(Photo: FrankHoermann/SVEN-SIMON/picture-alliance/Newscom) (Photo: FrankHoermann/SVEN-SIMON/picture-alliance/Newscom)

L’Europe doit continuer de soutenir énergiquement la reprise

Alfred Kammer

La pandémie frappe durement l’Europe. Plus de 240 000 personnes ont perdu la vie. Des millions d’autres ont été éprouvées par la maladie, la perte d’êtres chers ou un bouleversement total de leur travail, de leur entreprise et de leur vie quotidienne.

Les conséquences économiques de la pandémie sont énormes. Selon les prévisions du dernier rapport sur les Perspectives économiques régionales pour l’Europe, le PIB de l’Europe diminuera de 7 % en 2020. La reprise sera inégale et partielle. Si le PIB réel devrait rebondir de 4,7 % en 2021, il restera inférieur de 6,3 % aux projections établies avant la pandémie, ce qui représente une perte de PIB de près de 3 000 milliards d’euros, qui ne sera pas récupérée à moyen terme pour une large part.

Les mesures sans précédent, à la fois par leur rapidité et leur ampleur, que les pouvoirs publics ont prises ont évité des répercussions encore plus dramatiques. Pour prendre juste un exemple, nous pensons qu’au moins 54 millions d’emplois ont été à un moment ou à un autre soutenus par les dispositifs de maintien dans l’emploi en Europe. Ceux-ci ont permis de maintenir à flot de nombreuses familles et entreprises en cette période difficile. Les mesures prises à l’échelle européenne ont aussi joué un rôle majeur. Les risques restent importants et augmentent avec l’intensification d’une deuxième vague de contaminations. Au regard de ces nombreuses incertitudes, il importe de continuer de soutenir résolument la reprise.

La riposte européenne

Les mesures décisives prises par les pouvoirs publics ont protégé les revenus et les capacités de production de l’économie.

La plupart de ces mesures relèvent de la politique budgétaire. Nous estimons que le montant moyen des mesures budgétaires discrétionnaires annoncées pour 2020 représentent 6,2 % du PIB pour les pays avancés d’Europe et 3,1 % du PIB pour les pays émergents. Ce soutien discrétionnaire s’est ajouté aux puissants stabilisateurs automatiques dont dispose l’Europe. Une large part de ces mesures a servi à financer les programmes de maintien dans l’emploi et à fournir des liquidités aux entreprises. Ces programmes ont largement concouru à limiter les destructions d’emplois et à éviter une cascade de faillites et de fermetures de banques.

Les politiques monétaires et les mesures macroprudentielles ont joué un rôle important pour fournir des conditions de financement favorables à tous les secteurs de l’économie. Les baisses des taux, les rachats d’actifs, l’assouplissement des conditions auxquelles les banques peuvent obtenir des liquidités et la réduction des volants de fonds propres et de liquidités des banques ont contribué à garantir le flux du crédit, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.

Les politiques monétaires extrêmement accommodantes menées par la Banque centrale européenne et d’autres pays détenteurs de monnaies de réserve ont eu d’importantes répercussions à l’échelle internationale, avec un assouplissement des conditions monétaires y compris pour les pays émergents européens. Le FMI a octroyé un financement d’urgence à six pays européens.

Ces interventions ont contribué à éviter une récession encore plus profonde et des cicatrices économiques de long terme en Europe. Sans les mesures qui ont été prises et le soutien solide apporté par l’UE, 3 à 4 points de pourcentage de PIB supplémentaires auraient peut-être été perdus en 2020.

Enseignements et enjeux

Les dirigeants doivent faire tout le nécessaire pour endiguer la pandémie et ses dégâts économiques, et ne pas retirer prématurément leurs mesures de soutien pour ne pas répéter l’erreur de la crise financière mondiale. Au fil du temps, l’aide apportée devrait devenir plus ciblée et plus souple, afin de faciliter la réaffectation des ressources et la transformation de l’économie. Il est impératif de continuer à protéger la santé des populations, notamment grâce à la coopération internationale.

Les programmes de soutien des revenus et de maintien dans l’emploi devraient rester en place. Au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie et de la reprise de l’économie, il conviendra de les adapter, et de passer des mécanismes de protection des emplois à des dispositifs de soutien des travailleurs, en particulier au moyen de programmes de reconversion.

Pour les entreprises, il faut désormais aller au-delà d’un apport de liquidités pour faire en sorte que les entreprises insolvables mais viables puissent continuer leur activité. Il ressort de notre rapport que dans les pays avancés, près d’un tiers des cas d’insolvabilité dus à la pandémie pourrait être résolu grâce aux mesures annoncées, telles que les aides salariales, les dons ou les remises fiscales. Dans les pays émergents d’Europe, ce chiffre n’est que d’un quart environ. Aussi convient-il de faciliter des restructurations rapides de la dette dans le cadre de faillites ou non, ou, dans certains cas, de mettre des capitaux à disposition des entreprises viables.

L’inflation à long terme, généralement ancrée à un taux cible ou au-dessous, et le niveau considérable des capacités de production inemployées donnent à penser que les banques centrales devraient poursuivre leur politique monétaire très accommodante. Il conviendrait de ne revenir que progressivement sur l’assouplissement macroprudentiel.

Au début de la pandémie, les banques européennes disposaient de volants de fonds propres et de liquidités solides et ont résisté à ce choc sans précédent. Leur résilience, conjuguée à la forte riposte des pouvoirs publics, a contribué à éviter une crise du crédit. D’après nos travaux, en l’absence de nouveaux chocs, le ratio de fonds propres moyen des grandes banques européennes devrait rester largement supérieur aux exigences en la matière. Les prêts improductifs vont néanmoins augmenter et les dirigeants devront en faciliter une cession efficace. Les banques devront pour leur part définir en collaboration avec leurs actionnaires une stratégie crédible de levée de capitaux à moyen terme.

Transformer l’économie

Le moment est aussi venu de concevoir des réformes qui stimulent la croissance de la productivité et des mesures qui concourent à transformer l’économie, à bénéficier des avantages du passage au numérique et à atténuer le changement climatique. Il est possible d’améliorer et de renforcer les systèmes sociaux, de façon à ce qu’ils couvrent mieux les licenciements et les besoins de formation résultant de l’automatisation et des changements technologiques. Les mesures, dont celles destinées à mieux cibler l’aide budgétaire, devront aussi répondre aux effets pernicieux de la crise et à la forte hausse probable des inégalités, notamment parce que les jeunes, les femmes et les catégories les moins éduquées de la population sont touchés de manière disproportionnée.

Sans cette riposte exceptionnellement forte et pluridimensionnelle, la récession en Europe aurait été bien pire. Le soutien des pouvoirs publics doit demeurer fort car la pandémie se renforce et la reprise, qui n’en est encore qu’à ses tout débuts, reste fragile. Dès lors que les ressources budgétaires ne serviront plus à aider temporairement les individus et les entreprises, elles devraient être réattribuées aux investissements publics qui bâtiront une économie plus résiliente, plus intelligente, plus verte et plus inclusive. L’instrument de relance « Next Generation EU » peut jouer un rôle important à cet égard pour les pays de l’UE, qui doivent commencer à se préparer à reconstituer une marge de manœuvre, une fois que la reprise battra son plein. L’ensemble de ces mesures contribuera à limiter les séquelles de cette crise et à renforcer les capacités à assumer le poids de la dette publique et privée.

*****

Alfred Kammer est directeur du département Europe du Fonds monétaire international depuis août 2020. En cette qualité, il dirige les activités du FMI en lien avec l’Europe. Kammer était auparavant chef de cabinet de la directrice générale, qu’il a conseillée sur les questions stratégiques et opérationnelles, tout en supervisant les opérations de l’équipe de direction. Il a également occupé le poste de directeur adjoint du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation, et piloté les activités du FMI en matière de stratégie et de surveillance. En tant que directeur adjoint du département Moyen-Orient et Asie centrale, il était chargé de la surveillance des évolutions économiques régionales et des questions relatives au secteur financier. En qualité de directeur du bureau de la gestion de l’assistance technique, il a conseillé la direction sur les opérations d’assistance technique et orchestré les collectes de fonds et les partenariats internationaux pour le renforcement des capacités. Il a également occupé le poste de conseiller du directeur général adjoint. M. Kammer a aussi rempli les fonctions de représentant résident du FMI en Russie. Depuis son entrée au FMI, M. Kammer a travaillé aux côtés de pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et du Moyen-Orient, sur un large éventail de questions générales et stratégiques.

Derniers blogs