La reprise économique à trois vitesses

Par Olivier Blanchard, Conseiller économique et Directeur, Département des études, FMI
Affiché le 16 avril 2013 par le blog du FMI - "iMFdirect"

Le thème principal de notre dernier rapport sur les perspectives de l'économie mondiale vous est maintenant familier : nous sommes passés d'une reprise à deux vitesses à une reprise à trois vitesses.

Les pays émergents et les pays en développement continuent d’enregistrer une croissance vigoureuse, mais, dans les pays avancés, il semble y avoir une divergence croissance entre les États-Unis d’une part et la zone euro d’autre part.

Nos prévisions en témoignent. La croissance dans les pays émergents et les pays en développement devrait atteindre 5,3 % en 2013 et 5,7 % en 2014. Aux États-Unis, la croissance serait de 1,9 % en 2013 et de 3,0 % en 2014. Par contre, la croissance dans la zone euro atteindrait -0,3 % en 2013 et seulement 1,1 % en 2014.

La croissance prévue aux États-Unis en 2013 ne semble peut-être pas très élevée : en fait, elle est insuffisante pour faire reculer sensiblement un taux de chômage qui reste élevé. Mais elle sera atteinte malgré un assainissement budgétaire très vigoureux, je dirais même trop vigoureux, d'environ 1,8 % du PIB. La demande privée est vraiment vigoureuse, portée en partie par l'anticipation de taux directeurs faibles selon les indications de la Réserve fédérale quant à l'orientation future de la politique monétaire, par une amélioration de la situation des banques et par la demande non satisfaite de logements et de biens de consommation durables.

La prévision d'une contraction de l'activité dans la zone euro s'explique par des faiblesses non seulement dans la périphérie, mais aussi dans une certaine mesure au cœur de la zone.

En Allemagne, la croissance s'accélère, mais elle devrait quand même n'atteindre que 0,6 % en 2013. En France, l'activité devrait se contracter légèrement en 2013, à cause de l'assainissement budgétaire, de mauvais résultats à l'exportation et d'un manque de confiance. La faiblesse de la croissance dans les pays du coeur de la zone euro est une mauvaise nouvelle en tant que telle, mais aussi une mauvaise nouvelle pour les pays de la périphérie.

Nous nous attendons à ce que la plupart des pays de la périphérie, notamment l'Espagne et l'Italie, enregistrent une forte contraction de l'activité en 2013. Le processus de dévaluation interne se déroule lentement et douloureusement, et la plupart de ces pays deviennent peu à peu plus compétitifs. Cependant, la demande extérieure n'est tout simplement pas suffisamment vigoureuse pour compenser la faiblesse de la demande intérieure. Les chaînes de réaction négatives entre les banques fragiles, les pays fragiles, l'activité languissante et, de plus en plus, une faible confiance continuent de se renforcer mutuellement.

Le Japon suit sa propre voie ; il aurait peut-être été plus exact de parler d'une reprise à trois vitesses et demi plutôt qu'à trois vitesses. Après de nombreuses années de déflation, et peu ou pas de croissance, le nouveau gouvernement a annoncé une nouvelle politique, qui repose sur un assouplissement quantitatif agressif, un objectif d'inflation positive, une relance budgétaire et des réformes structurelles. Cette politique stimulera la croissance à court terme, comme en témoigne notre prévision d'une croissance de 1,4 % pour 2013. Étant donné le niveau très élevé de la dette publique, toutefois, il est risqué d'engager une relance budgétaire sans disposer d'un programme d'assainissement budgétaire à moyen terme; il est d'autant plus probable que les investisseurs exigeront une prime de risque, avec pour conséquence une remise en question de la viabilité de la dette.

Étant donné ce tableau hétérogène pour les pays avancés, les pays émergents se portent bien de manière générale. Pour 2013, nous prévoyons une croissance de 8,0 % en Chine en 2013 — bien que cette prévision ait été établie avant la publication des chiffres d'hier, que nous analysons encore —, de 5,7 % en Inde et de 3,0 % au Brésil — soit, pour ces trois pays, des taux croissance plus élevés qu'en 2012.

Dans le passé, les conditions d'aujourd'hui — à savoir des cours élevés des produits de base, des taux d'intérêt faibles et des entrées de capitaux massives — auraient souvent entraîné une forte expansion du crédit et une surchauffe. Jusqu'à présent, les dirigeants ont dans l'ensemble réussi à maintenir la demande globale en phase avec le potentiel. Par ailleurs, la croissance potentielle a elle-même diminué dans un certain nombre de pays émergents, et nous ne verrons plus certains des taux de croissance élevés qui ont été observés dans le passé.

Action à entreprendre :

Aux États-Unis, il s'agit de définir la bonne trajectoire de l'assainissement des finances publiques — en réduisant la dette et le déficit publics. La procédure de réduction automatique des dépenses a réduit les craintes concernant la viabilité de la dette, mais ce n'est pas la bonne manière de s'y prendre. L'assainissement budgétaire devrait être de moindre ampleur et de meilleure qualité aujourd'hui, et les autorités devraient s'engager à entreprendre un assainissement de plus grande envergure à l'avenir.

Dans la zone euro, des progrès institutionnels ont été accomplis au cours de l'année écoulée, en particulier pour ce qui est de l'établissement d'une feuille de route pour une union bancaire. Même s'il n'en a pas encore été fait usage, le programme des opérations monétaires sur titres de la Banque centrale européenne a réduit les risques extrêmes. Cependant, cela ne suffit pas.

Les taux d'intérêt appliqués aux emprunteurs dans les pays de la périphérie restent trop élevés pour assurer la reprise, et il faut prendre d'urgence des mesures supplémentaires pour renforcer les banques, sans affaiblir les pays. La faiblesse de la demande privée semble indiquer aussi que les pays qui en ont les moyens devraient laisser jouer les stabilisateurs automatiques, et que les pays disposant de l'espace budgétaire nécessaire devraient même aller plus loin et réexaminer le rythme de l'ajustement budgétaire.

Les pays émergents sont confrontés à des problèmes différents, en particulier la gestion des flux de capitaux. Compte tenu des perspectives foncièrement favorables dans les pays émergents, ainsi que des faibles taux d'intérêt dans les pays avancés, il est probable que de nombreux pays émergents continueront d'enregistrer des entrées de capitaux nettes et de subir des pressions sur leur monnaie. C'est un processus fondamentalement souhaitable qui fait partie du rééquilibrage mondial nécessaire pour que l'économie mondiale se rétablisse. Par ailleurs, comme nous l'avons vu, les flux de capitaux peuvent être volatils, ce qui complique la gestion économique. Pour les pays bénéficiaires, il s'agit de faire face à la tendance sous-jacente tout en réduisant la volatilité des flux lorsqu'ils menacent la stabilité économique ou financière.

En résumé, les bonnes nouvelles récentes concernant les États-Unis ont coïncidé avec de nouvelles craintes à propos de la zone euro. Étant donné les interconnexions étroites entre les pays, une reprise inégale est aussi une reprise dangereuse. À certains égards, l'économie mondiale est aussi faible que son maillon le plus faible. Certains risques extrêmes ont diminué, mais les dirigeants ne peuvent pas relâcher leur effort.



DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

Relations publiques    Relations avec les médias
Courriel : publicaffairs@imf.org Courriel : media@imf.org
Télécopie : 202-623-6220 Télécopie : 202-623-7100