Les pays développés sont confrontés à la redoutable tâche de mettre en œuvre une stratégie d’ajustement budgétaire sans pour autant mettre en péril une reprise économique encore fragile. L’ajustement budgétaire est essentiel pour assurer un niveau élevé d’investissements privés et une croissance durable. Il peut être essentiel aussi, du moins dans certains pays, pour éviter les dérèglements des marchés financiers et influencer ainsi de façon plus immédiate la croissance, en agissant sur la confiance et le crédit. Mais trop d’ajustement risque aussi d’entraver la croissance, risque qu’il ne faut pas prendre à la légère. Comment concevoir des stratégies budgétaires qui permettent de répondre aux exigences de croissance à la fois à court et long terme ? Nous proposons dix commandements qui le permettent. En bref, ce dont ont besoin les économies avancées, ce sont des intentions claires, un bon calibrage des objectifs budgétaires, et des réformes structurelles appropriées ; avec un coup de pouce de la politique monétaire et de leurs amis, les pays émergents.
Premier commandement: tu auras un plan budgétaire à moyen terme crédible, avec un point d’ancrage visible (qu’il s’agisse d’un rythme moyen d’ajustement, ou d’un objectif budgétaire à atteindre dans les quatre à cinq ans).
Il n’y a pas de règle universelle. D’après nos projections macroéconomiques actuelles, une amélioration d’environ 1 point de pourcentage en moyenne par an sur les quatre à cinq prochaines années du solde primaire, corrigé des variations conjoncturelles, permettrait de combler progressivement l’écart de production, sur la base des prévisions actuelles de la demande du secteur privé, et de stabiliser le ratio d’endettement moyen d’ici le milieu de la décennie. Les pays confrontés à des déficits/dettes plus élevés devront faire plus, d’autres moins. Un rythme d’ajustement de ce type doit être étayé par des prévisions de recettes et dépenses relativement précises, et soutenu par des réformes structurelles (voir plus bas).
Deuxième commandement: tu ne concentreras pas ton ajustement budgétaire en début de période, à moins que les besoins de financement ne l’exigent.
Pour un petit nombre de pays, il peut s’avérer nécessaire de concentrer l’ajustement budgétaire en début de période pour maintenir l’accès aux marchés et financer le déficit à des taux raisonnables — mais d’une manière générale, il est plus important de procéder à l’ajustement de façon régulière plutôt que de le concentrer en début de période, ce qui risquerait de nuire à la reprise s’il devait être remis en cause. Il n’en demeure pas moins nécessaire de procéder à un premier train de mesures qui ne doit pas être négligeable: des promesses d’actions futures ne suffiront pas. Les plans actuels de rééquilibrage budgétaire dans les économies avancées du G-20 tablent sur une réduction moyenne du déficit, corrigé des variations conjoncturelles, d’environ 1¼ point de pourcentage du PIB en 2011, avec d’importantes variations de part et d’autre de cette moyenne selon les circonstances propres à chaque pays. Cette estimation semble dans l’ensemble appropriée et concorde avec le premier commandement, du moins sur la base des projections actuelles concernant la reprise de la demande globale. Cela dit, si concentrer d’emblée l’ajustement budgétaire n’est en général pas une bonne idée, s’assurer d’emblée de l’acceptation des mesures à prendre (dont l’entrée en vigueur se fera ultérieurement) ne peut que contribuer à rendre l’ajustement plus crédible.
Troisième commandement: tu viseras une baisse à long terme du rapport de la dette publique au PIB, et pas seulement sa stabilisation aux niveaux d’après crise.
Un endettement élevé de l’Etat a tendance à faire monter les taux d’intérêt, baisser le potentiel de croissance, et gêner la souplesse budgétaire. Depuis le début des années 1970, la dette publique de la plupart des pays développés constitue l’amortisseur suprême des chocs, augmentant dans les moments difficiles et ne baissant pas dans les périodes fastes. Sur l’ensemble des pays du G-7, l’endettement brut était en 2007 de 82 % du PIB en moyenne, niveau sans précédent en dehors de situation de guerre. Le marasme budgétaire actuel s’explique non seulement par la crise mais aussi par la mauvaise gestion de la politique budgétaire lorsque tout allait bien. Cette fois ci, il va falloir que cela change : l’objectif ultime doit être de faire baisser le ratio de la dette publique, lentement mais sûrement.
Quatrième commandement: Tu sélectionneras des outils de rééquilibrage budgétaire propices à un fort potentiel de croissance.
A cet égard, il faudra montrer une préférence pour des réductions de dépenses (courantes), car les ratios de dépenses sont élevés dans les pays développés et nécessitent des taux d’imposition qui engendrent de fortes distorsions. Certaines réductions devraient couler de source : passer par exemple d’un système universel de transferts sociaux à un système ciblé permettrait de dégager d’importantes économies tout en assurant la protection des populations pauvres. Limiter les salaires de la fonction publique — qui ont augmenté plus vite que le PIB dans plusieurs pays développés au cours des dix dernières années — sera incontournable. Cela dit, aucune possibilité ne doit être exclue. Les pays qui présentent de faibles ratios de recettes et qui ont d’importants besoins d’ajustement — comme les Etats-Unis ou le Japon — devront aussi prendre des mesures du côté des recettes. Promettre qu’il n’y aura “aucun nouvel impôt ” est irréaliste quel que soit le pays et quelles que soient les circonstances.
Cinquième commandement: Tu adopteras sans attendre des réformes de l’assurance maladie et des régimes de retraites car la tendance actuelle n’est pas viable.
L’augmentation des dépenses de santé et de retraite a représenté plus de 80 % de la hausse du ratio des dépenses primaires de l’Etat par rapport au PIB observée dans les pays du G-7 au cours des dernières décennies. La valeur actuelle nette des futures augmentations de dépenses de santé et de retraite est plus de dix fois supérieure à l’augmentation de la dette publique due à la crise. Toute stratégie de rééquilibrage budgétaire devra inclure des réformes dans ces deux domaines. Cela est vrai pour l’Europe, où les projections officielles sous-estiment considérablement l’évolution future des dépenses de santé. Etant donné l’ampleur de l’augmentation des dépenses en jeu, un passage à l’action dans ces domaines contribuera beaucoup mieux à accroître la crédibilité de l’ajustement que des mesures budgétaires concentrées en début de période. De plus, cela ne risquera pas de mettre en danger la reprise. Certaines mesures dans ce domaine— même si elles sont difficiles politiquement —pourraient vraiment avoir des effets bénéfiques à la fois sur la demande et sur l’offre (l’engagement par exemple de relever progressivement l’âge légal du départ à la retraite).
Sixième commandement: Tu seras équitable. Pour être viable dans la durée, l’ajustement budgétaire doit faire preuve d’équité.
L’équité revêt diverses formes, notamment le maintien d’un dispositif approprié de protection sociale et la prestation de services publics qui garantisse des conditions égales pour tous, indépendamment de l’origine de chacun. La lutte contre la fraude fiscale est également une composante essentielle de l’équité. En matière de TVA, impôt relativement imperméable à la fraude, celle-ci s’élève à 15 % des recettes en moyenne dans les pays avancés du G-20, et pour d’autres impôts et taxes, elle est vraisemblablement plus élevée.
Septième commandement: Tu mettras en œuvre de vastes réformes pour doper le potentiel de croissance.
Une forte croissance a un effet considérable sur la dette publique: une hausse de un point de pourcentage du potentiel de croissance — avec pour hypothèse un coefficient fiscal de 40 % — entraîne une baisse du ratio de la dette de 10 points de pourcentage dans les cinq années qui suivent et de 30 points de pourcentage dans les 10 ans, si la hausse des recettes qui en résulte est épargnée. Une accélération de la réforme des marchés du travail et des produits et des marchés financiers sera donc essentielle. Dans la conjoncture actuelle où la demande globale est faible, les réformes destinées à accroître l’investissement sont préférables à celles destinées à accroître l’épargne. Si les deux types de réformes ont des effets bénéfiques à long terme, celles en faveur de l’investissement augmentent la demande et la production à court terme, tandis que celles en faveur de l’épargne ont l’effet inverse. Petit avertissement néanmoins: les réformes structurelles ont des effets sur la croissance dont le calendrier et l’ampleur sont incertains ; les plans d’ajustement budgétaire reposant sur une accélération de la croissance ne sauraient donc être crédibles.
Huitième commandement: Tu renforceras tes institutions budgétaires.
Maintenir l’ajustement budgétaire dans la durée exige des institutions budgétaires appropriées. Les institutions actuelles ont laissé s’accumuler avant la crise une dette publique sans précédent et sont donc insuffisantes. Il faut de meilleures règles budgétaires, notamment en Europe; de meilleures procédures budgétaires, notamment aux Etats-Unis, où, du moins pour le Congrès, le budget ne porte que sur une année à la fois; et un meilleur suivi budgétaire, notamment par des entités budgétaires indépendantes du type de celle récemment créée au Royaume-Uni.
Neuvième commandement: Tu assureras une bonne coordination entre ta politique monétaire et ta politique budgétaire.
En période de rééquilibrage budgétaire, les taux d’intérêt ne devraient pas être relevés aussi rapidement que lors d’autres phases de reprise économique. Il est donc mal venu de vouloir durcir tout de suite la politique monétaire dans les pays développés.
Dixième commandement: Tu assureras une bonne coordination de ta politique avec celle des autres pays.
Dans un certain nombre d’économies avancées, la réduction du déficit budgétaire doit s’accompagner d’une diminution du déficit des transactions courantes. En d’autres termes, pour que la reprise se poursuive, les effets défavorables entraînés au départ par le rééquilibrage budgétaire sur la demande intérieure doivent être compensés par une augmentation de la demande extérieure. Mais cela implique que l’inverse se passe dans le reste du monde. Un certain nombre d’économies de marché émergentes doivent réduire leurs excédents courants et axer leurs politiques non plus sur la demande extérieure mais la demande intérieure. Les décisions prises récemment par la Chine constituent à cet égard une étape importante et tout à fait bienvenue. Il sera aussi important que les pays coordonnent leur action dans certains domaines structurels : il sera notamment essentiel à moyen terme de protéger les recettes budgétaires contre la concurrence fiscale croissante.
Observe ces commandements et tu connaîtras à la fois rééquilibrage des finances publiques et croissance soutenue.