(photo : Zhang Tao/SIPA/ASIA Pacific Press/Newscom) (photo : Zhang Tao/SIPA/ASIA Pacific Press/Newscom)

L’endettement élevé des pays freine leur adaptation à l’évolution rapide de l’économie mondiale

Vitor Gaspar, John Ralyea et Elif Ture

La croissance économique ralentit et la dette publique reste élevée dans le monde entier. En même temps, les changements démographiques et les progrès technologiques transforment l’économie mondiale.

Les perspectives des citoyens en matière d’éducation, d’emploi, de santé et de retraite dépendent des choix fiscaux et budgétaires des États face à ces défis.

Que devraient faire les dirigeants ?

Dans le nouveau Moniteur des finances publiques, nous soutenons qu’ils peuvent adopter une vision à long terme pour favoriser une croissance plus forte et inclusive. Dans ce but, ils doivent mettre de l’ordre dans leurs finances publiques en réduisant progressivement la dette pour se préparer au prochain ralentissement économique et en modernisant la politique budgétaire pour investir dans l’avenir de la population. Par conséquent, il est nécessaire de mieux répartir les dépenses, de dégager plus de marges budgétaires et d’améliorer la politique fiscale.

Se préparer au prochain ralentissement économique

Un endettement élevé peut limiter la capacité des dirigeants d’augmenter les dépenses ou de réduire les impôts pour compenser une faible croissance économique, car les créanciers peuvent se montrer moins disposés à financer des déficits budgétaires croissants. En outre, le paiement des intérêts sur la dette a pour effet d’évincer les dépenses d’éducation, de santé et d’infrastructure, à savoir des investissements qui contribuent à la croissance des pays à long terme.

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Chaque pays devra mettre au point une stratégie appropriée pour dégager plus de marges budgétaires afin de soutenir l’économie pendant le prochain ralentissement.

Les pays fortement endettés devront augmenter leurs recettes ou limiter leurs dépenses excessives, surtout ceux où la croissance économique actuelle dépasse la croissance potentielle à long terme, comme les États-Unis, ou ceux dont les coûts d’emprunt sont élevés et les besoins de financement importants, comme le Brésil et l’Italie.

Pourtant, ces pays devraient maintenir leurs investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures, soit en redéfinissant les priorités en matière de dépenses, soit en élargissant l’assiette fiscale, par exemple en supprimant les exonérations fiscales et en améliorant l’administration fiscale.

Dans les pays où le financement pose moins problème, comme en Allemagne et en Corée, les dirigeants pourraient augmenter les investissements dans les infrastructures et l’éducation pour soutenir l’économie à court terme et favoriser une croissance inclusive au cours des prochaines décennies. 

Investir dans l’avenir de la population

La politique budgétaire doit voir plus loin que le prochain ralentissement économique. L’évolution démographique et les nouvelles technologies exercent une influence profonde sur la croissance économique et la répartition des revenus et de la richesse. Ces tendances ont également un impact sur les finances publiques.

Par exemple, dans les pays avancés dont la population vieillit rapidement, nous prévoyons que les dépenses publiques associées au vieillissement, notamment pour les pensions et les soins de santé, absorberont un quart du PIB d’ici 2050.

Inversement, les populations des pays émergents et des pays en développement à faible revenu sont beaucoup plus jeunes et augmentent rapidement. Pour avancer dans la réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU en matière d’infrastructures et de services publics, ces pays devront accroître leurs dépenses publiques.

Que peuvent faire les pays pour s’adapter à ces tendances mondiales et réduire leur dette ?

Ils peuvent adopter des politiques plus intelligentes et plus souples en vue de faciliter le changement. Dans ce but, ils doivent améliorer la politique budgétaire sur trois fronts.

Réorienter les dépenses

Premièrement, les pays devraient réorienter leurs dépenses vers des investissements favorisant la croissance dans les infrastructures, l’éducation et les soins de santé, tout en réduisant les gaspillages tels que les subventions inefficaces en matière d’énergie.

Par exemple, la suppression progressive des subventions aux carburants, accompagnée de mesures de protection des plus vulnérables, pourrait dégager jusqu’à 4 % du PIB mondial en ressources supplémentaires qui pourraient être investies dans la population et la croissance.

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Il est également important, dans un monde plus numérique et automatisé, de mettre davantage l’accent sur les politiques qui favorisent l’éducation permanente et le perfectionnement continu des compétences. Singapour, par exemple, subventionne la formation de tous les adultes pendant toute leur vie professionnelle, et les Pays-Bas offrent des déductions fiscales pour la formation de la main-d’œuvre. 

La lutte contre la corruption des pouvoirs publics contribuerait également à mobiliser des ressources supplémentaires et à réduire les gaspillages, comme l’explique le chapitre 2 du Moniteur des finances publiques.

Dégager plus de marges budgétaires

Deuxièmement, les mesures visant à améliorer la gestion des finances publiques et à augmenter les recettes pourraient dégager plus de marges budgétaires. Dans les pays avancés, une meilleure gestion des actifs financiers de l’État pourrait engendrer jusqu’à 3 % du PIB par an en recettes supplémentaires, comme le montre le Moniteur des finances publiques d’octobre 2018.

Les pays émergents et les pays en développement à faible revenu devraient accroître leurs recettes fiscales.  Par exemple, les pays d’Afrique subsaharienne pourraient percevoir, en moyenne, de 3 à 5 % de leur PIB  en recettes supplémentaires au cours des cinq prochaines années s’ils amélioraient l’efficience de leurs régimes fiscaux actuels.

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Améliorer les politiques fiscales

Troisièmement, les pays avancés devraient revenir à une imposition plus progressive des revenus, qui contribuerait à réduire les inégalités. La plupart d’entre eux disposent également de marges pour accroître considérablement les recettes tirées de l’imposition des successions, des terres et des biens immobiliers.

En outre, les États devraient coopérer pour réformer la fiscalité des grandes entreprises multinationales, en particulier dans le secteur du numérique. Cela contribuerait à augmenter les recettes, y compris dans les pays en développement à faible revenu, en limitant les transferts de bénéfices et la concurrence fiscale mondiale. 

Ces mesures contribueraient à stimuler la croissance économique à long terme,  facteur essentiel pour réduire une dette publique élevée et onéreuse. Elles permettraient également de répartir plus largement les gains économiques au sein des pays et d’un pays à l’autre, et de rétablir la confiance du public dans les institutions indispensables à la stabilité économique. 

Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne de 2007 à 2010, et a été directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne ; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.

John Ralyea est économiste principal au département des finances publiques du FMI. Il travaillait précédemment au département Europe du FMI, notamment dans les équipes chargées de la Roumanie, de la Slovaquie, de la Slovénie et de l’Espagne, et au département financier. Il a étudié l’incidence des risques budgétaires sur les entreprises, les pensions publiques et la réglementation des finances publiques. Avant d’entrer au FMI, John Ralyea travaillait au département du Trésor des États-Unis. Il est titulaire d’une maîtrise de l’école des hautes études internationales de l’Université John Hopkins. Il a également été comptable.

Elif Ture, originaire de Turquie, est économiste au département des finances publiques du FMI, où elle étudie les questions budgétaires en tant que membre de l’équipe chargée de la zone euro ; elle contribue au Moniteur des finances publiques. Dans son département, elle étudie les risques budgétaires issus des passifs conditionnels, la réglementation des finances publiques, le fédéralisme budgétaire et la gouvernance budgétaire en Europe. Elle était précédemment économiste au département hémisphère occidental du FMI, où elle a mené des travaux de politique économique et d’analyse sur le maintien d’une croissance forte et inclusive dans les pays du cône Sud. Ses études portent notamment sur les imperfections du secteur financier et les relations macrofinancières. Elle est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université du Maryland.


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