La corruption— Une taxe cachée sur la croissance


Par Vitor Gaspar, et Sean Hagan

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Le 5 novembre 2015

Ces dernières années, les citoyens ont été de plus en plus nombreux à manifester ouvertement leur préoccupation face aux allégations de corruption dans le secteur public. De São Paulo à Johannesburg, ils sont descendus dans la rue pour dénoncer les malversations. Dans des pays comme le Chili, le Guatemala, l’Inde, l’Irak, la Malaisie et l’Ukraine, ils adressent un message on-ne-peut-plus clair à leurs dirigeants : mettez fin à la corruption !

Et les décideurs n’y sont pas insensibles. De longue date, la «c…» est un sujet délicat dans les organisations intergouvernementales telles que le Fonds monétaire international. Pourtant, lors de son Assemblée annuelle à Lima (Pérou) le mois dernier, le FMI a organisé une discussion sur ce thème, qui a été d’une rare franchise. Le débat a été l’occasion d’échanges stimulants sur les définitions de la corruption, ses conséquences directes et indirectes et les stratégies possibles pour y remédier, notamment le rôle que peuvent jouer les individus et les institutions telles que le FMI. Voici un aperçu de la teneur des débats.

Qu’est-ce que la corruption ?

Il peut paraître facile de définir la corruption. La plupart d’entre nous sommes persuadés que nous serions capables de reconnaître un acte de corruption si nous y étions confrontés. Par exemple, dans le cas où un fonctionnaire accepte un pot-de-vin en échange d’un avantage financier ou politique. Cependant, les experts donnent de plus en plus une définition beaucoup plus large de la corruption. Bien plus qu’une simple transaction entre deux parties, comme l’a dit l’un des participants au débat, la corruption peut être considérée comme «la privatisation des politiques publiques». De puissantes élites du monde des affaires et des milieux politiques s’entendent entre elles pour soumettre les institutions publiques à leur volonté, dévoyer les processus de décision politique et monopoliser les contrats et les marchés publics. Un autre intervenant donne de la corruption une définition encore plus large, à savoir «le manque d’impartialité dans l’administration publique», avec comme résultat que l’argent et le pouvoir publics sont utilisés de telle manière qu’ils nuisent au bien-être des populations.

Les coûts de la corruption

Les coûts économiques directs de la corruption sont manifestes pour la grande majorité d’entre nous. Les pots-de-vin exigés par certains prestataires de services ont des conséquences négatives sur le plan social : le pot-de-vin glissé à l’agent du fisc réduit les recettes de l’État et restreint sa capacité d’assurer des services publics; une école n’est pas construite à cause de malversations. Pourtant, le plus souvent, la corruption a des coûts indirects encore plus vastes pour l’économie. Comme le montre Governance, Corruption, and Economic Performance, une étude réalisée sous la direction de George T. Abed et Sanjeev Gupta, la corruption a un impact négatif sur la croissance économique, car elle induit, entre autres effets, un surinvestissement dans la recherche de rentes, un sous-investissement dans les activités productives et la perpétuation de politiques inefficaces. Les coûts économiques de la corruption — qui, rappelons-le, touche les pays à tous les stades de développement — sont considérables. D’après les estimations d’une étude de 2005, le coût global des seuls pots-de-vin atteindrait 1500 milliards de dollars (environ 2 % du PIB mondial actuel). D’autres études mettent en évidence une forte corrélation entre la baisse des niveaux de corruption et l’amélioration à long terme du PIB par habitant et des indices de développement humain. En somme, la corruption est une taxe sur la croissance et l’investissement.

Certains participants au débat ont souligné en outre que les coûts de la corruption ne sont pas seulement économiques. La corruption contribue aussi à la perte de confiance dans l’autorité publique, à l’aggravation de l’inégalité sur le plan de l’influence politique, à la dégradation des valeurs publiques et, à terme, à la diminution du bien-être ou de la qualité de vie des citoyens. Ces coûts non économiques créent un cercle vicieux de manque d’efficacité du secteur public qui nuit à l’économie sur le long terme.

Une action de grande envergure et multiforme s’impose

Étant donné la vision plus large que l’on a désormais de la corruption et de ses conséquences, tous les participants au débat sont convenus que, pour y remédier, une action de grande envergure et multiforme était nécessaire. Une approche globale de cette nature exige que les dirigeants s’attaquent résolument au problème, que les incitations changent et que de nouvelles valeurs soient encouragées, trois conditions qui se renforcent mutuellement.

• Tout d’abord, les dirigeants doivent avoir la volonté de demander des comptes aux puissants groupes d’intérêts — c’est-à-dire au gros bonnet plutôt qu’au menu fretin, au tigre plutôt qu’au moustique. Ils doivent montrer l’exemple en étant eux-mêmes au-dessus de tout reproche. Lee Kuan Yew, de Singapour, a montré de façon éclatante la voie à suivre : ce dirigeant est venu à bout de la corruption par son exemple personnel et par la volonté politique qu’il a suscitée.

• Ensuite, de fortes incitations sont nécessaires. L’action des dirigeants doit être complétée par un système solide de carottes et de bâtons, d’encouragement positif et de responsabilisation. La lutte contre la corruption doit s’inscrire dans un cadre clair qui doit être respecté. En même temps, les pouvoirs publics doivent veiller à ce que les fonctionnaires reçoivent une rémunération qui leur permette de vivre convenablement. L’ouverture de l’économie par la déréglementation et la libéralisation sera aussi utile, car les économies trop réglementées engendrent de fortes incitations à perpétuer les pratiques corrompues. À cet égard, la Pologne est un bon exemple, qui a pris rapidement et avec efficacité des mesures de libéralisation. La transparence des activités et des transactions de l’État jouent aussi un rôle important par son caractère dissuasif.

• Enfin, il convient de développer les valeurs d’intégrité. Les pays doivent promouvoir une culture qui valorise l’honnêteté dans l’administration publique. Pour cela, il faut éduquer les citoyens. Une formation formelle peut être utile, mais, en définitive, ce sont le système éducatif, la pression des pairs ainsi que l’expérience quotidienne de chacun sur le lieu de travail et la pratique des institutions qui doivent être les agents de ce changement culturel.

Ce que peut faire le FMI

Étant donné que la corruption a des conséquences pour la solidité des finances publiques et pour la stabilité des marchés financiers — domaines qui concernent directement le FMI —, les participants au débat ont souligné que celui avait évidemment intérêt à aider les pays membres à combattre la corruption.

Le FMI aide les pays à déjouer la corruption en améliorant la configuration et la transparence de leurs systèmes de gestion des finances publiques (voir, par exemple, IMF Fiscal Transparency Code) et en mettant en place des structures économiques et réglementaires stables et transparentes qui restreignent les possibilités de traitement arbitraire et préférentiel. Dans les situations de crise, où la suppression de la corruption est jugée indispensable à la stabilité macroéconomique, le FMI s’est montré plus actif. Dans certains cas, il a insisté pour que le cadre législatif soit réformé de manière à mieux lutter contre la corruption et pour que celle-ci soit mieux réprimée. Il l’a fait notamment au Kenya, en Indonésie et en Ukraine.

Dans la plupart des cas, la corruption dure longtemps avant d’atteindre des proportions qui en font une menace pour l’équilibre macroéconomique. À quel stade le FMI doit-il intervenir plus directement pour aider les pays concernés à redresser la barre? Compte tenu des effets à long terme de la corruption, devrait-elle faire parti des thèmes discutés lors des consultations annuelles du FMI avec ses pays membres? Le Premier Directeur général adjoint du FMI, David Lipton, a reconnu que c’était là une question épineuse. Si les pays membres sont aujourd’hui plus disposés à parler de ce problème, cela reste un sujet délicat qui mérite des discussions plus approfondies. En tout cas, a souligné Monsieur Lipton, lorsqu’un pays fait preuve d’une réelle volonté politique de combattre la corruption, le FMI devrait l’aider à prendre les mesures ambitieuses et globales qui s’imposent pour modifier ses politiques économiques et son cadre réglementaire de manière à réduire sensiblement le coût de cette taxe cachée.
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Vitor Gaspar
Vitor Gaspar, de nationalité portugaise, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne de 2007 à 2010, et été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.

Sean Hagan
Sean Hagan est Conseiller juridique et Directeur du Département juridique du FMI. Auparavant, il a exercé dans un cabinet privé à New York et au Japon. Il conseille la direction, le Conseil d’administration et les pays membres du FMI sur tous les aspects juridiques des activités du FMI, notamment sur le plan réglementaire et dans le cadre des activités de conseil et de prêt de l’institution. Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur le droit applicable au FMI et un large éventail de questions juridiques touchant à la prévention et à la résolution des crises financières, en s’intéressant tout particulièrement aux questions d’insolvabilité et à la restructuration des dettes.



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