Discours de Monsieur Laurent Fabius,
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
au Comité monétaire et financier international
le 24 septembre 2000
English
List of IMFC
Statements
Mes chers collègues,
Nos réunions cette année à Prague ont une dimension pratique et
symbolique : la chute du mur de Berlin et l'intégration dans la communauté
internationale des pays d'Europe centrale et orientale ont représenté l'un des
enjeux majeurs des 10 dernières années. Nous réunir à Prague,
c'est aussi le symbole du rôle moteur que l'Europe a joué et doit continuer à
jouer dans la construction d'un système monétaire et financier international plus
efficace et plus juste. Le discours que je vous soumets par ailleurs, en qualité de
Président en exercice du Conseil des Ministres de l'économie et des finances de
l'Union européenne, témoigne de l'engagement et de la détermination de
l'Europe à œuvrer collectivement pour cet objectif.
A l'occasion de nos réunions, la mobilisation de la société civile
démontre qu'il existe encore beaucoup d'incompréhensions. Nous avons du
chemin à parcourir, en dépit des progrès accomplis, pour limiter les effets
négatifs ou indésirables qui accompagneraient l'intégration
économique et financière ; nous devons répondre à ces
préoccupations par une responsabilité politique pleinement exercée et par
une transparence accrue ; nous devons mettre sans cesse l'accent, dans les institutions
financières internationales, sur la lutte contre les injustices et la pauvreté ;
nous devons aussi poursuivre nos efforts pour démocratiser ces institutions.
Le Comité monétaire et financier international est à mes yeux
l'instance d'orientation politique du FMI : il nous appartient de lui faire jouer pleinement ce
rôle et d'y définir les lignes directrices pour que le FMI évolue et
réponde aux nouveaux enjeux. Nous devons consolider cette responsabilité
essentielle du Comité monétaire et financier international, dont la
représentativité est le plus fort gage de légitimité. Nous en avons
aujourd'hui la possibilité et le devoir.
A l'approche des réunions de Prague, on a souvent souligné les
conséquences pour l'économie mondiale des évolutions sur le
marché des changes. Les interventions réalisées le 22 septembre par les
autorités monétaires du G7 ont montré d'une façon très
nette que cette préoccupation était commune, et que nous étions
prêts à utiliser les instruments à notre disposition.
1. Faire face aux déséquilibres du marché
pétrolier
Je souhaite tout d'abord vous faire part de ma préoccupation concernant l'impact des
prix actuels du pétrole sur la conjoncture mondiale. Alors que nous sommes
entrés dans une phase de croissance rapide, prometteuse, non inflationniste, la
montée brutale des prix du pétrole depuis quelques mois soulève
l'inquiétude de l'opinion publique, peut dérégler les anticipations des
agents économiques et soumettre des budgets publics à la menace de nouveaux
déséquilibres. Et cela partout dans le monde, dans les pays industrialisés,
dans les pays émergents non producteurs, dans les pays en transition et surtout
dans les pays les plus pauvres. Ce doit être pour nous, Ministres des Finances du monde
entier, une responsabilité partagée, une responsabilité pressante que de
chercher l'issue qui permettra aux prévisions positives du FMI de se
concrétiser.
Quelles sont les causes ? Les principaux facteurs sont connus : la reprise de la
demande mondiale, les conséquences d'une période de prix bas, puis d'une autre
où les capacités effectives ne se sont pas suffisamment accrues et, dans ce
contexte où les tensions sont progressivement réapparues, un fonctionnement du
marché sur lequel des mécanismes peu concurrentiels ont provoqué des
hausses allant au-delà de ce que les pays producteurs jugeraient eux-mêmes
souhaitable. A cela se sont ajoutés les mouvements de marché qui ont
accompagné la décision récente positive de l'OPEP d'augmenter sa
production de 800 000 barils par jour ; pris de fébrilité, peut-être par
crainte d'approvisionnements insuffisants cet hiver, ou pour d'autres raisons plus complexes, le
marché s'est engagé dans une spirale supplémentaire et auto-entretenue.
Nous sommes loin d'un équilibre de marché rationnel et c'est notre
responsabilité de redonner des repères à ce marché, qui doit
permettre aux producteurs comme aux consommateurs stabilité et croissance.
Car les enchaînements actuels portent en germe des conséquences
macroéconomiques sérieuses. Si les tensions actuelles se perpétuaient,
elles pourraient menacer la poursuite de la croissance mondiale, c'est ce que nous
apprennent—dans d'autres conditions il est vrai—les chocs pétroliers
passés. Le FMI adopte dans son rapport sur les perspectives économiques
mondiales une position prudente, mais il reconnaît qu'une augmentation de 10% du prix du
pétrole (or n'oublions pas que ce prix a été multiplié par trois
depuis janvier 1999) diminue la croissance de 0,1 point dans les pays les plus riches et de 0,2
point en Asie (avec un fort impact en Inde notamment). Dans certaines régions du monde,
la croissance pourrait être particulièrement affectée, notamment dans les
pays non producteurs d'Asie, d'Afrique et des Caraïbes. Nous devons tout faire pour qu'un
excès de volatilité temporaire des prix ne se transforme pas en un nouveau choc
mondial. Disant cela, nous devons avoir particulièrement à l'esprit les
conséquences potentiellement redoutables pour les pays les moins avancés. Je me
résume : il serait illusoire de se pencher sur les mécanismes financiers d'aide
à ces pays si dans le même temps un choc pétrolier venait démolir
leurs efforts et les nôtres.
Notre volonté commune est de voir les prix du pétrole retrouver un niveau
stable—j'insiste sur cette notion de stabilité—conforme à un bon
équilibre entre les intérêts des pays producteurs et des pays consommateurs.
Une fourchette de prix de 22 à 28 $ avait été avancée il y a
quelques mois, des mécanismes d'auto-régulation du marché avaient
été imaginés ; je ne me prononce pas ici sur le détail des
mesures qui seraient appropriées mais je veux dire, dans cette enceinte où sont
réunis les principaux ministres en charge de la santé économique de la
planète, que nous sommes investis d'une responsabilité par nos opinions
publiques, par nos peuples : face à un désajustement de marché tel
que celui que nous observons aujourd'hui, nous ne pouvons pas ignorer les risques de l'inaction,
qui pourraient nous faire basculer, une nouvelle fois, dans un scénario que personne ne
souhaite. Sachons aujourd'hui, entre Ministres des Finances, poser les termes d'un diagnostic
commun et faire en sorte que demain, par un dialogue fructueux après avoir
recherché ensemble les solutions à notre portée, le marché
retrouve les conditions d'un bon équilibre.
2. La lutte contre la pauvreté est une des missions centrales du
Fonds
Des résultats indéniables ont été obtenus dans la lutte contre
la pauvreté. Il nous appartient de mieux les expliquer pour amplifier le soutien de nos
concitoyens aux actions de la communauté financière internationale. Mais, face
à des inégalités croissantes, et à des besoins qui restent
immenses, nul ne peut se satisfaire des progrès réalisés à ce
jour.
L'universalité du FMI est un de ses principes fondateurs. Sa forme
coopérative est la source de sa légitimité. Son soutien à tous les
pays, et tout particulièrement aux plus pauvres, est nécessaire à un
développement durable. Le FMI ne peut donc s'exonérer de ce rôle et de
cette responsabilité. Il doit les assumer pleinement, en étroite concertation
naturellement avec les autres institutions concernées, notamment la Banque mondiale et
les Banques régionales de développement. J'attends en tout premier lieu de notre
comité qu'il réaffirme ce message : la lutte contre la pauvreté est
notre priorité collective, et donc celle du FMI.
Soyons cependant clairs : le FMI doit disposer des moyens nécessaires pour
atteindre cet objectif. Les difficultés qui pourraient surgir dans quelques mois sur le
financement de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la Croissance
(FRPC) sont à cet égard un motif d'inquiétude. Notre accord de
septembre 1999 pour créer cet instrument au service de la lutte contre la pauvreté
ne doit pas rester lettre morte. Fidèle à son engagement en faveur du
développement, ce dont témoigne sa contribution aux flux d'aide publique au
développement, la France est prête à apporter sa contribution au
financement de la FRPC.
C'est pourquoi nous avons décidé sur la demande de H. Köhler
—et cela malgré un partage de la charge financière du soutien aux pays
pauvres qui devient plus déséquilibré au sein du monde
développé—de prêter près de 10 milliards de francs
supplémentaires pour financer la FRPC. Il serait légitime que l'ensemble des
grands pays développés s'engagent à nos côtés, tout
particulièrement qu'il n'y ait pas de blocage envers les les ventes d'or prévues par
le FMI, indispensables au financement de l'initiative en faveur des pays pauvres très
endettés (PPTE).
La réduction du poids de la dette est un élément essentiel dans notre
lutte contre la pauvreté et je me félicite de la décision de réunir
conjointement le CMFI et le Comité du développement sur cette initiative. Tout
progrès dans la coordination entre les deux institutions va dans le bon sens et d'autres
sujets mériteraient d'ailleurs à l'avenir d'être abordés conjointement,
pour mieux assurer la cohérence des politiques menées par le FMI et la Banque
mondiale ; je pense en particulier à la lutte contre le blanchiment et à la
régulation des centres offshore.
Nous sommes ici tous convaincus que l'initiative PPTE doit au plus vite atteindre son
but : permettre une véritable réduction de la pauvreté dans les pays
bénéficiant des allègements de dette. Depuis notre dernière
réunion, nous avons démontré que nous voulions tenir nos promesses. Dix
pays ont atteint le point d'entrée de l'initiative dans sa version
« renforcée », et la plupart bénéficient ou vont
tout prochainement bénéficier de cette décision à travers un
l'allègement immédiat de la majeure partie du service de la dette. Les plus grands
bailleurs de fonds multilatéraux et le Club de Paris se sont résolument
engagés en ce sens. J'appelle tous les autres créanciers à faire de
même. Le Fonds et la Banque mondiale nous ont indiqué que dix autres pays
pourraient les rejoindre d'ici la fin de l'année, j'appelle ce résultat de mes v_ux.
Mais je souhaite aussi redire clairement que les politiques menées doivent être bien
adaptées pour que les allègements de dette profitent effectivement aux plus
démunis. Ceci suppose de prendre des engagements forts, notamment pour lutter contre la
corruption qui constitue le premier risque de détournement des marges de man_uvre
dégagées par l'initiative.
3. Les progrès déjà acquis dans la réforme
de l'architecture financière internationale doivent être intégralement mis en
pratique
Depuis trois ans, nous avons accompli d'importants progrès en matière de
régulation financière internationale, mais nous devons éviter le risque que
l'amélioration de la situation économique mondiale ne conduise à une
certaine complaisance. Nous devons tirer complètement les leçons des crises de
ces dernières années, progresser de manière résolue vers une
meilleure régulation du système financier international.
Les financements privés sont une source majeure de financement des pays en
développement et je me félicite de leur expansion. Mais l'expérience
démontre que des règles sont indispensables pour que les marchés
fonctionnent efficacement. Des progrès ont été accomplis ces derniers
mois, il nous faut en accélérer la mise en œuvre opérationnelle.
- La surveillance doit être renforcée. Il faut notamment
intégrer davantage les dimensions structurelles et régionales dans les analyses du
FMI. Dans l'économie mondiale aujourd'hui, il serait véritablement
inapproprié que le FMI prête peu d'attention aux aspects structurels de
l'économie. La France est bien entendu favorable à une approche précise,
ciblée sur les mesures réellement nécessaires à la stabilité
macro-économique et financière. Elle milite depuis longtemps en ce sens,
notamment pour assurer une conditionnalité équitable et efficace. Cette exigence
ne doit pas être contre productive : nier l'importance des questions structurelles et leur
influence sur la stabilité serait dangereux, notamment dans le secteur financier. Nous
devons donc nous assurer ensemble que le FMI exerce pleinement les prérogatives qu'il
est le seul à pouvoir assumer en matière de surveillance. C'est bien la
stabilité de l'économie internationale qui est en jeu, c'est à dire le
bénéfice collectif que nous tirons de la mondialisation.
- Il faut impliquer le secteur privé dans la prévention et la
résolution des crises. Nous sommes parvenus en avril dernier à un
accord sur un cadre d'action qui pose comme principes l'équité et la
responsabilisation de tous les acteurs. Nul besoin de développer à nouveau les
arguments qui militent pour cette approche ; beaucoup d'entre nous sont
déçus de voir encore trop souvent les effets adverses des ajustements
économiques peser directement sur les populations les plus faibles et les plus
vulnérables. Notre nouvelle approche fondée à la fois sur des principes
d'équité sociale et d'efficacité économique, me semble d'ailleurs
recueillir une attention croissante du secteur privé, il est indispensable d'aller de l'avant en
termes opérationnels.
- Des nouvelles règles prudentielles adéquates sont nécessaire
pour faire face aux risques créés par la mondialisation
financière. Le Forum de Stabilité Financière (FSF) a
réalisé un travail remarquable. Ses recommandations sont au c_ur de
l'intégration des dimensions micro et macro-économiques de la stabilité
financière. Les conclusions et recommandations du Forum sur les « hedge
funds » et sur la régulation financière dans les centres off-shore
constituent à cet égard un pas en avant déterminant. La France est
attachée à la mise en œuvre de ces recommandations et à
l'évaluation de leurs effets. Il est essentiel que les pays concernés imposent aux
hedge funds basés sur leur territoire, si besoin par la loi, les obligations de transparence
financière jugées indispensables par le FSF. Nous devrons par ailleurs
reconsidérer la possibilité d'établir une régulation directe du levier
financier des « hedge funds » si les mesures recommandées
jusqu'ici s'avéraient insuffisantes ou insuffisamment appliquées. S'agissant des
centres off-shore, j'attends du FMI qu'il joue pleinement son rôle pour inciter ces places
financières à renforcer dans les meilleurs délais la qualité de leur
régulation et à mieux coopérer au niveau international. Le Fonds doit
encourager ses Etats-membres recensés par le FSF, ou abritant des territoires ou
juridictions dans ce cas, à faire évaluer par ses services la solidité de leur
système financier.
- La lutte contre le blanchiment d'argent dans le monde doit être au cœur
de nos préoccupations. Les effets néfastes du blanchiment d'argent sur
la stabilité du système financier international et sur le développement
durable de l'économie mondiale, notamment celle des pays émergents, ne sont
plus à démontrer. Les progrès récents ont été
nombreux et spectaculaires. La publication par le GAFI de son rapport et d'une liste de pays et
territoires non-coopératifs est une avancée déterminante : pour la
première fois une enceinte multilatérale a eu le courage de dénoncer
clairement certains pays laxistes ou complaisants. Il appartient désormais au FMI et
à la Banque mondiale de prendre pleinement en compte, dans la définition de leurs
priorités et dans leurs programmes, la question du blanchiment d'argent en
général et les conclusions de ces travaux multilatéraux en particulier. Les
Institutions Financières Internationales ont un rôle majeur à jouer pour
inciter—voire contraindre- les pays non-coopératifs à appliquer
convenablement les normes internationales, en particulier les 40 recommandations du GAFI. Pour
ce faire, elles doivent envisager de restreindre ou de soumettre à conditions leur soutien
à ceux des pays et territoires non-coopératifs qui refuseraient de modifier leurs
règles et pratiques dommageables.
- La mise en œuvre des codes et normes internationaux dans le domaine
financier constitue également un pan important de la réforme du système
financier international. Le FSF a établi en mars une liste de 12 normes
prioritaires pour la stabilité financière, elles-mêmes conditions sine qua
non de la croissance et du développement économique. Je me félicite
qu'elles reprennent les 40 recommandations du GAFI. Ces 12 normes constituent le
« noyau dur » de règles universelles à appliquer
à moyen terme. Certains ont critiqué le processus d'élaboration de ces
normes et, de fait,. leur mise en œuvre doit toujours être adaptable aux
particularités nationales : à titre d'exemple, les principes de Bâle pour
le contrôle bancaire ont dès leur élaboration pris en compte cette
nécessité et sont aujourd'hui, grâce à cette souplesse,
considérés comme la norme de référence dans le secteur bancaire.
Il ne faut cependant pas mettre en cause l'objectif ultime : une mise en œuvre
progressive et ordonnée, qui prenne en compte le niveau de développement des
pays et qui vise à ce que tous les pays s'« approprient » ces
normes, notamment par le dialogue avec les institutions de Bretton-Woods.
- L'adaptation des instruments du FMI aux nouveaux besoins arrive aujourd'hui
à une étape décisive. Nous avons effectué de
considérables progrès depuis avril dernier. Je tiens à souligner deux points
qui me semblent particulièrement significatifs :
.
(i) le rôle préventif du FMI va être renforcé. La nouvelle Ligne
de crédit conditionnelle (LCC), créée au début de l'an dernier,
n'avait pu remplir son objectif en raison de ce qu'il faut bien appeler un certain nombre de
défauts de fabrication. Aujourd'hui, cette facilité est moins chère, et, en
termes de procédure, plus accessible pour les pays qui mènent des politiques
économiques et financières sérieuses. J'espère que les pays
émergents chercheront ou continueront à mener de telles politiques afin de
bénéficier de la protection face à la contagion financière que
confère l'éligibilité à la LCC.
(ii) le rôle incitatif du FMI sera également renforcé par la
réforme des deux principales facilités du FMI, à savoir l'accord de
confirmation et la Facilité de crédit élargie. Les pays emprunteurs seront
en effet, grâce à des maturités plus courtes et des coûts
légèrement croissants des prêts du FMI, progressivement incités
à se tourner vers des financements internationaux privés stables et soutenables, et
à moins solliciter le soutien financier des IFIs. A travers cette orientation, notre objectif
est de dissuader d'éventuels abus par les pays emprunteurs et d'inciter plus
généralement à mettre en œuvre des politiques économiques
sérieuses sur la durée, et certainement pas de durcir l'aide que le FMI fournit aux
pays en développement. C'est pourquoi je me félicite que l'accord trouvé
au Conseil d'administration, suite à l'impulsion donnée en avril à
Washington, préserve cet équilibre délicat entre incitation et
soutien.
4. D'importantes avancées restent nécessaires pour donner
une plus grande cohérence à la régulation du système
monétaire et financier international
Tous ces travaux en cours d'achèvement ou en nette progression sont encourageants.
Il nous faut aller jusqu'au bout de la réforme, c'est à dire assurer une meilleure
cohérence : nous ne pouvons pas constater d'un côté que les flux de
capitaux privés jouent un rôle croissant et feindre d'en ignorer les
conséquences sur l'architecture financière internationale et sur les missions
fondamentales du Fonds. L'ouverture des pays en développement aux flux de capitaux
privés apporte des opportunités de développement considérables,
mais elle entraîne aussi comme on l'a vu dans un passé qui n'est pas encore lointain
des risques importants : il faut maîtriser ces risques pour que l'insertion dans les
marchés de capitaux internationaux ne se fasse pas au détriment des populations
les plus vulnérables. C'est une question de légitimité et de
crédibilité de notre action vis à vis des populations
elles-mêmes.
Nous disposons déjà de nombreux éléments pour trouver
rapidement un accord sur un « code de conduite » de l'ouverture aux
flux de capitaux internationaux, concept parfois repris sous le vocable de
« libéralisation financière ordonnée ». L'objectif
est d'accompagner le mouvement vers une ouverture financière accrue, sachant que
celle-ci ne pourra porter ses fruits que si certaines conditions sont préalablement remplies.
L'objectif n'est naturellement pas de proposer un cadre rigide, visant à promouvoir une
libéralisation excessive et mal maîtrisée. Il est de structurer un processus
déjà en cours et bénéfique aux pays concernés. Il est aussi
de reconnaître les leçons du passé, ainsi que la diversité des
pratiques, pour mettre l'accent sur l'importance des structures institutionnelles qui doivent
être en place pour que cette évolution soit positive. Il est de parvenir à un
accord sur l'ensemble des instruments à la disposition de la communauté
internationale, et je pense ici notamment à ce que nous pouvons tirer de
l'expérience chilienne.
Le FMI doit aujourd'hui être prêt à gérer des crises du compte
financier provoquées par des fuites de capitaux, et non plus seulement de traditionnelles
crises du compte courant générées par des déséquilibres
budgétaires ou monétaires. Le FMI n'est-il pas une institution
« financière », et pas seulement
« monétaire » ?
Cet édifice doit s'appuyer sur la relance des discussions sur l'élargissement du
mandat du Fonds Monétaire International au compte financier, et s'il le faut sur la
révision des Statuts à cette fin. Il nous faut doter l'institution centrale de
l'architecture financière internationale d'un mandat reflétant la principale
évolution du système monétaire et financier international au cours des
cinquante dernières années : l'explosion des flux de capitaux. C'est
pourquoi j'appelle le FMI à reprendre ses réflexions sur la mise en place des
moyens juridiques et opérationnels qui lui sont nécessaires pour conseiller et
soutenir les pays émergents qui cherchent à accéder aux marchés
de capitaux internationaux. Le FMI doit élaborer une doctrine qui fasse largement la place
aux préoccupations des pays émergents. Le choix du champ et du rythme
d'ouverture doivent rester dans les mains des pays concernés. Je considère
également légitime que les pays émergents soient dotés des outils
leur permettant de défendre certains intérêts stratégiques et
économiques fondamentaux. Ainsi la libéralisation financière peut se
conjuguer utilement avec des mesures de régulation, en temps normal, ou de
contrôle en temps de crise. L'idée de « moratoire »
international concerté, mais non contraignant juridiquement parlant, semble d'ailleurs faire
largement consensus au niveau international. De même, pour lutter efficacement contre le
blanchiment des capitaux, il peut être nécessaire de maintenir temporairement des
contrôles sur le secteur financier au niveau national.
5. Une croissance plus équilibrée doit être notre objectif
collectif
La situation macro-économique de la zone euro est positive. Nous connaissons une
croissance soutenue, supérieure à 3%, cette année et cette tendance doit
se poursuivre l'année prochaine. La croissance s'appuie sur une demande
intérieure robuste : le dynamisme de la consommation des ménages est
alimenté par de fortes créations d'emplois, qui assurent une décrue rapide
du taux de chômage ; l'investissement des entreprises s'accélère et les
nouvelles technologies commencent à se diffuser à l'ensemble de
l'économie.
La croissance est mise à profit dans l'ensemble des pays européens pour
l'assainissement des finances publiques et les amener à une situation d'équilibre.
Ceci permettra notamment de mieux préparer les enjeux liés au vieillissement de
nos sociétés. Ainsi, en 2000, le déficit des administrations publiques
françaises devrait être de 1,4 % du PIB alors que notre objectif initial
était de 1,8 %. En 2001, l'objectif du gouvernement est un déficit de
1 % du PIB, la réduction graduelle de nos besoins de financement se poursuit
conformément aux engagements de moyens.
Il s'agit désormais pour nous, Européens, de pérenniser ce cycle de
croissance, c'est-à-dire de conserver un haut niveau de croissance de l'activité sans
faire naître de tensions inflationnistes. Pour l'instant, celles-ci sont contenues. Si l'on
excepte les effets directs de la hausse des cours du pétrole sur le prix des carburants, les
prix évoluent de façon modérée et cela grâce à la
modération des salaires. Par ailleurs, le développement des nouvelles
technologies, que nous encourageons au niveau européen dans la suite du Conseil
européen de Lisbonne devrait se traduire par une accélération de la
productivité susceptible d'élever notre potentiel de croissance non inflationniste.
Je suis donc optimiste, même s'il convient bien entendu de rester vigilant compte tenu des
incertitudes entourant les effets de la hausse des prix du pétrole.
Nous nous sommes également engagés à accélérer
nos réformes structurelles. Les réformes fiscales et l'amélioration du
fonctionnement des marchés du travail ainsi que la poursuite de l'ouverture à la
concurrence dans de nombreux secteurs stimuleront l'offre, à la fois du côté
des entreprises et du côté de l'offre de travail des ménages. Elles
favoriseront également la diffusion des nouvelles technologies. Ces réformes
doivent nous aider à aller vers une économie dynamique, moderne, de plein
emploi et non inflationniste, c'est-à-dire vers ce que j'ai appelé dans un document
récent la « stabcroissance ».
Dans ce contexte de croissance forte et pérenne, il est de plus en plus apparent que le
niveau actuel de l'euro ne reflète pas la solidité des fondamentaux de la zone euro.
Le FMI dans le rapport du CGER intégré dans les dernières perspectives
économiques mondiales, comme les économistes des marchés financiers,
estiment de façon unanime que la monnaie unique est sous-évaluée de
manière importante. A l'Eurogroupe du 8 septembre dernier, mes collègues, la
BCE et moi-même, avons souligné notre détermination à
accélérer ce processus et à promouvoir les nécessaires
réformes structurelles afin d'accroître le potentiel de croissance de la zone euro. Les
récentes interventions des banques centrales vont en ce sens. Nous sommes tous
persuadés qu'un euro fort est dans l'intérêt de la zone euro et de la
stabilité économique mondiale. Nous ne relâcherons pas notre effort.
Dans les pays émergents et en développement, les résultats du premier
semestre confirment la reprise de l'activité, le FMI estimant que la croissance devrait
atteindre 5,7 % cette année (6,7 % en Asie, 4,4 % en
Amérique latine et 4,9 % dans les pays en transition, toutefois, si la hausse des prix
du pétrole persiste, la croissance en Asie pourrait être réduite de 0,2 point).
Cette croissance des pays émergents n'est plus seulement tirée par le commerce
extérieur, mais également par la demande interne. Dans l'ensemble, à la
suite des crises asiatique, russe et brésilienne, la plupart des pays émergents ont
renforcé leurs efforts avec détermination, soutenus par la communauté
financière internationale. Ainsi, les pays latino-américains ont-ils par exemple
entrepris de réduire leurs déficits budgétaires, avec des résultats
encourageants à ce jour qu'il s'agit de poursuivre, sans toutefois risquer d'étouffer
la reprise.
Le défi pour les pays émergents est désormais de stabiliser et
d'assainir leur croissance, afin qu'elle contribue à un développement durable et
équilibré. A cette fin, les réformes structurelles sont un enjeu
essentiel : un secteur financier sain et transparent, une politique fiscale qui favorise
davantage la constitution d'une épargne interne et rende les pays moins
dépendants de financements externes, la mise en place d'un environnement attractif pour
les investisseurs tant internes qu'étrangers, la lutte contre la corruption et la mise en place
de règles de gouvernance, le renforcement des filets sociaux encore trop partiels dans les
pays émergents, sont des conditions indispensables à un développement
harmonieux, donc soutenable.
La tenue de ce Comité à Prague, ainsi que le recul dont nous disposons
désormais, incitent à tirer quelques leçons du processus de transition dans
les pays d'Europe centrale et orientale, ainsi que dans les Etats de l'ex URSS, deux ensembles
dont les trajectoires sont très différentes l'une de l'autre. La plupart de ces
économies, et je m'en réjouis, ont—enfin—renoué avec la
croissance et certaines connaissent même une reprise particulièrement vigoureuse,
ce qui est encourageant après les difficiles premières années de la
transition. Il reste qu'au-delà de ces bonnes performances qui peuvent n'être, pour
certains pays, que conjoncturelles, nous devons collectivement apprendre de la transition,
même si celle-ci n'est pas achevée.
Il faut souligner à cet égard l'importance des réformes structurelles
dans la réussite du processus de la transition. Dans un contexte d'ouverture des
marchés, de vive concurrence, de libéralisation des prix et des salaires, de
redistribution de la propriété, la capacité des Etats à instaurer un
environnement adéquat a autant pesé que leur aptitude à afficher à
tel ou tel moment de bons indicateurs macroéconomiques. L'Etat doit, pour ce faire,
être suffisamment stable, dans une situation où beaucoup est à créer
: environnement juridique de la propriété, des faillites, régulation bancaire,
dispositif de lutte contre le blanchiment. Il doit également avoir les moyens d'assurer les
fonctions redistributives qui lui incombent, d'autant que toute amélioration de la situation
économique engendre de fortes attentes après une longue période de
crise. Je constate pour m'en réjouir que la perspective d'adhésion à l'Union
européenne constitue un puissant facteur de légitimation du rôle essentiel
que doit jouer l'Etat pour accompagner la transition économique et sociale en cours.
La communauté financière internationale, et au premier rang le FMI en
coordination étroite avec la Banque mondiale, doit accompagner ces réformes en
apportant le soutien financier mais aussi l'expertise requis, et en veillant à la mise en
œuvre et à l'accompagnement de réformes parfois difficiles mais
nécessaires.
***
Mes chers collègues,
Les enjeux et les risques créés par une intégration économique
et financière imposent une forte mobilisation de notre part, afin de définir les
lignes directrices politiques des institutions financières internationales qui jouent en
rôle central dans cette évolution. Nous devons accepter le débat et agir avec
résolution et transparence. Beaucoup de chantiers sont déjà ouverts pour
donner un visage plus humain à la mondialisation, plusieurs doivent encore l'être.
Nous devons prendre nos responsabilités politiques pour les faire rapidement
progresser.
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