Le réchauffement climatique est devenu une menace évidente et immédiate. Les mesures et les engagements pris jusqu'à présent se sont révélés insuffisants. Plus nous attendons, plus les pertes en vies humaines et les préjudices causés à l'économie mondiale sont importants. Les ministres des finances doivent jouer un rôle central dans la promotion et la mise en œuvre de mesures budgétaires visant à freiner le changement climatique. Pour ce faire, ils devraient redéfinir le système fiscal et les politiques budgétaires afin de décourager les émissions de carbone dues au charbon et à d'autres combustibles fossiles polluants.
Le Moniteur des finances publiques (Fiscal Monitor) aide les dirigeants à choisir les mesures à prendre et la manière de les mettre en œuvre dès à présent, à l'échelle mondiale et sur le plan national.
Un avenir meilleur est possible. Les autorités devront augmenter le prix des émissions de carbone pour inciter les particuliers et les entreprises à réduire leur consommation d'énergie et à se tourner vers des sources d'énergie propres. La taxe carbone est l’instrument le plus puissant et le plus efficient pour cela, à condition que sa mise en œuvre soit équitable et propice à la croissance.
Pour que la taxe carbone soit politiquement réalisable et économiquement efficiente, les autorités doivent choisir comment utiliser les nouvelles recettes qui en découlent. Elles peuvent réduire d'autres types d'impôt, aider des ménages et des collectivités vulnérables, accroître les investissements dans l'énergie verte ou simplement rendre les sommes perçues à la population sous forme de dividendes.
Le prix à payer
Pour limiter le réchauffement de la planète à 2°C, le niveau jugé sûr par les chercheurs, les grands pays émetteurs doivent prendre des mesures ambitieuses. Ils devraient, par exemple, instaurer une taxe carbone qui passerait rapidement à 75 dollars la tonne d’ici à 2030.
Ainsi, la facture d'électricité des ménages augmenterait cumulativement de 45 % en moyenne au cours de la prochaine décennie : elle augmenterait davantage dans les pays qui dépendent encore fortement du charbon pour produire de l'électricité et moins dans les autres. L'essence coûterait 14 % de plus en moyenne.
Cela dit, les recettes tirées de la taxe, dont le montant se situe entre ½ et 4½ % du PIB (selon les pays), pourraient servir à réduire d'autres impôts, comme l’impôt sur le revenu ou les charges sociales qui nuisent aux incitations au travail et à l’investissement.
Les autorités pourraient également utiliser ces recettes pour venir en aide aux travailleurs et aux collectivités particulièrement sinistrés, dans les bassins miniers par exemple, ou pour verser un dividende égal à l'ensemble de la population. Elles pourraient également choisir de verser des allocations aux 40 % des ménages les plus pauvres uniquement et de consacrer ainsi trois quarts des recettes à des investissements supplémentaires dans les énergies vertes, l'innovation ou le financement des objectifs de développement durable.
L’argent des contribuables permettrait également de sauver chaque année la vie de plus de 700 000 personnes qui, dans des pays avancés et émergents, meurent actuellement de la pollution atmosphérique locale. Il contribuerait également à endiguer le réchauffement de la planète, comme convenu par la communauté internationale.
Des mesures réalisables
Environ 50 pays comptent un dispositif de tarification du carbone sous une forme ou une autre, mais le prix mondial moyen du carbone n'est actuellement que de 2 dollars la tonne, soit un chiffre bien trop bas pour répondre aux besoins de préservation de la planète. Il s’agit de faire en sorte qu'un plus grand nombre de pays adoptent un dispositif de ce type et qu'ils augmentent le prix appliqué.
La Suède est un exemple à suivre en la matière. La taxe sur le carbone y a été fixée à 127 dollars la tonne et a permis de réduire les émissions de 25 % depuis 1995, tandis que l'économie a connu une croissance de 75 % au cours de la même période.
Les pays peuvent se montrer réticents à s'engager à titre individuel en faveur d’une taxation plus lourde du carbone si, par exemple, ils redoutent l'incidence qu'une hausse des coûts de l'énergie pourrait avoir sur la compétitivité de leurs industries.
Les autorités pourraient faire face à ces problèmes en convenant d'un prix plancher pour le carbone dans les pays où les émissions sont les plus fortes. Cette démarche peut être menée de manière équitable en imposant un prix plancher plus strict pour les pays avancés.
À titre d'exemple, si un prix plancher du carbone de 50 dollars la tonne pour les pays avancés et de 25 dollars la tonne pour les pays en développement du G20 est en vigueur en 2030, la réduction des émissions serait 100 % plus forte que celle prévue dans l’Accord de Paris sur les changements climatiques de 2015. Les pays qui souhaitent appliquer d’autres mesures, comme une réglementation visant à réduire les taux d'émission ou l'utilisation du charbon, pourraient adhérer à l'accord sur un prix plancher s’ils déterminent l’équivalent prix du carbone de leurs mesures.
Les pollueurs paient
Une autre solution pour les dirigeants consiste à appliquer un système de taxation avec remise. Comme son nom l'indique, dans un système de taxation avec remise, les autorités imposent une taxe aux pollueurs et accordent une remise en cas de pratiques efficientes sur le plan énergique et respectueuses de l'environnement. Ce système encourage la population à réduire ses émissions en choisissant des véhicules hybrides plutôt que des véhicules énergivores ou en utilisant des énergies renouvelables, comme celles générées par le soleil ou le vent, plutôt que le charbon.
Les mesures prises ne doivent pas se limiter à l'augmentation du prix des émissions dues à la production d'électricité ou au transport intérieur. Il faut également mettre en place des dispositifs de tarification pour d'autres gaz à effet de serre, notamment ceux provenant de la foresterie, de l'agriculture, des industries extractives, de la production de ciment et du transport international.
De plus, les autorités doivent soutenir les investissements dans les technologies propres. Il s'agit notamment de moderniser le réseau électrique pour y intégrer l'énergie renouvelable, de favoriser les activités de recherche-développement et de prendre des mesures d’encouragement pour surmonter les obstacles aux nouvelles technologies, notamment le temps nécessaire aux entreprises pour produire une énergie propre de manière efficiente.
Le monde cherche des moyens de stimuler l'investissement et la croissance pour créer des emplois. Rien de mieux pour cela que d'investir dans l'énergie propre afin de ralentir le changement climatique et de s'y adapter. La transition vers une énergie propre peut sembler insurmontable, mais les dirigeants ont toutes les cartes en main pour modifier le cours actuel du changement climatique. « Cela semble toujours impossible jusqu'à ce qu'on le fasse », disait Nelson Mandela.
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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est directeur du département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu, celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne entre 2007 et 2010, et a été directeur général des Études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’université nouvelle de Lisbonne. Il a également étudié à l’université catholique portugaise.
Paolo Mauro est directeur adjoint du département des finances publiques du FMI. Il a précédemment occupé divers postes de responsabilité au sein du département Afrique, du département des finances publiques et du département des études du FMI. De 2014 à 2016, il était chercheur principal au Peterson Institute for International Economics et professeur invité à la Carey Business School de l’université Johns Hopkins. Ses articles ont été publiés dans des revues telles que le Quarterly Journal of Economics, le Journal of Monetary Economics et le Journal of Public Economics ; ils ont été largement cités dans des travaux académiques et par des organes de presse de renom. Il est co-auteur de trois ouvrages, à savoir World on the Move : Consumption Patterns in a More Equal Global Economy, Emerging Markets and Financial Globalization et Chipping Away at Public Debt.
Catherine Pattillo est directrice adjointe du département des finances publiques et chef de la division de la politique et de la surveillance des finances publiques, chargée du Moniteur des finances publiques. Ses travaux portent sur les questions macrobudgétaires. Après avoir occupé un poste à l’université d’Oxford, elle a travaillé au département des études du FMI et sur des pays d’Afrique et des Caraïbes, ainsi qu’au département de la stratégie, des politiques et de l'évaluation, où elle a consacré ses travaux aux pays à faible revenu et à des problématiques nouvelles, telles que l’égalité hommes-femmes, les inégalités et le changement climatique. Elle a publié de nombreuses études dans ces domaines.
Ian Parry est expert principal en politique budgétaire et environnementale au sein du département des finances publiques du FMI. Ses domaines de spécialité sont l’analyse budgétaire du changement climatique, l’environnement et les questions liées à l’énergie. Avant de rejoindre le FMI en 2010, M. Parry était titulaire de la chaire Allen V. Kneese d’économie de l’environnement au sein de l’institut de recherche Resources for the Future.