(PHOTO : ©ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE (FAO)/GIUSEPPE BIZZARRI) (PHOTO : ©ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE (FAO)/GIUSEPPE BIZZARRI)

Les mesures prises face à la hausse des produits alimentaires et de l’énergie doivent cibler les plus vulnérables

Il est recommandé aux pays de laisser les prix internationaux se répercuter sur les prix intérieurs tout en protégeant les ménages les plus vulnérables.

David Amaglobeli, Emine Hanedar, Gee Hee Hong et Céline Thévenot

Les États sont confrontés à de difficiles choix politiques alors qu’ils tentent de protéger leurs populations de la hausse record des prix alimentaires et de l’envolée des coûts de l’énergie, accentuées par la guerre en Ukraine.

Les pays ont pris diverses mesures pour faire face à la flambée sans précédent des prix des produits de base les plus essentiels. Notre examen de ces mesures annoncées par les pays membres montre que de nombreux gouvernements ont tenté de limiter la répercussion de la hausse des prix internationaux sur les prix intérieurs, soit en réduisant les taxes, soit en subventionnant directement les prix. Mais ces mesures créent à leur tour de nouvelles pressions sur des budgets déjà sursollicités par la pandémie.

Limiter la répercussion des prix n’est pas toujours la meilleure approche. Selon une nouvelle note du FMI, les dirigeants politiques devraient laisser les hausses des prix mondiaux se répercuter sur l’économie intérieure tout en protégeant les ménages vulnérables touchés par ces augmentations. En effet, cette approche est moins coûteuse à terme qu’un maintien artificiel des prix bas pour tous indépendamment de leur capacité à payer.

Les pays ne peuvent pas tous suivre la même voie. Lorsqu’il existe des subventions, le rythme d’ajustement des prix et la mesure dans laquelle les filets de sécurité sociale sont utilisés varieront d’un pays à l’autre. C’est pourquoi notre note propose des conseils nuancés en fonction des situations nationales individuelles, comme la solidité du filet de sécurité sociale, le niveau des subventions en place pour les produits alimentaires et l’énergie et l’existence d’une marge de manœuvre budgétaire.

L’envolée des prix

L’invasion de l’Ukraine par la Russie est intervenue après les gains très élevés enregistrés l’an dernier sur les marchés de produits de base, poussant les prix alimentaires à des niveaux records et le prix du gaz naturel à des sommets historiques. Les cours du blé, une denrée de première nécessité dont la Russie et l’Ukraine sont des exportateurs majeurs (près d’un quart des exportations mondiales à eux deux), ont augmenté de 54 % par rapport à l’an dernier. Avec la perturbation des importations de produits alimentaires et d’énergie provenant de ces sources, les pays doivent faire face à des coûts élevés et à de fortes incertitudes quant aux approvisionnements.

Les populations des pays à faible revenu sont les plus vulnérables face à la hausse des prix, car l’alimentation y représente 44 % de la consommation en moyenne, contre 28 % dans les pays émergents et 16 % dans les pays avancés. Les cours du pétrole ont eux aussi enregistré de fortes hausses, dont la charge n’est pas la même pour tous les consommateurs. Les ménages aisés utilisent généralement davantage de carburants que les ménages à faible revenu, et ce sont de plus gros utilisateurs d’essence que les ménages pauvres qui, dans de nombreux pays en développement, consomment en général davantage de kérosène. Les politiques publiques qui visent à atténuer l’impact social de la hausse des prix doivent tenir compte de ces différences et veiller à ce que la charge ne pèse pas de manière disproportionnée sur les pauvres.

Les mesures des pouvoirs publics

La répercussion des prix internationaux des carburants sur les consommateurs a été plus faible au cours des quatre premiers mois de cette année que l’année dernière. En outre, elle a été la plus forte dans les pays avancés et la plus faible dans les pays émergents et les pays en développement exportateurs de pétrole. Les subventions aux carburants qui dominent dans de nombreux pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne expliquent en grande partie que les consommateurs de ces régions souffrent moins à la pompe, mais, au prix de coûts budgétaires grandissants et donc, dans bien des cas, de futures réductions d’autres services publics.

cadre

Plus de la moitié des 134 pays examinés avaient annoncé au moins une mesure de riposte à la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires. Les mesures annoncées par les pays émergents et les pays en développement ont été moins nombreuses, sans doute parce qu’ils maintiennent les subventions en place sur les prix des produits alimentaires et de l’énergie et limitent — ou évitent — les ajustements des prix intérieurs.

Il est possible aussi que ces pays disposent d’une moindre marge de manœuvre pour réagir ou qu’ils aient davantage de difficultés à renforcer rapidement leurs filets de sécurité sociale. La majorité des pays avancés ont annoncé des transferts monétaires et semi-monétaires (comprenant des bons et des remises sur les factures de gaz et d’électricité). Quant aux pays émergents et aux pays en développement, la baisse des taxes à la consommation a été la mesure la plus souvent annoncée.

Des considérations relatives au filet de sécurité sociale

Bien que la plupart des pays limitent les répercussions des hausses des prix internationaux, ce n’est pas conseillé. Les signaux prix sont cruciaux pour laisser s’opérer l’ajustement de l’offre et de la demande et faire réagir la demande, les prix élevés incitant les individus à économiser l’énergie. À l’inverse, les subventions sur les prix encouragent à consommer plus, ce qui exerce de nouvelles pressions sur les prix de l’énergie. Parallèlement, les pays devraient opérer des transferts temporaires et ciblés au profit des ménages les plus vulnérables.

La réaction de la demande peut être très nette pour l’énergie, mais beaucoup moins pour les produits alimentaires, car les besoins alimentaires ne changent pas ou peu. Néanmoins, les pays devraient s’abstenir de faire obstacle à l’ajustement des prix intérieurs, car ces mesures, qui aboutissent à des subventions, n’offrent pas une protection efficace aux plus vulnérables. Elles sont aussi coûteuses, évincent des dépenses plus productives et réduisent les incitations aux producteurs et aux distributeurs. Nous conseillons de laisser la hausse des prix se répercuter sur les prix alimentaires, pour autant que les ménages vulnérables soient protégés et que la sécurité alimentaire ne soit pas menacée.

Nous insistons aussi sur le fait que les pays doivent tenir compte de la solidité du filet de sécurité sociale lorsqu’ils définissent des politiques :

Dans les pays où la sécurité alimentaire est source de préoccupation et où toutes les autres options ont été épuisées, les gouvernements peuvent envisager d’autres mesures temporaires, telles que des subventions sur les prix ou des taxes à l’importation, avec des clauses claires de caducité pour les produits alimentaires essentiels. Les gouvernements devraient aussi s’efforcer d’accroître l’offre de produits alimentaires en soutenant la production, en évitant la constitution de stocks et en utilisant les réserves alimentaires lorsqu’il en existe. Lorsque la sécurité alimentaire est menacée, il peut s’avérer nécessaire de procéder à une distribution directe de denrées alimentaires de base.

Dans les deux à trois prochaines années, les gouvernements devraient s’efforcer d’investir dans les filets de sécurité sociale et de réformer les subventions en place. Ces transformations accroîtront la résilience des pays et encourageront des dépenses plus productives à l’appui d’une croissance inclusive.

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David Amaglobeli est chef de division adjoint au département des finances publiques du FMI. Il était auparavant assistant auprès du directeur du département des finances publiques. Il a travaillé sur des pays faisant l’objet d’une surveillance intensive et sur la conception et l’examen de programmes appuyés par le FMI dans plusieurs pays en crise, dont, tout dernièrement, l’Ukraine. Avant de rejoindre le FMI en novembre 2009, il a exercé plusieurs fonctions en Géorgie, son pays natal, notamment celles de gouverneur par intérim de la Banque nationale de Géorgie et de ministre des Finances adjoint. Dans ces fonctions, il a négocié des accords de restructuration de la dette avec les créanciers du Club de Paris et introduit un régime de ciblage de l’inflation.

Emine Hanedar est économiste au département des finances publiques du FMI. Ses travaux à ce jour couvrent un large éventail de questions macrobudgétaires dans le domaine de l’ajustement budgétaire, de la (viabilité de la) dette publique, des prévisions budgétaires, du vieillissement, des questions budgétaires européennes, des dépenses publiques, des politiques fiscales, des inégalités et de la réforme des subventions à l’énergie. Au département des finances publiques, elle a également travaillé en tant qu’économiste budgétaire sur plusieurs pays et dirigé et participé à des missions de développement des capacités dans le domaine de la réforme des subventions à l’énergie. Avant de rejoindre le FMI, elle a travaillé pendant plusieurs années au ministère des Finances des Pays-Bas.

Gee Hee Hong est économiste au département des finances publiques du FMI. Ses travaux sont consacrés à la politique budgétaire, à la dynamique de l’inflation et aux relations macrofinancières. Avant de rejoindre le département, elle a travaillé sur des questions de surveillance régionale, sur Singapour, le Japon et le Timor-Leste au département Asie et Pacifique et sur des questions macrofinancières au département des études. Avant d’intégrer le FMI, elle a travaillé à la Banque du Canada (2012–14). Elle est titulaire d’une licence de l’Université nationale de Séoul (2006) ainsi que d’un master et d’un doctorat de l’Université de Californie (Berkeley, 2012).

Céline Thévenot est économiste principale au département des finances publiques du FMI, division politique des dépenses publiques. Ses travaux portent sur les inégalités, la protection sociale, les marchés du travail et la sécurité alimentaire. Avant de rejoindre le FMI, elle a travaillé à l’OCDE et à la Commission européenne, où elle a été l’auteure de plusieurs travaux sur la mobilité sociale, l’inclusion sociale, et la dynamique de la pauvreté et des revenus. Elle a exercé plusieurs fonctions en France au ministère de l’Économie, au ministère du Travail et à l’Institut national de la statistique et des études économiques.

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