Politique monétaire et stabilité financière : le dilemme des prix de l’immobilier au Canada

Par Cheng Hoon Lim, Sous-Directrice du Département hémisphère occidental du FMI
Affiché le 21 mars 2016 par le blog du FMI

Le marché de l’immobilier au Canada est en ébullition, et la Banque du Canada se trouve confrontée à un dilemme pour ce qui est de la politique monétaire à mener : relever les taux d’intérêt pour refroidir le marché de l’immobilier nuirait aux emprunteurs et à l’économie, maintenir les taux d’intérêt à un bas niveau alimente les emprunts qui ont conduit à la hausse des prix de l’immobilier et de la dette des ménages. Que faire ?

Le casse-tête de l’immobilier

Selon les données nationales de février, les prix de l’immobilier ont augmenté de 9 % sur un an au Canada. Cela s’explique principalement par l’évolution des prix à Vancouver et à Toronto, qui représentent environ 1/3 du PIB canadien.


L’essor de l’immobilier au Canada est allé de pair avec une hausse continue de l’endettement des ménages, qui atteignait 165 % du revenu disponible à la fin de 2015 (voir graphique). Un relèvement des taux d’intérêt pourrait refroidir le secteur de l’immobilier, mais nuirait à l’économie canadienne, déjà en difficulté, durement touchée par la baisse des prix du pétrole— d’où le dilemme.

La faiblesse des taux hypothécaires est un facteur important de l’essor du marché immobilier. Les paiements d’intérêts sont ainsi restés à un bas niveau alors même que le montant moyen d’un prêt hypothécaire a augmenté. Comme l’indique le graphique, la part des paiements d’intérêts dans le revenu disponible des ménages est tombée de 9 % en 2008 à 6 % en 2015, tandis que le montant moyen d’un prêt hypothécaire a augmenté d’environ 40 % sur la même période. Cela signifie que davantage de ménages peuvent se permettre d’acheter des logements plus chers, ce qui, à son tour, pousse les ménages à emprunter et à s’endetter davantage, tandis que les prix continuent de monter. Ce processus devrait se poursuivre aussi longtemps que l’emploi est robuste et que les taux d’intérêt restent faibles.

La Banque du Canada est à juste titre préoccupée par l’augmentation de l’endettement des ménages, qui rend l’économie plus vulnérable à des chocs imprévus et qui accroît les risques de tensions financières. Par exemple, la province d’Alberta affiche le troisième niveau le plus élevé d’endettement des ménages parmi les provinces canadiennes après celles de British Columbia et d’Ontario, et ses termes de l’échange ont fortement souffert de la baisse des prix du pétrole. Son économie devrait s’être contractée de près de 2 % l’an dernier sur fond de licenciements massifs dans la le secteur pétrolier, et les prix de l’immobilier y ont diminué de 4 % depuis leur sommet de fin 2014.

Une solution consisterait à relever les taux d’intérêt pour refroidir le marché de l’immobilier. Mais cela n’est pas aussi simple. Un durcissement de la politique monétaire pourrait affaiblir davantage une économie canadienne qui a déjà subi un choc de grande envergure à cause de la baisse des prix du pétrole. L’augmentation du patrimoine qui résulte de la hausse de la valeur des logements encourage les ménages à dépenser, ce qui profite aux entreprises et offre de nouvelles opportunités aux sociétés de capital-risque. En fait, la vigueur de la consommation privée a contribué à compenser la forte baisse de l’investissement des entreprises dans le secteur des ressources et a aidé l’économie à enregistrer une croissance de 1,2 % en 2015, après une récession au premier semestre de l’année.

Une bonne décision

Un nouveau document de Andrea Pescatori et de Stefan Laseen souscrit à la décision prise par la Banque du Canada d’abaisser le taux d’intérêt directeur en réaction à l’effondrement des prix du pétrole au début de l’année dernière. Selon les auteurs, il est improbable que les avantages d’une politique monétaire plus restrictive en dépassent les coûts lorsque l’économie est faible.

Les avantages d’une baisse de l’endettement des ménages surviennent lentement au fil du temps, pour culminer après huit ans, tandis que les coûts, sous la forme d’une hausse du chômage, se paient tout de suite, dans les deux premières années. Il ne serait utile d’aller « à contre-courant » — c’est-à-dire relever les taux d’intérêt au-delà du niveau nécessaire pour maintenir la stabilité des prix afin de limiter la hausse des prix des actifs — que si le crédit augmente de manière excessive (plus de 9 % par an) et si le coût d’une crise financière est élevé. Certes, une incertitude considérable entoure ces estimations. Mais elles ne s’écartent pas trop de celles de la Banque du Canada. Par rapport à la Banque du Canada, les auteurs notent que la même contraction de la politique monétaire (100 points de base) réduit moins l’endettement des ménages (1,25 % contre 2 % après 5 ans), mais aussi la croissance du PIB (0,75 point contre 1 point).

Beaucoup de choses restent à comprendre en ce qui concerne la relation entre la politique monétaire et les risques pesant sur la stabilité financière. Le document de Pescatori et de Laseen constitue une contribution importante au long processus d’examen de cette relation sur la base de données empiriques et d’une analyse rigoureuse. Pour l’instant, la Banque du Canada gère les risques de manière avisée, faisant preuve de discernement pour prendre en considération la stabilité financière dans la conduite de sa politique monétaire.

Si le blog et le document de travail portent principalement sur la politique monétaire, les politiques et les mesures macroprudentielles constituent aussi un outil important, et devraient être la première ligne de défense face aux risques pesant sur la stabilité financière. Le FMI continuera d’évaluer l’efficacité des mesures prudentielles au Canada, et un examen de cette question déborde du cadre du document de travail et du blog.

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Cheng Hoon Lim est une Sous-Directrice du Département hémisphère occidental du FMI. Elle est chargée des travaux du département relatifs à la surveillance financière et est chef de mission pour le Canada. Mme Lim dispose d’une vaste expérience dans les marchés financiers et de capitaux. Après un détachement à l’Autorité des services financiers du Royaume-Uni, elle a passé treize années au Département des marchés monétaires et de capitaux du FMI où elle s’est occupée d’un large éventail de questions, notamment les crises financières et la restructuration des dettes souveraines, l’établissement d’outils analytiques d’évaluation du risque systémique et de la solidité des banques, la surveillance macrofinancière des pays avancés et des pays émergents, et la fourniture d’assistance technique à la région Asie/Pacifique. Elle a dirigé aussi le programme d’évaluation du secteur financier (PESF) en Afrique du Sud, en Australie et en Indonésie.

Mme Lim a notamment travaillé sur l’efficacité des instruments de politique macroprudentielle dans l’atténuation des risques systémiques. Elle a contribué aussi à plusieurs publications, notamment comme co-coordinatrice de The Future of Asia’s Finance et de Financial Sector Reform in Transition Economies. Mme Lim possède une licence ès lettres avec mention bien et Phi Bêta Kappa du Smith College, et un doctorat de l’université de Cambridge (1994).



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