Donner une chance aux enfants d’aujourd’hui

Christine Lagarde et Vitor Gaspar
24 septembre 2018


Éducation de la petite enfance en Indonésie : augmenter le financement de l'éducation pour aider les pays à réaliser leurs objectifs de développement durable (Photo : Ajun-Ally/Pacific Press/Newscom)

Les dirigeants mondiaux sont réunis aux Nations Unies pour discuter des moyens d'assurer à toute la population un développement économiquement, socialement et écologiquement durable — le Programme de développement durable à l'horizon 2030, et ses 17 objectifs de développement durable (ODD).

Le long chemin vers le développement

Le monde a énormément progressé au cours des cinq dernières décennies en matière de développement. Depuis 1990 seulement, plus d'un milliard de personnes se sont sorties de l'extrême pauvreté. Jamais auparavant dans l'histoire de l'humanité a-t-on constaté des progrès d'une telle envergure. Ils s’expliquent par les réformes économiques importantes qui ont conduit à une croissance économique robuste dans la majeure partie du monde en développement et par les efforts concertés que la communauté internationale a déployés pour aider les pays à atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, convenus en 2000.

Prenons l'exemple de deux femmes indonésiennes : Sri, la grand-mère, et Tuti, sa petite-fille. Le revenu annuel de Sri était de 1.500 dollars. Si elle n’était pas morte pendant l’accouchement, elle aurait sûrement perdu l’un de ses sept enfants avant l’âge d’un an. Par contre, Tuti a un revenu annuel de 11.200 dollars et ne court guère le risque de mourir pendant l’accouchement ou de perdre un enfant.

L'Indonésie continue d'avancer sur la voie du développement. Le gouvernement compte financer les besoins de développement en éducation, en santé et en infrastructures en augmentant les recettes fiscales. Avec une hausse supplémentaire de ces dernières de 5 points de pourcentage du PIB sur cinq ans, l'Indonésie serait bien placée pour atteindre ses objectifs de développement durable d'ici 2030.

Cependant, d'autres pays sont à la traîne. Dans de trop nombreuses régions du monde, la pauvreté demeure un obstacle fondamental à l’ascension économique. Prenons l'exemple du Bénin. Une fille née au Bénin a aujourd'hui la même espérance de vie qu'une Indonésienne née il y a 40 ans. Le Bénin dispose environ du même revenu par habitant que l'Indonésie à cette époque. Même si le Bénin reproduisait les progrès rapides de l'Indonésie, ses jeunes filles n'atteindraient qu'en 2050 le degré de développement des filles indonésiennes en 2030.

Le grand défi

Ce n'est pas suffisant. Dans l’esprit des ODD, il s’agit de veiller à ce que tous les enfants, quel que soit leur lieu de naissance, bénéficient d'une chance équitable d'ici 2030.

Le FMI a effectué des travaux analytique pour déterminer ce que des pays en développement à faible revenu comme le Bénin devraient faire pour atteindre les ODD. Nous avons examiné cinq domaines qui sont essentiels à une croissance durable et inclusive : l'éducation, la santé, l'eau et l'assainissement, les routes et l'électricité.

Quelles dépenses supplémentaires sont nécessaires dans ces domaines pour que ces pays soient en voie d’atteindre les ODD ? Nous estimons que les pays en développement à faible revenu ont besoin de dépenses annuelles supplémentaires à hauteur de 14 points de pourcentage de leur PIB en moyenne (voir le graphique). Pour 49 pays en développement à faible revenu, les besoins de dépenses supplémentaires s'élèvent à environ 520 milliards de dollars par an, une estimation plus ou moins similaire à celle d’autres institutions. Il est clair que de nouvelles dépenses considérables s’imposent.

Les besoins de dépenses relatifs aux ODD

Alors, comment pouvons-nous relever cet énorme défi, duquel dépend le bien-être de générations entières ?

Nous devons tous consentir un effort concerté, surtout les pays eux-mêmes, mais aussi les organisations internationales, les donateurs officiels et les philanthropes, le secteur privé et la société civile.

Premièrement, il est indispensable que les pays en développement à faible revenu s’approprient la responsabilité d’atteindre les ODD. Ils doivent en priorité renforcer la gestion macroéconomique, accroître leur capacité fiscale, s’attaquer à l’inefficience des dépenses, remédier à la corruption qui sape la croissance inclusive et promouvoir un climat propice à l’essor du secteur privé. Agir dans ce domaine favorisera la croissance qui est fondamentale pour se rapprocher des ODD, et le FMI travaillera en étroite collaboration avec ses pays membres afin de concrétiser ces réformes.

Deuxièmement, les pays peuvent sensiblement augmenter leurs recettes fiscales. L’objectif ambitieux mais raisonnable que beaucoup se sont fixé est d’accroître la pression fiscale de 5 points de pourcentage du PIB. Des réformes en profondeur de l’administration et de la politique fiscales s’imposent à cet effet. Le FMI et d’autres partenaires au développement peuvent leur prêter main forte dans ce domaine.

Si des pays émergents comme l’Indonésie peuvent se contenter d’une pression fiscale supplémentaire de cette ampleur pour atteindre les ODD, cela ne suffira pas pour répondre aux besoins de financement de la plupart des pays en développement à faible revenu, y compris le Bénin.

En plus d’utiliser leurs ressources actuelles de façon plus judicieuse, les pays à faible revenu devront bénéficier du concours financier des bailleurs de fonds bilatéraux, des institutions financières internationales et des philanthropes, ainsi que des investisseurs privés. Ces derniers peuvent apporter une importante contribution dans des secteurs tels que les infrastructures et l’énergie propre, dès lors que les réformes nécessaires auront été engagées pour améliorer le climat des affaires. Des initiatives comme le Pacte avec l’Afrique visent précisément à promouvoir l’investissement privé au service du développement national.

Les marchés financiers et les créanciers internationaux peuvent également constituer une source de financement supplémentaire. En général, emprunter aux conditions du marché est une épée à double tranchant si ce financement n’est pas utilisé pour des projets à haut rendement. Comme le FMI l’a souligné ces dernières années, les niveaux d’endettement sont en hausse : selon le FMI et la Banque mondiale, 40 % des pays en développement à faible revenu sont désormais confrontés à un risque élevé de surendettement ou sont surendettés — un surendettement qui perturberait sensiblement la croissance de l’activité et de l’emploi nécessaire pour réaliser les ODD.

L’aide extérieure, de préférence sous forme de dons, demeure cruciale pour soutenir les efforts de développement des pays plus pauvres. Les pays avancés peuvent faire davantage, notamment en se rapprochant de l’objectif de consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide. En outre, ils peuvent mieux cibler le budget alloué à l’aide extérieure afin qu’il profite aux pays qui en ont le plus besoin. Certes, bien des pays avancés font face à des contraintes budgétaires, mais les retombées économiques d’une aide au développement bien ciblée (réduction de la pauvreté, création d’emplois et amélioration de la sécurité et de la stabilité) sont très élevées.

Au-delà des dépenses

Cependant, il ne s’agit pas seulement d’accroître les dépenses de développement.

L’exemple de l'Indonésie montre que le développement et la croissance économique se renforcent mutuellement. L’environnement dans lequel les pays cherchent à réaliser et à pérenniser une croissance stable constituent un aspect important de cet enjeu plus large. Cela fait appel à divers biens publics mondiaux, notamment la stabilité géopolitique, l’ouverture commerciale et des initiatives pour le climat, ainsi que la bonne gouvernance, qui exige que l’on s’attaque à la corruption tant du point de vue de la demande que de l’offre. Ces conditions importantes du développement montrent bien que des efforts concertés de toutes les parties prenantes sont indispensables pour réaliser les ODD.

Kofi Annan, dont nous pleurons encore la mort récente, a dit un jour : « Nous aurions les moyens et la capacité de résoudre nos problèmes, si seulement nous en trouvions la volonté politique. » C'est vrai pour l'ensemble du programme des ODD. Recrutons donc cette volonté politique pour donner une chance à tous nos enfants.

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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le bureau des conseillers de politiques européennes de la Commission européenne de 2007 à 2010, et a été directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.

Christine Lagarde est directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a occupé auparavant le poste de ministre des Finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre d’État chargée du commerce extérieur pendant deux ans.

Par ailleurs, Madame Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Madame Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant d'intégrer Baker & McKenzie en 1981.



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