertes par l’investissement en fonds propres initial de l’État.
Les banques conserveraient la fraction restante des prêts pour demeurer parties prenantes. Afin de gérer les pertes, l’instrument ad hoc chercherait à maximiser la valeur des recouvrements et demanderait aux banques de recouvrer des fonds sur les prêts en défaut au moyen de saisies et dans le cadre du règlement des faillites. Cette idée peut s’appliquer facilement à des pays très bancarisés, mais elle pourrait être étendue aux pays asiatiques, dont les marchés de capitaux sont plus développés, comme le Japon ou la Corée, en titrisant ces prêts et en les cédant par tranches à des investisseurs institutionnels en vue de partager davantage les risques avec le secteur privé.
Faire tout ce qui est nécessaire
L’autre possibilité serait que les États utilisent leur budget, mais la différence entre la crise actuelle et les précédentes est l’ampleur du financement nécessaire pour refinancer les fonds de roulement pendant une période prolongée. En Asie, de nombreux pays émergents ont une petite marge de manœuvre budgétaire pour répondre à ce besoin en accordant des garanties de crédit ou des prêts ; toutefois, ils sont soumis à une énorme pression pour faire tout ce qui est nécessaire afin d’éviter une vague de licenciements et de faillites. Certains envisagent que les banques commerciales ou même la banque centrale financent directement les dépenses budgétaires supplémentaires (c'est-à-dire par monétisation directe).
Dans ces pays, un mécanisme de partage du risque, comme celui décrit ci-dessus, qui se sert de la flexibilité de financement par la banque centrale, peut atteindre cet objectif tout en préservant l’indépendance gagnée de haute lutte de la banque centrale et la solidité du système bancaire. La politique budgétaire, en apportant une certaine protection contre les pertes, peut compléter la politique monétaire et maximiser les avantages économiques potentiels d’une augmentation des prêts. Les États et les banques centrales des pays avancés, comme le Trésor et la Réserve fédérale des États-Unis avec son « programme de prêts aux PME », ont établi des instruments ad hoc similaires prévoyant un certain partage du risque par le secteur public pour aider les entreprises en grande difficulté.
Compte tenu des mesures exceptionnelles exigées par cette crise, les pays émergents d’Asie pourraient s’inspirer de ces stratégies pour faire tout ce qui est nécessaire au sauvetage de leur économie.
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Kenneth Kang est directeur adjoint du département Asie-Pacifique du Fonds monétaire international, responsable des pays d’Asie du Nord-est, dont la Chine, Hong Kong, la Corée et la Mongolie. Il travaillait auparavant sur plusieurs pays, dont l’Italie, le Japon et la zone euro, et a été représentant résident du FMI en Corée de 2003 à 2006. Il est titulaire d’un doctorat de Harvard et d’un diplôme en sciences de Yale.
Chang Yong Rhee est directeur du département Asie-Pacifique du Fonds monétaire international. Avant d’entrer au FMI, il était économiste en chef à la Banque asiatique de développement (BAD). Il a aussi été porte-parole principal de la BAD pour les problèmes économiques et de développement et il a supervisé la direction des études économiques. M. Rhee a été secrétaire général de la commission présidentielle au sommet du G20 organisé en République de Corée. Avant d’être nommé à la commission des services financiers, il avait été professeur d’économie à l’Université nationale de Séoul et professeur assistant à l’Université de Rochester. En outre, il a souvent conseillé le gouvernement coréen en matière de politique publique, notamment dans les services de la présidence, au ministère des Finances et de l’Économie, à la Banque de Corée, à la conservation coréenne des titres et à l’Institut coréen de développement. Ses principaux travaux de recherche portent sur la macroéconomie, l’économie financière et l’économie coréenne. Il a publié de nombreuses études dans ces domaines. Il est titulaire d’un doctorat de Harvard et d’une licence d’économie de l’Université nationale de Séoul.