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Finance & Development
Mars 2009, Volume 46, Numéro 1


Lorsque l’État intervient
James L. Rowe

De nouvelles normes d’information du FMI permettent de mieux apprécier le coût des opérations de sauvetage financier.


Le FMI a mis au point un nouveau dispositif de communication des statistiques de finances publiques qui, de l’avis général, gagne en complétude et en transparence et permet de mieux mesurer la position financière des administrations publiques. Il présente par ailleurs une plus grande utilité pour la mission de surveillance qu’exerce le FMI sur la santé du système financier international (voir «Les données à la rescousse», F&D, mars 2009).

Ce dispositif, lancé il y a sept ans, modifie de façon substantielle la démarche classique consistant à enregistrer les transactions à partir d’une comptabilité de caisse. Les transactions sont désormais enregistrées dès qu’une valeur économique est créée, transférée ou éliminée, souvent bien avant que l’argent ne change de mains. Les transactions (flux) sont par ailleurs rapportées aux stocks d’actifs ou de passifs (financiers ou non financiers), ce qui permet de déterminer la variation de la valeur nette des administrations publiques sur un exercice donné et fournit des repères pour apprécier la viabilité des politiques mises en œuvre.

Les études réalisées par le Département des statistiques et le Département des finances publiques, les principaux promoteurs du cadre comptable à la base du Manuel de statistiques de finances publiques 2001 (MSFP 2001) montrent qu’il est possible de transposer les données financières et passer ainsi de la présentation nationale au nouveau cadre analytique dans des délais raisonnables et sans que cela soit particulièrement onéreux pour le FMI ou pour les pays. Pour mettre pleinement en œuvre la nouvelle méthodologie et, partant, améliorer les sources de données et adopter des systèmes de comptabilité sur la base des droits constatés, les pays devront engager certains moyens.

Évaluer les coûts d’intervention

Les interventions massives de l’État face à la montée du chômage ou à la chute de la production dans l’actuelle conjoncture de crise mondiale rendent le dispositif du MSFP 2001 d’autant plus pertinent. Selon Keith Dublin, Conseiller au Département des statistiques, qui a travaillé en étroite collaboration avec les services de la Division des finances publiques (GFD) sur ces questions (voir encadré), cette approche permet en effet de mieux apprécier le coût ultime et l’impact financier d’interventions telles que le plan de 700 milliards de dollars du gouvernement américain pour étayer le secteur financier et le secteur automobile ou la mise sous tutelle des sociétés de financement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac.

Considérations statistiques

Plusieurs questions doivent être prises en considération pour être en mesure de rendre correctement compte des interventions. On citera notamment :

  • Valorisation. Il est parfois difficile de déterminer la valeur d’un actif; or, celle-ci est déterminante pour définir la nature de l’intervention. Si par exemple l’État rachète des actifs compromis à leur valeur de marché, l’opération se résume alors à un échange d’actifs (apport de liquidités) sans que l’État ait à encourir de charges. En revanche, si le prix d’achat est supérieur à la valeur de marché, l’opération comprend alors un transfert (égal au montant de la prime), qui lui doit être enregistré comme une charge.
  • Moment d’enregistrement. Dans le cas de la recapitalisation d’une société, plusieurs années peuvent s’écouler entre le moment où la perte se produit (ou est anticipée) et celui où l’État intervient. Dans un système de base caisse, la recapitalisation serait enregistrée au moment du décaissement, alors que sur la base des droits constatés elle doit l’être au moment où les pertes se produisent effectivement.
  • Compte de patrimoine. Une fois certains actifs acquis, tout gain ou perte imputable à des variations de prix (même si l’État ne revend pas ces actifs) doit être consigné au compte de patrimoine. Si la valeur des actifs augmente, cela aura un effet positif sur la valeur nette des administrations publiques, mais si elle baisse cela entraînera une détérioration de la valeur nette.
  • Contrôle et propriété. Lorsque l’État prend sous sa tutelle une société privée (comme cela a été récemment le cas aux États-Unis avec les sociétés de financement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac), celle-ci doit être considérée comme faisant partie du secteur public même si d’un point de vue technique les actifs sous-jacents restent entre des mains privées. Le contrôle est défini comme la capacité à définir les grandes orientations de la société.

M. Dublin ajoute que l’ancienne comptabilité de caisse peut conduire à des conclusions erronées : «La critique généralement adressée à l’action du gouvernement américain est qu’elle s’appuie sur les dépenses… Or, cela n’est pas nécessairement le cas lorsque l’État prend une prise de participation dans une société».

Bien souvent, les transactions sont de nature financière et n’agissent en rien sur la valeur nette des administrations publiques. L’État «renonce à un actif — en l’occurrence de la trésorerie — pour en acquérir un autre», précise M. Dublin. «Dans le cas des constructeurs automobiles, il s’agit d’un prêt, ce qui signifie que [l’État] détient une créance sur eux… Si tout va bien, cela peut même devenir rémunérateur».

Cela ne signifie pas que toute intervention de l’État va se solder par un bénéfice. Il arrive que certaines entreprises paraissent, d’entrée de jeu, déficitaires, auquel cas elles doivent être clairement être inscrites aux charges. Si l’État doit s’acquitter d’une prime dans l’achat d’un actif (c’est-à-dire qu’il l’achète à un prix supérieur à sa valeur), il faut alors peut-être scinder l’opération en une transaction purement financière et une charge (correspondant au montant de la prime).

Le déficit entre en scène

«Si les administrations publiques n’achètent pas un actif de valeur équivalente, que l’actif soit compromis, que sa valeur ne soit pas celle qui est annoncée, ou que la valeur de marché soit inférieure au montant versé, alors à l’évidence cela aura un effet sur le déficit. Car nous traitons cela comme un transfert de capital», ajoute M. Dublin. Lorsqu’une administration achète un actif dont elle est certaine qu’il ne sera pas remboursé, elle le comptabilise comme un transfert de capital, et non comme un actif, et cela a pour conséquence de creuser le déficit.

«Mais faute de savoir qu’il s’agit d’actifs compromis, il est impossible d’avoir cette appréciation. Autrement dit, de prime abord il semblerait que l’État acquiert un actif financier équivalent au prêt consenti».

Selon Cornelis Gorter, Chef adjoint de la division des finances publiques, il est souvent délicat d’évaluer un actif. S’il n’est pas négocié sur un marché public, il n’y a pas de prix de référence. Il arrive par ailleurs que l’État accorde une garantie dont le coût, à supposer qu’il existe, reste latent pendant une longue période. À l’inverse, parfois le coût apparaît clairement d’emblée.

Qui plus est, rien n’est immuable. Si un actif s’apprécie ou se déprécie une fois acquis (ne serait-ce qu’à cause de la conjoncture du marché), il faut consigner cette variation — à la faveur d’un ajustement désigné «autres flux économiques» qui enregistre les changements de valeur des actifs des administrations publiques ne résultant pas d’une transaction.

Les travaux se poursuivent

«Il va de soi que la nature et la finalité des interventions de l’État — qui risquent de s’intensifier et de s’étendre à mesure que s’accentuera la crise mondiale — continuent d’évoluer», précise M. Gorter. Dans un premier temps, le Trésor américain avait envisagé d’employer 700 milliards de dollars à acquérir des actifs compromis auprès des institutions financières. Il a ensuite décidé d’injecter directement des fonds afin de les recapitaliser. Lorsque le gouvernement de George Bush a décidé de venir en aide à l’industrie automobile, il s’est servi d’une partie de ces 700 milliards de crédits approuvés par le Congrès pour financer des prêts en faveur de General Motors et de Chrysler, prêts qui seront passés en revue le 31 mars.

M. Dublin ajoute qu’«il y a tout un travail d’expérimentation à l’œuvre… et il reste beaucoup de choses à préciser».

En comptabilité de caisse, beaucoup de ces transactions sont traitées comme des charges qui ont un impact sur le déficit budgétaire. Qui plus est, les changements de valeur des actifs ne sont pas consignés. Ce sont précisément ces carences de la comptabilité de base caisse — qui empêchent de consigner correctement l’action de l’État — qui ont poussé le Département des statistiques et le Département des finances publiques du FMI à promouvoir l’adoption du cadre du MSFP 2001.

Les carences de l’ancienne formule

Les carences de l’ancien dispositif étaient reconnues de longue date. Bien souvent, lors des consultations bilatérales annuelles, les économistes du FMI procédaient à des ajustements ad hoc des statistiques pour faire la part des problèmes liés aux données. Ces ajustements anticipaient bien souvent les principes qui allaient voir le jour avec le Manuel de 2001.

À l’issue d’un séminaire sur l’application du MSFP 2001 à l’analyse financière, le Conseil d’administration du FMI a estimé qu’il donnerait plus de transparence et de cohésion à la présentation des données nationales de finances publiques dans les rapports des services du FMI que le Manuel de statistiques de finances publiques 1986. Par exemple, les économistes n’auraient plus à effectuer ces ajustements ad hoc, qui bien souvent empêchaient de réaliser des comparaisons entre pays.

Le dispositif de 2001 produit trois tableaux interdépendants :

Un solde de gestion qui enregistre, sur la base des droits constatés, les recettes et les charges des administrations publiques sur un exercice donné.

Un compte de patrimoine consolidé qui met en évidence la valeur nette des administrations publiques (actifs moins passifs) au début et à la fin de l’exercice et montre les flux qui sous-tendent ses variations (voir graphique).

chart1

Une situation des flux de trésorerie qui renseigne sur les entrées de fonds et sur les décaissements durant un exercice donné, classés par activité économique, et signale l’excédent ou le déficit qui en résulte.

Les coûts du nouveau dispositif

L’adoption du nouveau cadre statistique a cependant un coût, tant pour les pays que pour le FMI. L’un des problèmes tient aux données, c’est pourquoi en 2005 le Conseil d’administration du FMI a demandé que l’on étudie les coûts de la transition. Dans bien des cas les pays sont en mesure de communiquer des données de base caisse classées selon les catégories du MSFP 2001. Cependant, beaucoup d’entre eux ne sont pas en mesure d’établir un compte de patrimoine si simple soit-il et doivent donc commencer à intégrer les principes de droits constatés dans leurs systèmes comptables. En règle générale, les pays disposent de données fiables sur leur dette, mais il arrive, par exemple, qu’ils manquent de statistique sur leurs actifs, notamment non financiers tels que routes et terres.

L’application du nouveau système se heurte à un autre obstacle dans les pays qui mènent un programme appuyé par le FMI. En l’espèce, il serait difficile de changer les définitions des objectifs budgétaires et des critères de réalisation. Parfois, si les données produites à partir de la présentation de 1986 semblent suffisantes aux fins de la surveillance du pays, le pays aura moins d’incitations à adopter le nouveau format, même s’il promet des résultats supérieurs.

Isabel Rial, Économiste principale du FMI, qui coordonne le travail sur ces études a toutefois ajouté que même une évolution partielle vers le cadre de 2001 peut contribuer à améliorer sensiblement l’analyse.

Des perspectives qui évoluent

La base de comptabilité sur les droits constatés complète l’information sur les flux de trésorerie et donne une meilleure idée de la position financière de l’État. Elle exige surtout de l’État qu’il enregistre les transactions — telles que salaires ou services de la dette (y compris intérêts) ou obligations de pensions — lorsqu’il en prend l’engagement, même si les décaissements y afférents ne se produisent que quelques jours, semaines, mois, voire années plus tard. Les transactions doivent être consignées au moment de l’engagement car c’est à ce moment là que se manifeste l’impact économique. Dans une comptabilité de base caisse, même si l’engagement est pris de payer, tant que le paiement n’est pas effectué il n’est pas enregistré. M. Dublin précise que «beaucoup de pays accumulent des arriérés dans le service de leur dette, voire dans les salaires ou traitements ou bien encore dans les paiements aux fournisseurs et il leur est très facile de remplir certains objectifs en reportant les paiements». La méthode des droits constatés permet de mieux mesurer l’impact de l’action de l’État et la portée des transactions qui le concernent.

Les recettes — telles qu’impôts, redevances ou rendement des placements — moins les charges (amortissement compris) donnent le solde net de gestion des administrations publiques. Si l’on soustrait l’acquisition nette d’actifs non financiers au solde net de gestion, on obtient la capacité/besoin de financement. Il permet en substance de mesurer l’impact de l’État sur l’économie. Si le résultat est négatif, cela signifie qu’il a tiré des ressources financières des autres secteurs de l’économie (emprunteur net) et s’il est positif, qu’il a mis des moyens à la disposition des autres secteurs de l’économie (prêteur net).

Le solde net de gestion est essentiel pour déterminer les variations de la valeur nette des administrations publiques durant un exercice donné. Le solde net de gestion de l’exercice et les autres flux économiques sont ajoutés à la valeur nette à l’ouverture de l’exercice pour obtenir la valeur nette des administrations publiques à la clôture de l’exercice. Outre les changements de valeur, comme par exemple les variations de taux de change qui peuvent modifier la valeur d’un portefeuille obligataire, d’autres phénomènes surviennent qui peuvent aussi avoir une incidence sur les actifs des administrations publiques : la destruction de ponts ou des bâtiments par un cyclone ou bien encore la diminution ou l’augmentation de réserves pétrolières.

«L’évolution de la valeur nette dans le temps renseigne sur la viabilité des politiques mises en œuvre», ajoute M. Dublin. «Si elle diminue, il est évident que ces politiques ne peuvent pas être maintenues indéfiniment. Pour résumer je dirais que, grâce aux données que produit le nouveau système, il est possible d’ajouter des analyses de viabilité aux analyses de liquidité qui étaient au cœur de l’ancien dispositif. Qui plus est, ce nouveau système est aligné sur les normes de comptabilité publique et les autres statistiques macroéconomiques».


James L. Rowe est Rédacteur principal de Finances & Développement.