Bâtir des institutions budgétaires dans les États fragiles

Par Katherine Baer, Sanjeev Gupta, Mario Pessoa

Porteur au marché de Katmandou (Népal). Les recettes fiscales du pays ont augmenté depuis quelques années grâce à une assistance technique (photo : Navesh Chitrakar/Newscom)

Les États fragiles se heurtent à davantage d’obstacles que les autres pays pour parvenir à la croissance. Leur PIB par habitant représente moins de la moitié du PIB de la plupart des autres pays à faible revenu, et leurs économies sont plus instables. Beaucoup sont en situation de conflit ou subissent une catastrophe naturelle, ou viennent d’en sortir. Notre étude a porté sur 39 pays et depuis que nous l’avons achevée, le nombre d’États fragiles est passé à 43.

Pour connaître la croissance, un pays doit notamment disposer d’une administration et de politiques fiscales, de lois et d’institutions pour formuler et exécuter son budget, et de fonctionnaires qualifiés pour appliquer les politiques budgétaires. Nos résultats préliminaires montrent que les États fragiles qui ont reçu une assistance technique sont aussi ceux qui ont amélioré leurs résultats budgétaires.

Assistance technique et hausse des recettes

Sur les 18 États fragiles qui ont reçu le plus d’assistance en matière de politique fiscale et d’administration fiscale et douanière, 11 ont vu leurs recettes s’améliorer entre 2004 et 2014. La République démocratique du Congo, la Guinée, le Libéria, le Malawi et le Népal ont enregistré des progrès notables.

En termes de gestion des finances publiques, leurs résultats, d’après une évaluation normalisée du cadre des dépenses publiques des pays, se sont sensiblement améliorés dans les pays où notre assistance technique a été la plus intensive.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la crédibilité budgétaire s’est améliorée en Haïti, au Kosovo, au Mali et au Timor-Leste. L’Afghanistan, le Kosovo, le Mali et le Timor-Leste ont renforcé leur capacité à gérer la trésorerie supplémentaire qu’ils ont générée.

Quelle fragilité

Alors que les recettes des États fragiles ont augmenté en moyenne depuis une dizaine d’années, elles restent inférieures à celles d’autres pays à faible revenu qui ne sont pas « fragiles », et représentent de l’ordre de 13 % du PIB contre 19 % du PIB environ. L’écart est donc considérable. Les États fragiles font généralement appel à un arsenal d’impôts plus réduit, notamment les taxes sur le commerce, comme le montre le graphique ci-dessous.

Les États fragiles consacrent la majeure partie de leurs dépenses publiques aux salaires et aux dépenses d’équipement car ils ont un grand besoin de construire des infrastructures et de développer les services publics, mais il leur reste alors moins d’argent à consacrer aux biens et services et aux services sociaux.

Comment bâtir des institutions

Les réformes sont conçues et mises en œuvre différemment dans les États fragiles, et varient selon qu’ils viennent de sortir d’un conflit ou d’une catastrophe naturelle ou sanitaire.

Dans les pays qui viennent de sortir d’un conflit ou d’une catastrophe, l’assistance technique du FMI consiste essentiellement à veiller à ce que les recettes fiscales de base soient perçues, essentiellement les impôts faciles à recouvrer aux frontières, ainsi que quelques impôts indirects à haut rendement, et à mettre en place des structures simples et des processus essentiels dans l’administration fiscale et douanière. Du côté des dépenses, l’accent est mis sur la maîtrise du budget, notamment la préparation et l’exécution du budget annuel et la gestion de la trésorerie pour que l’État puisse respecter ses obligations de paiement immédiates.

Une fois que les pays se sont stabilisés, on privilégie les objectifs à moyen terme : améliorer la conception des principaux d’impôts ou introduire une taxe sur la valeur ajoutée, créer une direction des gros et moyens contribuables et mettre en place des systèmes informatiques et de budgétisation à moyen terme pour faciliter la gestion des finances publiques.

Les pays et les partenaires au développement ont tiré les enseignements de notre expérience

• Les institutions étant déficientes, les capacités des fonctionnaires insuffisantes et les réformes souvent interrompues, il faut mener les réformes des recettes et des dépenses sur un horizon à moyen terme, de cinq à dix ans.

• Les pays et les partenaires au développement doivent adhérer totalement à l’ensemble du programme de réformes, œuvrer en faveur d’objectifs communs et coordonner leurs activités. Les politiques doivent être clairement échelonnées. Des réformes trop ambitieuses risquent de ne pas fonctionner.

• L’administration des douanes doit faire partie intégrante des réformes car les États fragiles sont très tributaires des impôts recouvrés aux frontières.

• L’assistance technique doit être flexible et tenir compte de l’évolution des besoins et de la situation des pays.

• L’effet de la conditionnalité des programmes appuyés par le FMI en matière de recettes se fait sentir dans la durée; les institutions budgétaires étant déficientes, la conditionnalité des programmes ne donnera pas nécessairement de résultats pendant la période couverte par les programmes.

Les institutions que la plupart des pays tiennent pour acquises sont souvent inexistantes ou déficientes dans les États fragiles. Sans elles, la croissance économique et le développement risquent d’être paralysées. La mise en place d’institutions solides aide les États fragiles à bâtir des économies plus résilientes.
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Mme Baer est Chef de la division administration des recettes II du Département des finances publiques du FMI, qui apporte une assistance technique en matière d’administration fiscale et douanière à plus de 80 pays membres du FMI dans l’hémisphère occidental et en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, cette division supervise l’assistance technique à partir de sept centres d’assistance technique régionaux du FMI. Durant sa carrière au FMI, elle a participé à l’élaboration et la mise en œuvre de réformes fiscales et douanières en Asie, en Europe et dans l’ex-Union soviétique, notamment dans des pays en crise. Elle a été économiste financière au Trésor des États-Unis, où elle a travaillé sur les réformes de la politique fiscale et les mesures de discipline fiscale pour le budget des États-Unis. Elle a été responsable des études à l’administration fiscale mexicaine, où elle a dirigé les études sur le déficit fiscal et a contribué à la conception et à l’application d’un programme majeur de réforme des douanes. Ms. Baer est l’auteur de plusieurs publications dans le domaine de l’administration fiscale et est titulaire d’un doctorat de Cornell University.


Sanjeev Gupta est Directeur adjoint du Département des finances publiques du FMI. Auparavant, il a exercé des fonctions dans les Départements Afrique et Europe. Il a piloté des missions du FMI dans quelque 25 pays en Afrique, en Asie, en Europe et au Moyen-Orient. Avant de rejoindre le FMI, M. Gupta a été membre de l’Institut d’économie mondiale de Kiel, en Allemagne; Professeur à l’Administrative Staff College of India (ASCI), à Hyderabad; et Secrétaire de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie indiennes. M. Gupta est auteur ou coauteur de plus de 150 études consacrées à des questions macroéconomiques et budgétaires, dont beaucoup sont publiées dans des revues scientifiques de renom. Il a écrit, coécrit ou codirigé la publication de onze livres. Les ouvrages les plus récents, tous publiés par le FMI, sont The Economics of Public Health Care Reform in Advanced and Emerging Economies, 2012; Energy Subsidy Reform: Lessons and Implications, 2013; Equitable and Sustainable Pensions: Challenges and Experiences, 2014; et Fiscal Policy and Inequality, septembre 2015.  



Mario Pessoa est Chef adjoint de la Division de la gestion des finances publiques II du Département des finances publiques du FMI. Il a piloté plus de 30 missions d’assistance technique et de renforcement des capacités en Afrique, dans l’hémisphère occidental et and Asia and Pacific. Avant de rejoindre le FMI, M. Pessoa a travaillé au ministère des Finances du Brésil où il a occupé différents postes au Département du Trésor, au Département de la politique économique et au contrôle interne. Il a participé à l’élaboration du Code de transparence des finances publiques du FMI et a dirigé des évaluations sur la transparence budgétaire dans trois pays. Il a écrit, coécrit ou codirigé des notes et techniques et des livres sur des questions de gestion des finances publiques. Ses ouvrages les plus récents, tous publiés par le FMI, sont le livre Public Financial Management in Latin America, 2016 et une note technique intitulée Prevention and Management of Government Expenditure Arrears, 2014.



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