La réussite de l’Afrique : bien plus qu’une affaire de ressources naturelles

Par Antoinette M. Sayeh, Directrice, Département Afrique
Fonds monétaire international
Affiché le 31 octobre 2013 par le blog du FMI - iMFdirect

Lorsque je rencontre des gens en dehors de l’Afrique, on me demande souvent si l’essor économique du continent depuis le milieu des années 90 est simplement dû au boom des matières premières, autrement dit à la manne dont ces pays ont bénéficié grâce au niveau élevé des prix des produits de base.

Mais les ministres des finances et les autres décideurs de la région, dont j’ai moi-même fait partie, savent bien que la réalité est plus compliquée que cela. Ainsi, dans le dernier rapport du FMI sur les Perspectives économiques régionales consacré à l’Afrique subsaharienne, une équipe d’économistes du Département Afrique du FMI montre que la réussite confirmée de l’Afrique ne se résume pas à la simple exploitation des ressources naturelles. En fait, un certain nombre de pays de la région ont réussi à obtenir de très bons résultats sans s’appuyer sur les ressources naturelles, et ils le doivent dans une large mesure aux politiques bien conçues qu’ils ont appliquées avec constance.

Mes collègues sont arrivés à cette conclusion après avoir examiné attentivement le cas de six pays (Burkina Faso, Éthiopie, Mozambique, Ouganda, Rwanda et Tanzanie) sur la période 1995–2010. Tous ces pays ont créé les conditions d’une croissance soutenue en mettant de l’ordre dans leur situation macroéconomique, souvent après une période de conflits destructeurs.

En particulier, j’ai été frappée par le fait que tous avaient défini un cadre stratégique et une vision globale qui ont rendu possible ce retournement de situation.

• Le Burkina Faso a beaucoup travaillé sur ses institutions et à mis en place très tôt une planification macroéconomique à moyen terme. Il a aussi géré avec habileté le secteur du coton, qui revêt une grande importance pour le pays et fait vivre une forte proportion de la population pauvre.

• L’Éthiopie, qui est de loin le pays le plus peuplé de l’échantillon, a accéléré son rythme de croissance en soutenant activement l’agriculture ainsi que certains services et produits d’exportation (fleurs coupées, tourisme et transport aérien).

• Le Mozambique a attiré vers la fin des années 90 beaucoup d’investissements étrangers et autres flux de capitaux extérieurs, qui ont financé des mégaprojets à forte intensité de capital dans le domaine de la production et du transport d’électricité et de gaz, la première étant utilisée pour produire de l’aluminium.

• L’Ouganda a commencé en mettre en œuvre de grandes réformes macroéconomiques et structurelles juste avant 1990, a stimulé l’investissement privé et lancé une politique de diversification de la base d’exportation en l’élargissant aux produits non traditionnels.

• Le Rwanda a bénéficié d’un effet de rebond une fois la stabilité politique rétablie, rebond qui s’est appuyé sur une stratégie de redressement national axée judicieusement sur des secteurs spécifiques, notamment le tourisme et le café.

• La Tanzanie s’est assuré un taux de croissance durablement élevé en lançant, de façon ordonnée, trois vagues successives de réformes macroéconomiques et structurelles, touchant tous les secteurs.

Le principal enseignement à tirer de l’expérience de ces pays réside dans l’existence de ce que mes collègues appellent un cercle vertueux : les six pays ont tous suivi des politiques raisonnables axées sur le moyen terme et procédé à d’importantes réformes structurelles, ce qui a suscité une augmentation des flux d’aide et permis à ces pays de bénéficier d’allégements de dette, et de libérer leurs propres ressources. Ces progrès ont abouti à la création d’un espace budgétaire grâce auquel les pays ont pu accroître leurs dépenses sociales et les investissements en capital, en particulier dans les infrastructures, ce qui a contribué à rehausser le rythme de la croissance économique.

Importance de l’agriculture

Si l’on examine la structure de ces six économies, l’on constate tout de suite que l’agriculture occupe encore une place énorme dans la plupart des pays, employant environ 80 % de la population active au Mozambique et au Burkina Faso, 71 % en Ouganda et 65 % en Tanzanie. Nous savons aussi que les populations pauvres sont concentrées dans les zones rurales et que, pour la plupart, les personnes en situation d’extrême pauvreté vivent de l’agriculture de subsistance.

Dans tous les pays, il existe encore une marge considérable pour accroître la production agricole au cours de la période à venir, ce qui sera important pour assurer une croissance plus solidaire, c’est-à-dire une croissance dont les bienfaits soient partagés de façon plus équitable entre tous les segments de la population, y compris les plus pauvres. L’Éthiopie et le Rwanda ont déjà montré que des programmes publics conçus pour faciliter l’accès aux semences et aux engrais peuvent améliorer sensiblement les rendements agricoles.

Le secteur des services a aussi été un moteur important de la croissance dans les six pays de notre échantillon, ce qui s’explique dans une certaine mesure par le développement du secteur des télécommunications. La téléphonie mobile est aujourd’hui un instrument de communication important pour les populations africaines; c’est aussi un moyen d’accès important à l’information, par exemple sur les prix du marché des produits agricoles. On sait qu’elle sert aussi à effectuer des transactions bancaires dans certains pays, notamment dans les zones éloignées où il n’existe pas de lignes téléphoniques fixes. Je me réjouis de voir que, grâce à la téléphonie mobile, les services financiers sont désormais accessibles aux populations très pauvres, qui restent à l’écart du système financier formel.

Espace budgétaire

Je tiens à souligner aussi que les six pays de notre échantillon ont créé un espace budgétaire et l’ont utilisé judicieusement. L’espace budgétaire est la marge de manœuvre dont ils disposent dans leur budget pour effectuer des investissements productifs et d’autres dépenses prioritaires. Les six pays ont bénéficié très tôt d’allégements de dette et aussi de flux extérieurs relativement élevés, à la fois sous forme d’aide budgétaire et d’investissements directs étrangers — nouvelle preuve de la qualité reconnue de leurs politiques économiques et de leur vision stratégique.

Et j’ajouterai que ces ressources sont arrivées dans un environnement particulièrement productif. Les taux d’investissement des pays de l’échantillon étaient plus élevés que ceux de leurs pairs et ils ont investi dans les infrastructures ainsi que dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Le Mozambique a même fait l’expérience de partenariats public-privé pour développer ses infrastructures, en particulier le réseau ferroviaire, les ports et des routes à péage.

Ces pays auront encore à affronter de difficiles défis au cours de la période à venir, mais il est rassurant de savoir qu’ils verront aussi s’ouvrir d’énormes possibilités. Malgré les investissements massifs déjà réalisés, les infrastructures des pays de l’échantillon sont encore loin de répondre aux besoins de base de la population. Il est aussi difficile de faire marcher une entreprise quand il y a sans cesse des pannes de courant et que l’électricité manque. Les agriculteurs ne peuvent pas écouler leurs produits convenablement parce qu’il n’y a pas de routes qui les relient aux centres urbains. Par conséquent, il demeure indispensable d’investir massivement et de façon soutenue dans les infrastructures, en particulier dans le secteur de l’énergie et celui des transports.

Il n’en demeure pas moins que, globalement, les six pays que mes collègues ont étudiés — Burkina Faso, Éthiopie, Mozambique, Ouganda, Rwanda et Tanzanie — se sont transformés en économies performantes, et ce sans être producteurs de ressources naturelles, et je suis convaincue que, pourvu qu’ils continuent d’appliquer de bonnes politiques, ils sont bien partis pour entrer dans la catégorie des pays émergents.

Antoinette Monsio Sayeh est Directrice du Département Afrique du FMI. Elle a été Ministre des Finances du Libéria et a travaillé pendant dix-sept ans à la Banque mondiale. Avant cela, elle a occupé divers postes de conseillère économique dans les ministères des finances et de la planification du Libéria.



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