Imaginez ce que la politique budgétaire
peut faire pour l’innovation

Par Vitor Gaspar et Ruud De Mooij

Affiché le 31 mars 2016 par le blog du FMI

Imaginez comment l’impression 3-D, les voitures sans conducteur et l’intelligence artificielle vont changer notre avenir. Ou songez aux bouleversements que provoquent déjà les avancées de la technologie de l’information, du commerce électronique et de l’économie de partage dans la façon dont nous apprenons, travaillons, achetons et voyageons. L’innovation est le moteur du progrès et, en termes économiques, elle détermine la croissance de la productivité. Et la croissance de la productivité, à son tour, détermine la prospérité. Elle a un impact fondamental sur nos vies et notre bien-être: elle détermine le lieu et la durée de notre vie; elle détermine notre qualité de vie.

Dans le Moniteur des finances publiques du printemps 2016, nous examinons l’innovation telle qu’elle est façonnée par l’effort et les incitations. L’innovation devient alors hautement tributaire des politiques de l’État. Nous constatons qu’un léger soutien de l’État peut jouer un rôle important pour doper l’innovation et la croissance. Par exemple, nous montrons que si l’État réduisait le coût de la recherche et du développement privés de 40 %, l’effort du secteur privé s’accélérerait d’un pourcentage équivalent et le PIB augmenterait de 5 % à long terme.

Un argument contre le pessimisme

Après le début de la Grande Dépression de 1929, le monde était pessimiste. En 1941, dans ses Conférences Lowell, Joseph Schumpeter a fait la synthèse du débat : «L’explication avancée par toutes sortes de sources et acceptée par des économistes de grande réputation est que cette dépression et cette reprise insatisfaisante ne sont pas dues aux circonstances défavorables de l’époque, mais ont une signification plus profonde. Il s’agit en réalité d’un symptôme où la paralysie envahit peu à peu le système économique du capitalisme et finit par pérenniser ses conditions défavorables; […] aussi bien, la théorie pourrait être celle de la diminution des opportunités d’investissement.» Il est intéressant de noter que 10 ans plus tôt, en 1930, dans ses Perspectives économiques pour nos petits-enfants, John Maynard Keynes a vigoureusement dénoncé le pessimisme. Il écrit : «Je prédirais volontiers que dans cent ans, le niveau de vie dont jouiront les pays les plus dynamiques sera entre quatre et huit fois plus élevé qu’aujourd’hui.»

Si nous simplifions la prédiction et entendons que ces pays dynamiques sont les États-Unis (le pays qui a joué un rôle de pionnier technologique pendant les décennies en question), nous pouvons modéliser la prédiction de Keynes dans le graphique 1. Le graphique montre, en échelle logarithmique, l’extrémité inférieure et supérieure de la fourchette indiquée par Keynes. Paradoxalement, la performance initiale n’était pas prometteuse. Mais, depuis le début des années 50, l’économie américaine a enregistré une meilleure performance que celle de la partie supérieure des bandes de Keynes, ce qui nous permet de conclure que, même si les détails de l’innovation sont fondamentalement imprévisibles, l’innovation est déterminée par les incitations humaines et peut être globalement anticipée.

Pourquoi un soutien budgétaire?

La recherche et le développement sont un moteur clé de l’innovation. Les gouvernements jouent un rôle crucial pour financer l’enseignement supérieur et la recherche de base qui constituent la plate-forme sur laquelle les entreprises peuvent asseoir leurs propres initiatives. Les politiques fiscales sont aussi importantes pour encourager l’investissement privé en matière de recherche et de développement.

Les entreprises privées n’investissent pas suffisamment dans la recherche et le développement pour deux raisons. Premièrement, elles considèrent souvent qu’il est difficile de financer des projets d’investissement risqués dans la recherche et le développement, même si ces projets doivent offrir des taux de rendement élevés. Cela est particulièrement vrai pendant les récessions lorsque les contraintes de liquidité sont plus marquées. Notre nouvelle analyse constate que les politiques fiscales contribuent à stabiliser la production et permettent d’accroître nettement les investissements privés de recherche et de développement et appuient la croissance de la productivité.

Deuxièmement, les investissements dans la recherche et le développement réalisés par les entreprises profitent à l’économie dans son ensemble. Par exemple, les chercheurs de zones technologiques particulièrement dynamiques telles que la Silicon Valley échangent des connaissances et des idées; les technologies présentes dans les nouveaux produits ou équipements peuvent être imitées par d’autres et inspirer de nouvelles innovations. Mais une entreprise à elle seule ne tiendra pas compte de ces retombées lorsqu’elle décidera des montants à investir dans la recherche et le développement.

Nous relevons que les incitations fiscales sont susceptibles de réduire le coût des investissements dans la recherche et le développement d’une entreprise de 50 % en moyenne dans les pays avancés, les encourageant à accroître la recherche et le développement, ce dont profiterait l’ensemble de l’économie. Cette incitation fiscale encouragerait la recherche et le développement d’environ 40 % par rapport aux niveaux actuels et ferait progresser le PIB des pays avancés de 5 % à long terme.

Les répercussions internationales s’ajoutent aux retombées nationales. L’adoption de technologies étrangères est indispensable pour rattraper l’écart de croissance, ce qui est crucial pour les pays émergents et en développement. Les estimations suggèrent que la recherche et le développement entrepris dans les pays du G-7 donnent lieu à des gains de productivité dans d’autres pays d’environ 25 % du rendement du G-7 lui-même. C’est pourquoi, au niveau mondial, la recherche et le développement devraient progresser de 50 % et le PIB d’environ 8 % à long terme.

La conception et la mise en œuvre sont essentielles

Même si les incitations fiscales peuvent être un outil majeur pour encourager la recherche et le développement privés, leur conception et leur mise en œuvre sont cruciales.

Les incitations fiscales pour encourager la recherche et le développement sont très variées. L’Australie et la Corée, par exemple, accordent des crédits fiscaux de recherche et de développement qui réduisent effectivement les coûts des investissements supplémentaires de recherche et de développement de près de 50 %. D’autres pays accordent parfois un allégement relatif au coût de la main-d’œuvre aux chercheurs ou octroient des subventions de recherche et de développement ciblées, bien que dans la plupart des pays, ces taux soient inférieurs à 50 %. Globalement, ces politiques semblent avoir bien fonctionné, à condition que leur mise en œuvre soit efficace.

Les politiques d’incitations fiscales ne sont pas toutes correctement conçues. Plusieurs pays ont récemment introduit ce que l’on appelle des régimes de «boîte à brevets» (patent box) qui réduisent pour les sociétés le fardeau de l’impôt sur le revenu des brevets. Nos résultats indiquent que, dans certains pays, ces régimes n’ont pas eu véritablement d’impact sur la recherche et le développement (graphique 2). Dans les pays où ils ont eu un impact, les coûts budgétaires sont assez élevés. Il aurait sans doute été préférable pour ces pays d’offrir des incitations directes à la recherche et au développement. Et dans de nombreux cas, les boîtes à brevets s’inscrivent simplement dans une stratégie agressive de concurrence fiscale qui a un impact négatif sur l’assiette fiscale d’autres pays.

Pleins feux sur les entrepreneurs

Nombre d’innovations radicales sont le résultat de l’expérimentation de petites sociétés qui ont l’esprit d’entreprise. C’est pourquoi l’innovation dépend de manière cruciale d’un processus efficient de création, de croissance et de retrait des entreprises. Toutefois, dans de nombreux pays, ce processus est entravé par des obstacles, tels que les permis et licences, la réglementation du marché du travail, les contraintes financières et les barrières fiscales.

Dans le Moniteur des finances publiques, nous étudions l’importance des distorsions fiscales et concluons que les impôts élevés sur le revenu des sociétés ont certains effets négatifs sur l’entreprenariat. Dans certains pays, les gouvernements tentent de neutraliser ces distorsions fiscales en offrant des incitations fiscales spéciales aux petites entreprises. Toutefois, ces incitations ne sont pas efficaces par rapport à leur coût et peuvent même décourager les entreprises de se développer en raison de ce que l’on appelle le piège des petites entreprises. Par exemple, la baisse de l’imposition des petites entreprises se traduit par un «regroupement», une accumulation de petites entreprises qui tentent toutes de rester juste en deçà du niveau de revenu auquel le traitement préférentiel est éliminé (graphique 3). Cela entrave la croissance de la productivité plus qu’elle ne la soutient.

Au lieu d’offrir des incitations aux petites entreprises, il serait souhaitable que les gouvernements ciblent le soutien fiscal sur les nouvelles entreprises. Les pays comme le Chili et la France ont mis au point des initiatives efficaces pour appuyer les jeunes start-ups innovatrices. En outre, pour minimiser les distorsions fiscales du processus, les gouvernements peuvent octroyer de généreuses dispositions pour compenser les pertes imposables et simplifier les règles fiscales en vue de réduire le fardeau du respect des règles par les entreprises.

L’innovation et le changement sont les moteurs clés du niveau de vie et de la prospérité à long terme. La recherche et le développement, facteurs majeurs de l’innovation, réagissent aux incitations économiques et aux politiques de l’État. Les études du FMI montrent qu’un léger soutien bien conçu de l’État peut porter de nombreux fruits. Par exemple, nous montrons qu’un soutien fiscal à la recherche et au développement, justifié par les répercussions au niveau national et coûtant 0,4 % du PIB, peut donner lieu à une hausse du PIB de 5 % à long terme. Si l’on tient compte des considérations internationales, le coût augmenterait à 0,5 % du PIB, mais les avantages progresseraient proportionnellement plus encore, à 8 %. Les politiques fiscales intelligentes comptent. Elles comptent beaucoup. Les secteurs public et privé peuvent œuvrer ensemble dans la complémentarité pour doper l’innovation et la croissance.

Imaginez Keynes et Schumpeter souriant, ensemble!
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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé divers postes stratégiques à Banco de Portugal, notamment plus récemment en tant que Conseiller spécial. Il a été Ministre d’État des finances du Portugal en 2011‒13, chef du Bureau des conseillers politiques européens de la Commission européenne en 2007‒10 et Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. M. Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un agregado post-doctoral d’économie de l’Universidade Católica Portuguesa.


Ruud de Mooij est chef de division adjoint de la Division de politique fiscale du Département des finances publiques du FMI. Avant de rejoindre le FMI, il était professeur d’économie publique à l’Université Erasmus de Rotterdam. Il a publié de nombreux articles sur les questions fiscales, notamment dans American Economic Review et dans le Journal of Public Economics. Ses études actuelles sont axées sur la taxation du revenu, les questions fiscales internationales et le rôle correctif de l’impôt. M. de Mooij est également research fellow à l’Université d’Oxford, l’Université de Bergen, ZEW à Mannheim et au CESifo network à Munich.



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