Mes collègues du FMI et moi-même avons parcouru l’Afrique durant la semaine écoulée à l’occasion du lancement de l’édition d’octobre 2010 des Perspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne. Les perspectives pour le continent et les réactions qu’elles ont suscitées sont très positives.
Les groupes que nous avons rencontrés étaient encouragés par le cœur de notre message, à savoir que la résilience de l’Afrique face à la crise économique mondiale tient pour beaucoup à la gestion avisée des pouvoirs publics, avant et pendant la crise. Ils ont par ailleurs salué notre optimisme quant aux perspectives de croissance de la région, optimisme certes tempéré par les risques qui continuent de peser sur la reprise mondiale. En tout état de cause, les gouvernants et autres parties prenantes étaient comme nous d’avis que le moment était venu de commencer à reconstituer une partie de l’épargne qui avait servi à surmonter la crise.
Depuis Dakar, dernière étape de notre séjour, je souhaiterais partager certaines de nos réflexions sur le «défi de la croissance» en Afrique de l’Ouest.
Commençons par les bonnes nouvelles. Comme dans la plupart des autres pays du continent, les nations d’Afrique de l’Ouest ont relativement bien résisté à la crise financière mondiale. Le ralentissement a été modéré et les taux de croissance semblent être remontés à leurs niveaux d’avant la crise.
Dans le plus long terme, il existe cependant une surprenante différence entre l’Afrique de l’Ouest et le reste de l’Afrique subsaharienne. L’Afrique de l’Ouest n’a pas été en mesure d’assurer et d’entretenir les taux supérieurs de croissance économique dont elle aurait besoin pour opérer de véritables percées sur le front de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté.
Le défi de la croissance
Dans la dernière édition des Perspectives économiques régionales nous nous penchons sur ce que doivent être les ressorts de la croissance à long terme. Nous avons comparé l’expérience des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) — Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo – et celle d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Ces huit pays, qui constituent un bloc commercial et partagent une monnaie commune et stable depuis une quinzaine d’années, ont bénéficié d’un faible taux d’inflation. Leurs résultats en matière de croissance n’ont pas été aussi bons pour autant.
Par-delà les particularités locales, la croissance du revenu par habitant a été en moyenne de moins de 1 % par an durant ces quinze dernières années dans ces pays. Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, le taux a été plus du double, voire plus du quadruple dans les pays de la région qui ont eu la plus forte croissance.
Les causes de cette croissance plus faible dans l’UEMOA sont complexes. Aucune raison ne peut l’expliquer à elle seule ; en tout cas, ni le niveau initial des revenus, ni les dotations en ressources naturelles, pas plus que l’emplacement géographique des pays. Les dynamiques mondiales, concrètement le commerce ou les prix, ne figurent pas non plus parmi les facteurs les plus fautifs.
Qu’est-ce qui freine la croissance ?
Si les facteurs exogènes ne sont pas la cause principale, la région devrait donc en principe être en mesure d’améliorer sa propre performance. Je souhaiterais mettre en lumière les quatre facteurs qui, à notre avis, méritent une attention toute particulière comme obstacles à une croissance durable.
• Les périodes d’instabilité politique ont coïncidé avec des résultats particulièrement ternes dans les pays de l’UEMOA à croissance plus lente —Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Niger et Togo. Ces résultats tenaient en partie à l’instabilité politique et aux difficultés de gestion macroéconomique.
• Les taux d’investissement privé dans la plupart des pays de l’UEMOA ont été sensiblement inférieurs à ceux des autres pays d’Afrique subsaharienne — aussi bien dans le secteur public que dans le privé — et le niveau de l’investissement direct étranger relativement faible.
• Par rapport aux pays d’Afrique subsaharienne ayant engrangé les meilleurs résultats, la région peine à établir les conditions appropriées pour l’activité économique. Par exemple, les perceptions en matière de gouvernance restent médiocres. Les pays de l’UEMOA figurent au bas du classement des indicateurs de Doing Business de la Banque mondiale et des autres indicateurs composites.
• Les carences des infrastructures physiques et de la prestation des services publics, notamment d’éducation et de santé, ont également joué un rôle. Le sous-investissement dans le capital physique et humain nuit à la capacité du secteur privé à produire efficacement des biens et des services.
Mesures pour relever la croissance
Nous pensons que beaucoup de choses peuvent être faites pour propulser les pays sur une trajectoire plus rapide.
Avant tout, la stabilité politique est une condition préalable indispensable à la stabilité macroéconomique et à une amélioration durable des résultats. Les pays de l’UEMOA doivent également mettre à niveau leur faible infrastructure d’énergie et de transport et améliorer la qualité de la santé et de l’éducation. Pour promouvoir un secteur privé plus compétitif et plus efficient il faudra miser sur la bonne gouvernance, avec notamment une réglementation propice au marché, une supervision efficace du secteur financier et la mise en application du droit.
Les pays de la région devront également accroître les dépenses publiques propices à la croissance. Ils devront pour cela augmenter leurs recettes pour pouvoir réaliser les investissements essentiels, renforcer les capacités propres à attirer et gérer en toute sécurité la finance privée, et améliorer la qualité de la dépense. Pour ce faire, il est un premier pas que certains pays de la région ont déjà franchi : l’amélioration des institutions budgétaires, en insistant particulièrement sur une meilleure gestion financière et une hiérarchisation des dépenses en veillant à leur qualité.
Il est encourageant de constater que les quatre pays de l’UEMOA connaissant la plus forte croissance —Bénin, Burkina Faso, Mali et Sénégal— ont enregistré des résultats sensiblement meilleurs ces quinze dernières années que les quinze années précédentes. Je suis donc persuadé que la région dans son ensemble peut mettre en valeur son potentiel pour relever sa croissance, créer plus d’emplois et faire reculer plus vite la pauvreté.