La coopération pour corriger les déséquilibres mondiaux

Maurice Obstfeld
24 juillet 2018

Achats à Londres : des déficits excessifs subsistent dans certains pays avancés, dont le Royaume-Uni (Toby Melville/REUTERS/Newscom).

    ● Les déficits excessifs restent globalement inchangés et se concentrent de plus en plus dans les pays avancés. Leur persistance attise les tensions commerciales entre pays.

    ● De par leur configuration, les déséquilibres ne représentent pas un danger imminent, mais si rien n’est fait c’est la stabilité mondiale qui pourrait finir par être menacée.

Nous venons de publier l’édition de 2018 du Rapport sur le secteur extérieur (External Sector Report ou ESR), dans laquelle nous présentons l’évaluation la plus récente des soldes des transactions courantes des trente premières économies de la planète. Ce bilan constitue une composante essentielle de la mission du FMI visant à promouvoir la coopération monétaire internationale et à aider les pays à construire et entretenir une économie solide. Il cherche en outre à répondre à la question délicate et souvent controversée de savoir si un excédent ou déficit des transactions courantes donné est approprié ou s’il est annonciateur de risques. Plantons le décor avant de passer directement aux résultats.

Tout d’abord, un excédent ou un déficit n’est pas en soi nécessairement mauvais et il peut d’ailleurs être approprié, voire bénéfique. Par exemple, un pays jeune en croissance aura besoin d’investir pour prospérer, et fera souvent appel à des ressources extérieures en important plus qu’il n’exporte et en empruntant pour combler le déficit qui en résulte. Par contre, un pays riche et vieillissant aura, quant à lui, besoin d’épargner davantage pour financer les retraites à venir; il dégagera des excédents et prêtera aux pays déficitaires.

Les soldes courants peuvent toutefois devenir excessifs, c’est-à-dire disproportionnés par rapport à ce qu’ils devraient être au regard des fondamentaux et des politiques économiques appropriées. Des déséquilibres extérieurs excessifs —déficits ou excédents — présentent des risques pour les pays concernés mais aussi pour l’économie mondiale dans son ensemble.

De la même manière que les ménages surendettés peuvent perdre leur accès au crédit, les pays qui empruntent trop à l’extérieur en accusant un déficit des transactions courantes trop lourd peuvent se heurter à un assèchement soudain des flux de capitaux aux effets déstabilisateurs tant localement qu’à l’échelle mondiale. Les nombreuses crises financières qui émaillent l’histoire en sont la preuve. Les pays affichant des excédents excessifs se heurtent à des problèmes différents, comme par exemple le risque lié au placement de leur épargne à l’étranger alors que des investissements locaux pourraient produire des rendements sociaux plus élevés. Autre danger, et non des moindres, ces pays peuvent devenir la cible de mesures protectionnistes de la part de leurs partenaires commerciaux.

L’analyse des déséquilibres extérieurs est intrinsèquement complexe, notamment parce qu’elle exige une démarche cohérente à l’échelle mondiale : les déficits excessifs doivent avoir pour corollaire des excédents excessifs. L’ESR se centre sur le solde des transactions courantes global de chaque pays et non sur ses balances commerciales bilatérales avec ses divers partenaires car ces dernières résultent davantage de la répartition internationale du travail que de facteurs macroéconomiques. Notre souci est de mettre en garde les pays membres face aux risques que pourraient renfermer ces déséquilibres, et de rappeler que tous ont pour responsabilité partagée de les gérer de manière appropriée. Cet objectif est d’autant plus pertinent dans la conjoncture actuelle.

Principales conclusions sur les déséquilibres excessifs

Suite au repli qu’ils ont enregistré après la crise financière mondiale, les excédents et déficits courants mondiaux sont restés pratiquement inchangés durant les cinq dernières années, aux alentours de 3¼ % du PIB mondial. Il ressort de notre analyse qu'environ 40 à 50 % de ces déséquilibres mondiaux sont excessifs, et qu’ils se concentrent de plus en plus dans les pays avancés.

On relève des soldes des transactions courantes supérieurs aux niveaux souhaitables en Europe du nord, comme en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, et dans certaines régions d’Asie, dans des pays tels que la Chine, la Corée et Singapour. Les soldes inférieurs aux niveaux souhaitables demeurent largement concentrés aux États-Unis et au Royaume-Uni.

La persistance des déséquilibres mondiaux et la perception grandissante d’un commerce international inéquitable renforcent les réflexes protectionnistes, au demeurant malavisés. En effet, une surenchère protectionniste risque en fait de nuire à la croissance locale et mondiale et n’a guère d’effets sur les déséquilibres courants, comme le montre d’ailleurs la dernière édition du rapport.

Des risques à l’horizon

Si la configuration actuelle des déséquilibres mondiaux excessifs ne présente pas de danger imminent, nous estimons toutefois que, compte tenu des politiques envisagées, ces déséquilibres risquent de s’accentuer à moyen terme et, au final, de menacer la stabilité mondiale.

L’expansion budgétaire projetée aux États-Unis aura vraisemblablement pour effet de creuser le déficit des transactions courantes — et, par conséquent, d’accroître les excédents dans le reste monde — et d’entraîner une normalisation plus rapide de la politique monétaire américaine. Il s’en suivrait un durcissement des conditions financières mondiales qui pourrait avoir un effet perturbateur sur les pays émergents et en développement, notamment les plus vulnérables, déjà soumis à certaines tensions.

Par ailleurs, la réaction limitée des pays excédentaires face à leurs déséquilibres laisse entrevoir que ces excédents perdureront. Face à la concentration persistante des déficits dans les pays débiteurs et au maintien des excédents dans les pays créanciers, les positions d’avoirs extérieurs nets continueront de diverger au risque d’accroître la probabilité d’ajustements perturbateurs des devises et des prix des actifs dans les pays endettés. Cette situation ralentirait la croissance mondiale et porterait également atteinte aux pays excédentaires.

Par rapport aux pays excédentaires, la pression s’exerce davantage sur les pays déficitaires pour qu’ils équilibrent leurs comptes internationaux, compte tenu du risque d’assèchement des emprunts extérieurs. Mais lorsque l’ajustement se produit, tous les pays —emprunteurs et créanciers — sont perdants. L’ajustement qui a suivi la crise financière mondiale est encore présent dans nos mémoires.

C’est pourquoi les pays excédentaires et déficitaires doivent s’employer ensemble à réduire les déséquilibres mondiaux en accompagnant la croissance et la stabilité mondiales.

Comment s’attaquer aux déséquilibres?

Dans la conjoncture actuelle où de nombreux pays sont proches du plein emploi et disposent d'une marge de manœuvre budgétaire plus restreinte, les gouvernements doivent judicieusement calibrer leurs politiques pour atteindre les objectifs nationaux et extérieurs, tout en reconstituant les marges de manœuvre monétaire et budgétaire. De manière plus précise :

● Les pays dont les soldes extérieurs courants sont inférieurs à ce qu’ils devraient être devraient réduire les déficits budgétaires et encourager les ménages à épargner, sur fond de normalisation progressive de la politique monétaire.

● Ceux dont les soldes sont supérieurs à ce qu’ils devraient être, pourraient, le cas échéant, user de leur marge de manœuvre budgétaire pour réduire les excédents excessifs.

● Des politiques structurelles bien adaptées devraient contribuer davantage à la correction des déséquilibres extérieurs, tout en dynamisant la croissance potentielle intérieure. De manière générale, les réformes qui incitent à investir et à ne pas épargner de manière excessive —par la suppression des barrières à l'entrée ou le renforcement des dispositifs de protection sociale — pourraient faciliter le rééquilibrage des comptes extérieurs dans les pays excédentaires, tandis que les réformes propres à accroître la productivité et à enrichir les aptitudes des travailleurs sont appropriées dans les pays accusant des déficits excessifs.

Enfin, tous les pays devraient s’employer à insuffler une nouvelle vigueur aux initiatives de libéralisation des échanges tout en modernisant le système commercial multilatéral — par exemple pour promouvoir le commerce des services, où la libéralisation pourrait être particulièrement bénéfique. Ce travail pourrait avoir un effet modeste sur les déséquilibres courants excessifs, mais il pourrait fortement contribuer à la productivité et au bien-être, tout en réduisant le risque que les déséquilibres courants ne provoquent des réflexes protectionnistes dommageables.

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Maurice Obstfeld est le Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie Class of 1958 et anciennement directeur de la faculté d’économie (1998–2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à l’université Columbia (1979–86) et à l’université de Pennsylvanie (1986–89), et de professeur invité à Harvard (1989–90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’université de Cambridge (maîtrise, 1975).

De juillet 2014 à août 2015, M. Obstfeld a été membre du Conseil des conseillers économiques du Président Obama. De 2002 à 2014, il a occupé le poste de conseiller honoraire auprès de l’Institut d’études économiques et monétaires de la Banque du Japon. Il est en outre membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaine des arts et des sciences. M. Obstfeld a notamment reçu les distinctions suivantes : le prix Tjalling Koopmans de l’université de Tilburg, le prix John von Neumann du Rajk Laszlo College of Advanced Studies (Budapest), et le prix de l’Institut Bernhard Harms de l’université de Kiel. Il a participé à des conférences de renom, dont la conférence annuelle Richard T. Ely de l’American Economic Association, la conférence L. K. Jha Memorial de la Banque de réserve de l’Inde, et la conférence Frank Graham Memorial de l’université de Princeton. M. Obstfeld a été membre du Comité de direction ainsi que Vice-président de l’American Economic Association.Il a également été consultant et a donné des cours au FMI, ainsi que dans de nombreuses banques centrales dans le monde.

Il a par ailleurs coécrit deux des ouvrages phares en économie internationale — Économie internationale (10e édition, 2014, avec Paul Krugman et Marc Melitz), et Foundations of International Macroeconomics (1996, avec Kenneth Rogoff) —, ainsi qu’une centaine d’articles de recherche sur les taux de change, les crises financières internationales, les marchés mondiaux de capitaux et la politique monétaire.



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