Inégalité : la politique budgétaire peut être décisive

Vitor Gaspar et Mercedes Garcia-Escribano
11 octobre 2017

Richesse et pauvreté se côtoient à Rio de Janeiro (Brésil) : l’inégalité grandit dans tous les pays.

Nous assistons depuis quelques années à un recul de l’inégalité des revenus à travers le monde. Cela s’explique par le fait que les revenus de pays comme la Chine et l’Inde sont en train de rattraper leur retard sur ceux des pays avancés. Mais la médaille a son revers. En effet, l’inégalité au sein des pays a augmenté, en particulier dans les pays avancés. Forts de l’accélération et de la généralisation de la reprise économique mondiale, les dirigeants politiques disposent d’une ouverture pour réagir avec des réformes propres à combattre l’inégalité. Notre Moniteur des finances publiques montre qu’un dosage approprié de mesures budgétaires peut faire changer les choses.

La politique budgétaire, un puissant levier

La politique budgétaire explique en grande partie les différences de revenus dans les pays.

Dans les pays avancés, elle compense environ un tiers de l’inégalité des revenus avant impôts et transferts – généralement appelée inégalité du revenu de marché —, 75 % venant des transferts. Les dépenses consacrées à l’éducation et à la santé influent également sur l’inégalité des revenus de marché dans la durée en favorisant la mobilité sociale, y compris entre générations. Dans les pays en développement, la redistribution budgétaire est bien plus limitée, en raison d’une imposition et de dépenses plus faibles et moins progressives.

Une redistribution à calibrer avec soin

Il n’existe pas de stratégie universelle. La redistribution doit tenir compte des particularités de chaque pays, notamment des tensions budgétaires sous-jacentes, des préférences sociales et de la capacité administrative et fiscale de l’État. Par ailleurs, les impôts et les transferts ne sauraient être considérés séparément. Les pays doivent financer les transferts, et la combinaison d’instruments de fiscalité et de transfert retenue par chacun d’eux peut avoir des effets très différents au regard de l’équité.

Certaines politiques peuvent avoir des effets divergents sur la croissance et la répartition du revenu, mais nos données empiriques montrent qu’il est possible d’obtenir une croissance durable et inclusive en appliquant le bon dosage de politiques. Efficience et équité peuvent et doivent être indissociables.


Lutter contre l’inégalité

Les choix sont nombreux pour parvenir à des résultats efficients et équitables. Le Moniteur des finances publiques se centre sur trois grands dossiers : la fiscalité progressive, le revenu universel de base, et les dépenses publiques consacrées à l’éducation et à la santé.

• Impôts sur le revenu progressifs. La progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques a fortement décliné dans les années 1980 et 1990, puis s’est globalement stabilisée depuis. Le taux d’imposition maximal moyen des pays membres de l’OCDE est tombé de 62 % en 1981 à 35 % en 2015. Par ailleurs, les systèmes d’imposition sont moins progressifs que ne l’indiquent les taux réglementaires car les gros revenus jouissent d’un meilleur accès aux dispositifs d’allègement fiscal. Nous avons constaté, et c’est important, que certains pays avancés peuvent accroître la progressivité sans porter préjudice à la croissance, tant que cette progressivité n’est pas excessive.


Revenu universel de base (RUB). La thématique du RUB, à savoir le transfert d’un même montant à l’ensemble des résidents d’un pays, a suscité de nombreux débats chez les économistes au cours des dernières décennies. La question reçoit aujourd’hui un regain d’intérêt, lié à la perception des effets de la technologie et de l’intelligence artificielle sur l’avenir du travail. Le Moniteur des finances publiques ne milite ni pour ni contre le RUB, mais il participe au débat en présentant des faits et des arguments pertinents pour l’évaluation de ce dispositif. Le RUB peut avoir un effet considérable sur l’inégalité et la pauvreté car il couvre l’ensemble des personnes se situant au bas de l’échelle des revenus. Cependant, son universalité signifie qu’il est coûteux. Le Moniteur des finances publiques estime que le pays avancé moyen en serait de 6,5% de son PIB pour fournir un RUB équivalent à 25 % du revenu médian par habitant, et les estimations varient fortement d’un pays à l’autre. Le débat autour du RUB ne saurait donc être dissocié du débat sur son financement, pour parvenir à un impact budgétaire neutre. Les principaux paramètres à considérer dans son adoption sont la compatibilité avec les autres priorités budgétaires — par exemple, pour qu’elle ne se fasse pas aux dépens des investissements dans les infrastructures, l’éducation et la santé — et la méthode de financement, qui doit être à la fois efficiente et équitable. Un RUB peut être envisageable lorsqu’il vient supplanter un dispositif de dépenses sociales inéquitable et inefficient.

Dépenses consacrées à l’éducation et la santé. Bien que des progrès aient été réalisés, de nombreux pays affichent encore des écarts entre les différents groupes de revenus en matière d’accès à des services d’éducation et de santé de qualité. C’est ainsi que dans les pays avancés, les hommes ayant suivi des études supérieures vivent jusqu’à 14 ans de plus que ceux s’étant arrêtés au cycle secondaire ou avant. Une meilleure répartition des dépenses publiques peut se révéler efficace, par exemple en transférant les dépenses de santé et d’éducation des riches vers les pauvres, sans modifier le niveau global des dépenses publiques dans ces domaines. Le Moniteur des finances publiques conclut qu’en comblant les inégalités en matière de soins de santé de base on pourrait augmenter l’espérance de vie de 1,3 an en moyenne dans les pays émergents et en développement.

Nous espérons vous avoir convaincus de deux choses : la politique budgétaire peut être décisive rôle dans la lutte contre l’inégalité; et efficience et l’équité doivent être indissociables.
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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne de 2007 à 2010, et été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.


Mercedes García-Escribano est Chef de division adjointe au Département des finances publiques du FMI. Elle possède une expérience dans un large éventail de pays avancés et émergents, parmi lesquels l’Autriche, le Brésil, la Colombie, l’Espagne, Malte et le Pérou. Ses travaux portent sur les finances publiques (dépenses publiques, système public de rémunération et décentralisation), le secteur financier et le marché du travail.



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