Graphique de la semaine : montée en puissance des méga-entreprises

Federico J. Díez et Daniel Leigh
Le 6 juin 2018

La puissance commerciale des méga-entreprises augmente dans les pays avancés (photo: baranozdemir/iStock by Getty Images).

La montée de la richesse et de la puissance économiques des méga-entreprises (des transporteurs aériens aux sociétés pharmaceutiques en passant par les entreprises de haute technologie) suscite des craintes : elle favorise la concentration et l’accumulation d’une puissance commerciale excessive dans les mains d’une poignée de personnes. Dans les pays avancés, plus particulièrement, l’accroissement de la puissance commerciale est pointé du doigt pour expliquer la faiblesse de l’investissement des entreprises malgré des bénéfices en hausse, l’apathie grandissante de l’économie, la faible productivité et la chute de la part des revenus des travailleurs.

L’essor des méga-entreprises appelle une réflexion sur le caractère durable du phénomène et le cas échéant, sur la nécessité de moderniser les politiques publiques pour maintenir une saine concurrence à l’ère du numérique. La puissance commerciale est cependant difficile à mesurer et les indicateurs courants comme la concentration des marchés ou le taux des bénéfices peuvent être trompeurs.

Notre graphique de la semaine indique que cette montée en puissance est générale et ne se limite pas au secteur technologique. Il repose sur un document de travail du FMI à paraître qui s’appuie sur des données relatives à des entreprises cotées en bourse de 74 pays. Il donne les marges bénéficiaires moyennes sur les biens et services pour toutes les entreprises, comparant les pays avancés et les pays émergents ou en développement. Par marge bénéficiaire, on entend le ratio entre le prix de vente d’un produit et le coût de production d’une unité supplémentaire de ce produit. C’est une mesure de la puissance commerciale.

Deux constats s’imposent clairement. Premièrement, dans les pays avancés, les marges bénéficiaires ont fortement augmenté depuis les années 1980 (de 43 % en moyenne) et la tendance s’est accélérée pendant la décennie en cours. Deuxièmement, dans les pays émergents et en développement, l’augmentation des marges bénéficiaires est beaucoup plus restreinte (augmentation moyenne de 5 % depuis 1990).

Une analyse plus approfondie révèle que l’augmentation des marges bénéficiaires dans les pays avancés est attribuable à quelques « méga-entreprises » dont l’emprise sur le marché s’est accrue alors que les marges bénéficiaires des autres entreprises restaient essentiellement stationnaires. Curieusement, cette tendance est présente dans tous les grands secteurs d’activité plutôt que dans le seul secteur des technologies de l’information et des communications.

Faut-il s’inquiéter de cette montée de la puissance commerciale d’une poignée d’entreprises? En bref, oui. Surtout si la tendance ne s’infléchit pas. Notre étude démontre que, si les marges bénéficiaires partent d’un bas niveau, leur augmentation s’accompagne initialement d’une augmentation de l’investissement et de l’innovation, mais que cette relation devient négative lorsque la puissance commerciale devient trop forte. De plus, le lien entre les marges bénéficiaires et l’investissement et l’innovation est beaucoup plus négatif dans les secteurs où le marché est très concentré.

L’étude établit également l’existence d’un lien négatif entre la part de la main-d’œuvre et les marges bénéficiaires: la part des revenus qui va aux travailleurs diminue dans les secteurs où la puissance commerciale augmente. En d’autres termes, plus la puissance commerciale d’une entreprise est grande, plus la part des revenus qu’elle verse aux travailleurs diminue et plus ses bénéfices sont importants.

Quelles sont les conséquences sur les politiques publiques? Tout dépend des facteurs sous-jacents à cet essor de la puissance commerciale à l’échelle mondiale, qui restent encore à élucider. Parmi les coupables possibles, mentionnons l’importance croissante des actifs incorporels comme les logiciels, les effets de réseau (c.-à-d. lorsque la valeur d’un produit augmente au rythme de la croissance de son nombre d’utilisateurs), ou l’affaiblissement des règles antitrust. Des études plus approfondies seront nécessaires pour départager les effets de ces facteurs.

Dans une conférence à venir organisée conjointement par le FMI, la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économiques, il sera question justement de la puissance commerciale, des politiques sur la concurrence, de la déréglementation des marchés et de leurs effets macroéconomiques.

Nous vous invitons à regarder une vidéo sur la numérisation et le nouvel âge d’or, qui a été tournée durant un séminaire organisé dans le cadre des réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale et du FMI.

[vidéo intégrée : http://0-www-imf-org.library.svsu.edu/external/mmedia/view.aspx?vid=5772879577001]

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Federico J. Díez est économiste à l’unité réformes structurelles du département des études du FMI. Avant le FMI, il travaillait à la Federal Reserve Bank of Boston. Il s’intéresse notamment à la puissance commerciale des entreprises, à l’innovation, à l’entrepreneuriat, à la structure des entreprises et aux monnaies de facturation. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’université du Wisconsin à Madison.


Daniel Leigh est chef de division adjoint de la division Hémisphère occidental du FMI. Il s’intéresse à la macroéconomie internationale et plus particulièrement, à la politique budgétaire et monétaire. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’université Johns Hopkins et d’une maîtrise en économie de la London School of Economics.



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