Les consommateurs des pays émergents déterminent les besoins en infrastructures

Par Paulo Mauro

4 mai 2017

Les besoins des pays émergents, tels que la Chine ou l’Inde, en infrastructures diffèrent de ceux des pays avancés comme les États-Unis ou l’Allemagne. Bon nombre de pays émergents doivent développer considérablement leur réseau dans les secteurs de l’énergie et du transport, ou en créer un, de manière à réaliser une croissance économique rapide. Nos travaux montrent que plus les gens gagnent de l’argent, plus ils en consacrent aux transports. La montée de la classe moyenne et l’augmentation des revenus dans les pays émergents ont des implications importantes pour la manière dont les dirigeants choisissent d’investir dans les infrastructures.

Ce que l’augmentation des revenus signifie pour les besoins en infrastructures
L’investissement dans les infrastructures doit suivre le rythme de la croissance rapide de la population, en particulier en Afrique subsaharienne, en Inde et dans d’autres parties de l’Asie du Sud-Est, ainsi que de la croissance du revenu par habitant. En outre, la consommation continue de se déplacer vers les dépenses de transport, un fait qui est souvent sous-estimé.

De nombreux travaux économiques montrent comment les variations du revenu influent sur les types de biens et services que les gens choisissent d’acheter.

Au XIXe siècle, l’économiste allemand Ernst Engel a montré que, si les dépenses des ménages consacrées à l’alimentation augmentent avec le revenu et la taille de leur famille, la proportion du revenu consacrée à l’alimentation diminue : c’est ce qu’on appelle la loi d’Engel.

Les données que nous tirons d’enquêtes menées auprès des ménages de 20 pays avancés et pays émergents font apparaître une relation solide et positive entre le revenu des particuliers et les dépenses de transport. Tandis que les personnes qui gagnent 200 dollars par an ne consacrent que 1 % de leurs revenus aux transports, celles qui gagnent 20.000 dollars par an y affectent 18 %.

Au cours des 20 prochaines années, le nombre de personnes gagnant entre 6.000 et 20.000 dollars dans le monde augmentera d’un peu plus d’un milliard, et beaucoup de ces personnes achèteront leur première voiture. Le nombre de personnes qui gagnent plus de 20.000 dollars augmentera de près de 800 millions, et bon nombre d’entre elles commenceront à prendre l’avion pour leurs loisirs.

Compte tenu de ces facteurs, les dépenses des consommateurs consacrées aux transports devraient quadrupler d’ici 2035 en Inde, en Chine et dans d’autres pays émergents d’Asie, ainsi qu’en Afrique subsaharienne. La simple construction des routes goudronnées et des voies ferrées qui sont nécessaires pour satisfaire la demande mondiale croissante de transport pourrait coûter environ 48.000 milliards de dollars sur les 20 prochaines années. Les pays émergents et les pays en développement auront besoin de la majeure partie de cet investissement.

Faire appel au secteur privé
Une modification des priorités en matière de dépenses publiques ou la mobilisation de fonds grâce à l’impôt pourrait financer certains investissements dans les infrastructures. Mais le seul moyen réaliste de combler le déficit élevé et croissant des infrastructures dans les pays émergents consiste à faire appel au secteur privé, y compris les ressources potentiellement considérables des fonds de pension et des compagnies d’assurance vie dans le monde entier.

Il pourrait être nécessaire à cet effet de modifier les exigences prudentielles de manière à permettre à ces investisseurs de détenir des portefeuilles de projets d’infrastructures qui sont diversifiés sur le plan international. Par ailleurs, des partenariats publics–privés avec des banques de développement multilatérales et régionales offriraient le label de qualité dont les investisseurs ont besoin pour participer à de tels projets.

Pour attirer les investisseurs privés, il faudrait aussi que les pouvoirs publics maintiennent des dispositifs réglementaires stables, sans interférence politique arbitraire. Par ailleurs, les appels de garanties publiques des partenariats publics-privés ont parfois imposé des coûts budgétaires équivalant à 1 point du PIB, ou plus, dans beaucoup de pays, notamment en Colombie, en Indonésie et au Portugal. Pour réduire ces risques, les pouvoirs publics devront surveiller et divulguer les obligations budgétaires qui résultent de projets impliquant une participation privée. Plusieurs pays, parmi lesquels le Chili, agissent maintenant régulièrement de la sorte.

Transparence

Il ne s’agit pas seulement de dépenser plus, mais de bien dépenser.

Le succès d’un projet d’infrastructure dépend de la transparence et de l’existence de médias indépendants qui peuvent surveiller et rendre compte de ces projets avec précision. Cela permet aux citoyens de pousser les dirigeants à rechercher l’intérêt public.

La publication des offres et des éléments principaux des contrats, une bonne comptabilité et un contrôle de la qualité sont tous essentiels pendant la phase de passation des marchés publics, y compris l’évaluation d’un projet et l’appel d’offres, ainsi que l’exécution du contrat. On veille ainsi à ce que les financements soient utilisés de manière productive et ne soient pas détournés ou orientés de manière illicite vers des projets à faible valeur ajoutée qui sont préférés par des partisans politiques. Pour décourager la fraude, les pouvoirs publics doivent offrir des récompenses aux lanceurs d’alerte et les protéger de représailles.

Beaucoup de pays émergents obtiennent des notes médiocres pour ce qui est des indicateurs de la qualité du dispositif institutionnel de sélection et de mise en œuvre des projets. Cependant, la corruption touche tous les pays, et les pays avancés doivent aussi protéger les projets d’investissement dans les infrastructures des influences privées injustifiées et des interférences politiques arbitraires.

De nouveaux choix « verts » dans le domaine de la construction seraient bénéfiques aussi pour les citoyens. Par exemple, privilégier le métro ou d’autres moyens de transport public plutôt que les routes dans les nouveaux réseaux de transport contribuera à réduire les émissions de carbone pendant des décennies.

L’investissement dans les infrastructures est très prometteur. Pour exploiter ce potentiel considérable, les dirigeants doivent adopter et préserver des freins et contrepoids appropriés, de manière à ce que les citoyens bénéficient des bons choix.

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Paolo Mauro est Sous-Directeur au Département Afrique du FMI. Entre 2014 et 2016, il a été chercheur principal au Peterson Institute for International Economics et professeur invité à la Johns Hopkins University Carey Business School. Auparavant, il a occupé plusieurs postes d’encadrement au Département des études et au Département des finances publiques du FMI. Ses articles ont été publiés dans des revues telles que Quarterly Journal of Economics, et sont largement cités dans les milieux universitaires et dans des médias tels que The Economist et The Wall Street Journal. Il est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels World on the Move: Consumption Patterns in a More Equal Global Economy; Emerging Markets and Financial Globalization; et Chipping Away at Public Debt.



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