Déséquilibre du financement en dollars des banques

John Caparusso, Yingyuan Chen, Hideo Hashimoto, David Jones, Will Kerry et Aki Yokoyama
Le 12 juin 2018

Le Trésor américain multiplie les émissions d’obligations, ce qui accentue les pressions à la hausse sur les taux d’intérêt payés par les banques non américaines pour leurs financements à court terme en dollars.

Le dollar est souvent la monnaie privilégiée par les entreprises et les investisseurs à l’extérieur des États-Unis. Étonnamment, les emprunteurs étrangers ont rarement recours aux banques américaines pour obtenir les dollars dont ils ont besoin. En effet, la plus grande partie des prêts de sept mille milliards de dollars consentis à des emprunteurs de l’extérieur des États-Unis le sont par des banques européennes, japonaises et autres.

Ce facteur a son importance, car il n’est pas simple pour les banques de financer leurs prêts en dollars à l’extérieur du pays au moyen des dépôts dans leurs filiales américaines. Comme l’indique la plus récente édition du Rapport sur la stabilité financière dans le monde, pour équilibrer leur bilan international en dollars, elles s’en remettent de plus en plus à des sources de financement moins stables comme les dépôts interbancaires, les effets commerciaux et les swaps. Le danger réside dans un possible assèchement de ces sources de financement en cas de tensions sur les marchés financiers.

Les organismes de réglementation mondiaux ont obligé les banques à se prémunir contre la perte éventuelle de leurs sources de financement en améliorant leur ratio de liquidité à court terme qu’elles doivent maintenir, une mesure de leur capacité à mobiliser des actifs liquides pour faire face aux sorties de capitaux à court terme.

Ces améliorations portent sur les bilans des banques consolidés à l’échelle mondiale, qui englobent l’ensemble de leurs positions, toutes devises confondues. Toutefois, un examen de leur ratio de liquidité à court terme fondé sur leur bilan international en dollars, qui exclut leurs filiales américaines, révèle une situation bien différente. Ce ratio est nettement inférieur à leur ratio de liquidité consolidé. De la même manière, une estimation du ratio structurel de liquidité à long terme, qui mesure le financement stable par rapport au niveau des prêts, est bien plus faible pour les positions internationales en dollars que pour les bilans globaux.

La vulnérabilité des systèmes bancaires nationaux à d’éventuelles pressions sur les marchés du financement est variable. Ainsi, selon notre analyse, le ratio de liquidité en dollars des banques françaises et allemandes n’est pas aussi solide que celui de leurs pairs. La dépendance trop grande de certaines banques aux marchés peut-être fragiles des swaps de devises est aussi préoccupante. Ces swaps couvrent notamment plus de 30 % des besoins de financement en dollars des banques japonaises. Même si une grande partie de ces emprunts sur swaps sont de longue durée, l’accès des banques à ce mode de financement pourrait être compromis si les tensions s’accentuaient sur le marché.

Les coûts du financement en dollars devraient augmenter sous l'effet conjugué de plusieurs forces. Le Trésor américain multiplie les émissions d’obligations, ce qui accentue les pressions à la hausse sur les taux d’intérêt payés par les banques non américaines pour leurs financements à court terme en dollars. Le nouveau code fiscal devrait inciter les entreprises américaines à rapatrier leurs liquidités et peut-être à les sortir des instruments de financement bancaires, tandis que la Réserve fédérale relève ses taux d’intérêt et réduit graduellement son portefeuille de titres, ce qui aboutira à une augmentation des coûts de financement pour tous les emprunteurs.

Ce resserrement du marché, combiné aux vulnérabilités susmentionnées des bilans internationaux en dollars des banques, pourrait causer des problèmes de financement en cas de tensions sur les marchés. Les turbulences sur le marché pourraient compliquer la gestion par les banques des asymétries de devises sur les marchés volatils des swaps, et empêcher certaines banques de renouveler leur financement en dollars à court terme.

Les difficultés des banques pourraient amplifier les tensions sur le marché si, pour se financer, les banques étaient forcées de vendre leurs actifs sur un marché en pleine turbulence pour respecter des obligations immédiates. Ces pressions pourraient aussi inciter les banques à réduire leurs prêts en dollars à des emprunteurs non américains et à réduire du même coup l’offre de crédit.

Ces dix dernières années, à l’échelle nationale et mondiale, les dirigeants ont durci la réglementation de la solvabilité et de la liquidité des banques. Toutefois, si les réglementations nationales contribuent à renforcer les systèmes financiers nationaux, elles pourraient malencontreusement entraver les flux de liquidités à l’intérieur des groupes bancaires.

À terme, les groupes bancaires devraient s’assurer que les risques de liquidité de leurs entités dans chaque devise restent bien gérés. Les organismes de réglementation devraient s’attaquer aux asymétries des liquidités en devises en renforçant les obligations d’information, en durcissant les normes de liquidité en devises, en effectuant des tests de résistance et en planifiant des mesures de résolution. Les accords de swaps des banques centrales déjà en place pour fournir des liquidités en devises pendant les périodes de tensions devraient être maintenus, comme mesure de dernier recours.


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John Caparusso est expert principal du secteur financier au sein de la division analyse des marchés mondiaux du département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Il collabore au Rapport sur la stabilité financière dans le monde, essentiellement sur les questions relatives aux banques, à la stabilité du système financier, ainsi qu’à la solvabilité et au risque de défaut de paiement des entreprises. Avant de rejoindre le FMI, M. Caparusso a été analyste boursier couvrant des banques et d’autres institutions financières en Chine, à Hong Kong, à Taïwan et dans d’autres pays d’Asie-Pacifique. Il a vécu en Asie pendant 25 ans. M. Caparusso est titulaire d’une maîtrise en gestion des entreprises privées et publiques de l’université de Yale et d’une licence en économie du Swarthmore College.

yingyuan chen
Yingyuan Chen est agent de recherche de la division analyse des marchés mondiaux du département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Elle collabore au Rapport sur la stabilité financière dans le monde pour ce qui est des questions liées au risque souverain, à la stabilité financière et aux marchés financiers.

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Hideo Hashimoto est conseiller au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il a fait carrière au ministère des Finances et à l’Autorité japonaise des services financiers, où il a dirigé de multiples divisions et exercé des responsabilités dans la gestion des réserves de devises, la politique financière, la politique budgétaire et les politiques de développement multilatérales.

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David Jones est un expert principal du secteur financier au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Agent du groupe des marchés à la Banque de réserve fédérale de New York, il est actuellement en détachement temporaire au FMI. Son pays d’affectation le plus récent était les États-Unis où il assumait la responsabilité de l’analyse des organisations bancaires étrangères pour les consultations au titre de l’article IV. David Jones est titulaire d’une maîtrise en affaires internationales de l’université Columbia et d’un baccalauréat en économie de l’université de Chicago.

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Will Kerry est chef de division adjoint au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Il rédige certaines sections du Rapport sur la stabilité financière dans le monde, et est membre de l’équipe de surveillance des marchés du FMI. Ses travaux portent sur la capitalisation des banques, l’interdépendance entre les banques et les emprunteurs souverains, le désendettement des banques, l’apport de crédit à l’économie réelle et l’effet de levier. Avant de rejoindre le FMI, il a été économiste principal à la Banque d’Angleterre, chargé des questions liées à la stabilité financière et auteur du rapport sur la stabilité financière. Il est titulaire d’une licence en finance et économie de la London School of Economics et d’une maîtrise en histoire de l’université de Manchester.

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Aki Yokoyama est expert principal du secteur financier au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI. Il a précédemment travaillé au bureau de gestion des réserves étrangères du ministère des Finances japonais et au département des études de J.P. Morgan en tant que stratège de marché où il lui appartenait d’établir les perspectives du marché et la stratégie de placement, notamment la répartition de l’actif sur le marché mondial des titres à revenu fixe.



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