Une économie mondiale en stagnation

Par Maurice Obstfeld
Affiché Le 4 octobre 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

Le retour à une croissance forte, durable, équilibrée et inclusive que les dirigeants du Groupe des Vingt avaient appelé de leurs vœux à Hangzhou en septembre dernier demeure hors de portée. La croissance mondiale reste faible, même si elle n’a pas affiché de décélération perceptible au cours du dernier trimestre. On constate dans la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale un ralentissement dans le groupe des pays avancés en 2016, compensé par une reprise dans les pays émergents et en développement. Dans l’ensemble, l’économie mondiale a stagné. Si des mesures énergiques visant à soutenir l’activité économique à court et long termes ne sont pas prises, une croissance inférieure à la normale telle qu’on l’a connue récemment risque de persister, sous l’effet des forces économiques et politiques négatives qu’elle déclenche.

D’après nos projections, la croissance de la production mondiale devrait se situer à 3,1 % en 2016 et à 3,4 % en 2017, soit autant qu’au début juillet, peu après le vote du Royaume-Uni en faveur de la sortie de l’Union européenne. Dans cette perspective globale, nous avons toutefois légèrement revu à la baisse les perspectives de croissance des pays avancés en 2016 tout en révisant à la hausse celles du reste du monde. Les perspectives de 2017 demeurent inchangées pour les deux groupes de pays. À moyen terme, alors que nous nous attendons à ce que les pays avancés poursuivent leur trajectoire décevante de faible croissance, la croissance devrait s’accélérer dans les pays émergents et en développement à mesure que la plupart des grands pays dont l’économie se contracte aujourd’hui se stabilisent et retrouvent leur trajectoire de croissance à long terme.

Mais même cette description détaillée masque des différentes importantes au sein de ces groupes de pays. La croissance des États-Unis a été décevante en 2016, mais elle est en partie compensée par de légères hausses inattendues en Europe et au Japon. En dehors des pays avancés, les pays émergents d’Asie se portent mieux. Cela n’a pas été le cas dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, qui a été ralentie par ses grands exportateurs de produits de base, même si plusieurs petits pays ont profité de la baisse du cours de ces produits.

Pourquoi ne pas se contenter des taux de croissance récents ? Toutes choses étant égales par ailleurs, le renversement de tendance de la production mondiale, qui voit une diminution de la part des économies parvenues à maturité et dont la croissance est relativement lente au profit des pays émergents et en développement, aurait dû se traduire avec le temps par une hausse de la croissance mondiale. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit.

Au regard des moyennes de la période 1998–2007, les projections font état aujourd’hui d’un potentiel de croissance à long terme inférieur dans toutes les régions. Les taux de croissance sont actuellement plus faibles dans la plupart des pays, et en particulier dans les pays émergents et les pays en développement. Il est vrai qu’une partie de ce recul de la croissance à long terme s’explique par une évolution démographique, ainsi que par des phénomènes observés en début de période qui ne pouvaient perdurer : la vague initiale de productivité grâce à la révolution des technologies de l’information et des communications, la flambée de la croissance chinoise et une tendance ascendante du cycle financier mondial qui a abouti à une grave crise internationale. Cependant, les écarts de production négatifs restent généralisés, et la crise a laissé des séquelles qui forment un cocktail en interaction— surendettement, prêts improductifs dans les livres des banques, pressions déflationnistes, faibles investissements et érosion du capital humain—qui continue de peser sur le potentiel de production. Les investisseurs et les consommateurs redoublant de prudence lorsqu’ils craignent que la croissance des revenus tarde encore, la croissance effective peut elle aussi reculer.

Une demande mondiale plus élevée pourrait inverser ces mécanismes autoréalisateurs. Mais jusqu’à présent, la réaction des pouvoirs publics a été déséquilibrée et a trop misé sur les banques centrales. Les marchés craignent que l’action publique n’ait pas de marge de manœuvre pour faire obstacle au prochain choc économique majeur.

Il faut aussi tenir compte des répercussions politiques d’une croissance obstinément faible. La reprise lente et incomplète qui a suivi la crise a été particulièrement préjudiciable dans les pays où la répartition des revenus reste largement orientée en faveur des bénéficiaires de revenus les plus élevés, et ne laisse guère de marge pour progresser à ceux dont les revenus sont plus faibles. Certains pays riches ont alors vu l’émergence d’un mouvement politique qui accuse la mondialisation de tous les maux et tente on ne sait trop comment d’isoler l’économie des tendances mondiales, au lieu de coopérer avec les pays étrangers. Le Brexit n’est qu’un exemple de cette tendance.

En somme, la croissance a été trop lente depuis trop longtemps et dans beaucoup de pays, et ses bénéficiaires ont été trop peu nombreux, ce qui a eu des répercussions politiques qui pourraient bien peser encore davantage sur la croissance mondiale.

Ces préoccupations mettent en évidence les risques qui entourent nos projections, qui peuvent toujours être révisées à la baisse. La reprise supposée en 2017 et après risque de ne pas se matérialiser à cause de plusieurs événements éventuellement interdépendants : une transition cahoteuse en Chine, une nouvelle chute marquée des cours des produits de base, un durcissement des conditions financières mondiales ou une forte augmentation des obstacles aux échanges. Les tensions géopolitiques pourraient se rallumer et aggraver les crises humanitaires déjà en cours au Moyen-Orient et en Afrique, et compliquer davantage le climat dans lequel s’élabore la politique.

Des politiques globales, cohérentes et coordonnées

Les perspectives pourraient devenir plus favorables si de nombreux pays adoptaient des politiques globales, cohérentes et coordonnées qui exploitent les synergies des divers instruments, temporalités et pays pour stimuler la croissance et la rendre plus inclusive. Cette stratégie a été expliquée dans une note de réflexion des services du FMI publiée la semaine dernière. Des politiques globales s’articulent autour de trois axes : il s’agit de mobiliser la politique budgétaire et structurelle à l’appui de la politique monétaire, laquelle optimise les effets expansionnistes des réformes structurelles et des politiques budgétaires volontaristes. Des politiques cohérentes et bien expliquées tirent profit de l’effet des anticipations stabilisatrices. Une coordination entre les pays—comme en 2014 dans le cadre du Plan d’action de Brisbane sur les mesures structurelles—a des retombées positives, le tout devenant supérieur à la somme des parties. Si cette approche générale était largement adoptée, sur la base des trois axes que le FMI recommande, elle serait à même d’accélérer la croissance dès à présent. Appliquée à plus grande échelle, elle pourrait aussi protéger contre un choc mondial et limiter les effets préjudiciables sur la situation des finances publiques.

Parmi les mesures structurelles à prendre, il est particulièrement important de réaffirmer une volonté de réduire les obstacles aux échanges, contrairement à la tendance observée actuellement. Dans le même temps, les pouvoirs publics doivent admettre la nécessité de renforcer la résilience du marché du travail, de lever les restrictions à l’entrée sur les marchés des biens et des services et de faciliter l’ajustement des groupes les plus sensibles aux bouleversements provoqués par les réformes technologiques, commerciales et structurelles. Dans ce domaine aussi, les décideurs peuvent envoyer un message très clair et obtenir un maximum d’effets d’une action coordonnée.
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Maurice Obstfeld est Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’Université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie (classe de 1958) et anciennement directeur de la Faculté d’économie (1998-2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à Columbia (1979-1986) et à l’Université de Pennsylvanie (1986-1989), et de professeur invité à Harvard (1989-90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’Université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’Université de Cambridge (maîtrise, 1975).

De juillet 2014 à août 2015, M. Obstfeld a été membre du Conseil des conseillers économiques du Président Obama. De 2002 à 2014, il a occupé le poste de conseiller honoraire auprès de l’Institut d’études économiques et monétaires de la Banque du Japon. Il est en outre membre de la Société d’économétrie et de l’Académie américaines des arts et des sciences. M. Obstfeld a notamment reçu les distinctions suivantes : le prix Tjalling Koopmans de l’Université de Tilburg, le prix John von Neumann du Rajk Laszlo College of Advanced Studies (Budapest) et le prix de l’Institut Bernhard Harms de l’Université de Kiel. Il a prononcé des conférences de renom, dont la conférence annuelle Richard T. Ely de l’American Economic Association, la conférence L. K. Jha Memorial de la Banque de réserve de l’Inde, et la conférence Frank Graham Memorial de l’Université de Princeton. M. Obstfeld a été membre du Comité de direction ainsi que Vice-président de l’American Economic Association. Il a également été consultant et a donné des cours au FMI, ainsi que dans de nombreuses banques centrales dans le monde.

Il a par ailleurs coécrit deux des ouvrages phares en économie internationale — Économie internationale (10e édition, 2014, avec Paul Krugman et Marc Melitz), et Foundations of International Macroeconomics (1996, avec Kenneth Rogoff) —, ainsi qu’une centaine d’articles de recherche sur les taux de change, les crises financières internationales, les marchés mondiaux de capitaux, et la politique monétaire.



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